Against Me! – Shape Shift With Me

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Against Me! ne chôme pas ! Deux ans après l’unanimement acclamé “Transgender Dysphoria Blues” et un album live, “23 Live Sex Acts”, dans la foulée, Laura Jane Grace et sa bande reviennent avec “Shape Shift With Me”, le septième opus de la formation floridienne, publié sur leur propre label, Total Treble.

Against Me! nous avait laissé sur un disque engagé, poignant et terriblement honnête, nous plongeant au cœur des tourments de la chanteuse à propos de son identité sexuelle. “Transgender Dysphoria Blues” signait le premier essai post-transition de Laura Jane Grace.  En faisant son coming out en tant que femme trans en 2012, elle avait attiré les projecteurs d’un monde bien plus large que le petit univers du punk.

Assumant désormais pleinement sa nouvelle casquette de figure publique trans, la frontwoman met dans ce nouvel effort studio ses talents de songwriter au service de chansons beaucoup plus positives et empreintes de légèreté. Sur les douze morceaux du LP, sa voix rocailleuse scande des histoires d’amour, s’éloignant du punk revendicatif où la politique est prégnante.

Si l’on retrouve bien un message politique dans le morceau d’ouverture, l’hargneux “ProVision L-3”, ce n’est que pour métaphoriser des sentiments amoureux. Mais il ne faut pas s’y méprendre, elle n’a rien perdu de la rage qui l’’animait quand Against Me! n’était qu’une bande toute jeune d’arnacho-punks. Ici, c’est l’amour et le sexe qui la font rugir.

A l’image de ce que Laura Jane Grace raconte dans ses textes sur l’amour, ses extases, ses rages et ses déboires, les morceaux se font successivement pop et accrocheurs (“12:03”, “Rebecca”, “Crash”, “333”), agressifs et musclés (l’excellent “Dead Rats”) ou encore sentimentaux et langoureux (“Suicide Bomber”, “All This And More”). Jonglant d’émotion en émotion, l’ensemble se démarque par sa sincérité. Laura Jane Grace, désormais bien dans ses Doc Martens, se livre à cœur ouvert, sans se prendre la tête. Elle se paie même le luxe d’inviter sa petite amie de l’époque, Béatrice Martin (aka Cœur De Pirate), pour assurer les back vocals sur les deux derniers morceaux.

Portés par des guitares acérées et une voix aussi puissante que maîtrisée, les morceaux s’enchaînent, mélodiques et d’une simplicité redoutablement efficace. Les riffs de guitare de James Bowman sur “Delicate, Petite & Other Things I’ll Never Be” et “Haunting, Haunted, Haunts” sont savoureux, mais la perle de l’album est probablement le nerveux “Norse Truth”. Dans un tumulte sinistre, Atom Willard frappe avec urgence sur sa batterie, tandis que la voix de la chanteuse se fait menaçante et les guitares angoissantes. Unique chanson se démarquant vraiment de pistes peut être trop semblables, elle est teintée d’une noirceur et d’une intensité contrebalançant l’euphorie insouciante du reste de ce “Shape Shift With Me”.

Musicalement parlant, ce septième opus ne révolutionnera pas le monde des power chords et du DIY, mais la perspective avec laquelle écrit Laura Jane Grace sur ses relations amoureuses permet de marquer ce disque d’une pierre blanche. Une femme trans clamant rageusement son amour pour les femmes à la tête d’un groupe punk, cela reste relativement rare dans les catalogues Spotify.

En enchainant douze morceaux parfaitement calibrés à écouter d’un bloc encore et encore, Against Me! ne crée certes pas la surprise. Mais il signe un album punk bourré d’énergie qui donne envie de pogoter sur son voisin de droite tout en embrassant celui de gauche.

“Shape Shift With Me” dégouline de vie et de sincérité, résonnant comme une ode rafraichissante à la vie et à l’amour. Après une période tumultueuse, Against Me! semble finalement avoir trouvé son cap, déjà amorcé par l’essai précédent.