Dans la capitale pour un dernier concert -organisé par OÜI FM dans le cadre de la quatrième et ultime journée du Festival Bring The Noise 2013– avant une longue pause bien méritée, c’est à l’étage de La Flèche d’Or, dans une sympathique minuscule pièce aux faux airs de squat, que l’équipe de RockUrLife s’est entretenue avec les anglais Rou Reynolds (chant) et Rory C (guitare) d’Enter Shikari, pour une interview tout en bonne humeur, humilité et fish and chips.
Premièrement, comment ça va ?
Rou Reynolds (chant) : On est vraiment fatigué. On a dû se lever à 4h du matin, ce qui n’est pas tellement sympa. On a pris l’Eurostar à 7h ou quelque chose comme ça… mais c’est cool ! Je suis sûr qu’après quelques verres on sera au taquet.
“A Flash Flood Of Colour” est sorti en 2012 et ça a été une grosse et folle année pour Enter Shikari. Cet album a obtenu beaucoup d’excellentes critiques et est considéré comme un des meilleurs albums de l’année. En quoi avoir un tel succès vous a touché en tant que groupe ?
Rou : Merci !
Rory C (guitare) : Comme tu as dit, cet album a eu beaucoup plus de bonnes critiques que les précédents albums, mais je n’irais pas jusqu’à dire que ça nous a fait monter à un niveau de succès phénoménal. L’ascension de notre carrière a fonctionné de manière progressive, et on a gagné de plus en plus de fans, ce qui est une bonne chose. Quand c’est progressif, ça ne t’affecte pas plus que ça. Je pense que ça t’affecte plus quand tu es confronté à un succès soudain comme lorsque tu gagnes “The X Factor”, quand la musique ne représente pas ta vie entière et que tu n’es pas un professionnel, et les gens deviennent fous à ton sujet du jour au lendemain. Mais lorsque c’est une ascension progressive, ça te permet de garder les pieds sur terre je suppose.
Rou, tu es le principal parolier. Il y a beaucoup de paroles concernant les problèmes de société et de paroles humanitaires. Peux-tu nous expliquer pourquoi préfères-tu parler des difficultés que le monde doit affronter plutôt que d’écrire sur ta propre vie et tes propres sentiments comme beaucoup d’auto-compositeurs ont tendance à faire ?
Rou : Détrompe-toi, c’est personnel d’une certaine manière. Ce sont les choses qui me touchent assez pour que j’en parle. Je suppose qu’il y a des personnes qui seraient vaguement intéressées par ma vie personnelle mais je ne pense pas que ça serait intéressant. Le but premier de la musique est de provoquer diverses émotions tout au long de l’écoute, du sentiment d’être détruit jusqu’au sentiment de bonheur suprême. Je pense que pour atteindre toutes ces émotions, tu dois aller plus loin que le simple fait de parler de tes sentiments et évoquer une perspective générale.
Vous allez faire une pause pour enregistrer le successeur de “A Flash Flood Of Colour”. Qu’est-ce qu’on peut attendre de ce nouvel album ?
Rou : Je ne sais vraiment pas pour l’instant… On ne commence pas à écrire avant janvier. On va fêter Noël et se reposer. Mais je pense que les seules choses dont on a parlé pour le moment sont d’essayer d’éviter les clichés, nous motiver à aller plus loin et nous ouvrir à différent types d’instrumentation. Ça reste assez libre, on ne sait réellement pas à quoi ça va ressembler !
Sachant que “A Flash Flood of Color” a été un véritable succès et est respecté du point de vue critique, est-ce qu’il y a une certaine pression après cet album ?
Rory C : On ne se préoccupe pas de ce que les gens vont en penser… On a jamais été le genre à être ce que les gens voulaient qu’on soit ou à faire ce que les gens voulaient qu’on fasse, et ça semble bien marcher alors on continuera de fonctionner de cette manière. Il n’y a pas de pression là-dedans.
Rou : Il y a définitivement de l’anxiété cependant. Plus particulièrement en cette période où l’on a encore rien écrit, on sait que l’on a ce gros défi de créer cet album et je veux vraiment travailler dessus. Ce n’est pas de la pression, c’est juste nous, excités à l’idée de se mettre au boulot.
Rory C : C’est comme en haut d’une montagne russe !
Puisque les concerts sont importants, quelle est votre manière d’enregistrer ? Pensez-vous d’abord à la manière dont ça sonnera en live ?
Rou : Non, on ne pense jamais au rendu en live parce que ça peut interrompre ou endommager le processus créatif si tu as toujours ce diable sur ton épaule en train de te dire “comment vous allez faire ça en live ?”. Tu dois te concentrer purement sur l’art et penser à la performance live ensuite.
Rory C : Quand on planche sur quelque chose, on ne se soucie pas de la manière dont ça rendra en concert. Quand tu dois jouer tout ça en live, tu dois avoir les outils nécessaires et trouver des nouvelles façons de faire les choses pour monter la qualité de la prestation d’un cran. La raison pour laquelle on a le set que l’on a maintenant est que l’on essaie de reproduire sur scène ce que l’on a fait en studio. Nos concerts se sont grandement améliorés.
Cela fait quelques années que vous avez créé votre propre label “Ambush Reality”. Qu’en avez-vous appris ?
Rou : On est dans une bonne situation parce qu’on a vu les deux côtés de l’industrie : le côté indépendant avec notre propre label et le côté dépendant avec le major en Europe. Cette indépendance marche très bien pour nous, elle nous permet de ne pas avoir ces sortes de limitations ou de démarches bureaucratiques si on veut faire quelque chose, au lieu de devoir aller parler à un gars, puis aller voir son boss, et ça ralentit le processus entier, ça ressemble beaucoup plus à un business. Lorsque tu es indépendant, tu peux simplement avoir une idée, genre “Est-ce qu’on peut faire ça ? Oui on peut, alors faisons-le !”. C’est beaucoup mieux pour nous parce qu’on est assez… euh… comment t’appelles ça quand tu veux faire quelque chose sur le moment même ?
Rory C : …Spontané ?
Rou : Oui spontané ! (rires)
Vous passez la majeure partie de votre temps à voyager aux quatre coins du monde. Comment est la vie en tournée ?
Rory C : C’est bon et mauvais. Ca dépend du temps passé loin de ton chez toi… Quand tu pars pour trop longtemps, ça devient une routine. Souvent au milieu d’une tournée, tu commences à boire, puis le jour suivant tu te sens très fatigué alors tu bois pour te sentir mieux, et le surlendemain tu décuves alors tu bois à nouveau et tu te retrouves coincé dans cette spirale… Mais les meilleurs moments sont au début des tournées, c’est quelque chose d’excitant et de frais, les premiers concerts sont incroyables. On est toujours opé pour faire des concerts cependant, c’est juste que… ouais bref. (rires)
Rou : C’est comme une montagne russe encore une fois, il y a des hauts et des bas. Il y a des jours où ce sera génial, d’autres jours où tu voudrais juste être à la maison et tes amis et ta famille te manquent. Mais c’est pas grave on gère ! (rires)
Dans “Radiate”, vous dites “they silence and censor our right to create, in cells we choke without what is innate”, tout comme dans “Rat Race” avec “they know what’s best for us” par exemple. Qui est ce “they” ?
Rou : C’est une très bonne et grosse question. Mais avant tout, je n’aime même pas utiliser le mot “ils”… Je parle ici des divers systèmes qui installent des personnes au sommet de l’échelle et les autorisent à avoir du pouvoir sur d’autres personnes. Je suis sûr que si ces derniers réalisaient le danger que ça engendre, ils ne resteraient pas dans cette position. Je n’aime pas pointer les gens du doigt parce que nous sommes tous des produits de notre environnement, mais ceci étant, “Rat Race” ne parle pas d’une personne en particulier, mais plus d’un principe général comme le “Mouvement Zeitgeist”, les choses que la société attend de toi, les valeurs que tu te dois d’avoir.
Comme tu as dit, vous êtes grandement intéressés par le “Mouvement Zeitgeist”. Quel message veux-tu que les gens retiennent de ça ?
Rou : Je préférerais plutôt les encourager à s’en faire une idée par eux-mêmes et lire des articles à ce sujet. C’est très difficile à expliquer précisément mais c’est un mouvement qui prône la durabilité et qui est en opposition avec le système actuel. Ça passe par une réorganisation de la société dans le but de créer une vie durable pour tous les habitants de cette planète, en gros.
Voici la question suivante, et Rou, on sait que tu risques de t’énerver ! Certains groupes ont été accusés d’exploiter leurs fans pour les faire payer des Golden Tickets ou des VIP Packages qui coûtent des centaines de dollars pour les rencontrer. Que pensez-vous de ce système ?
Rou : Oh tu sais ce que j’en pense ! (rires) Bien, nos voix vont se faire entendre au moins. C’est souvent des gros groupes comme Thirty Seconds To Mars, et quand on en vient à des groupes comme ça, je pense personnellement que ce n’est pas une bonne chose. C’est assez inauthentique, mais l’homme en question (Jared Leto, ndlr) est également acteur, il ne vient pas de la scène punk. Si tu me présentes un acteur, ce n’est pas mon industrie, alors qui suis-je pour dire si c’est bien ou non ? Mais un groupe qui tire ses origines du mouvement punk et qui fait payer les fans juste pour avoir le droit d’être en leur présence est une honte et c’est aberrant. Je ne vois pas ce que l’on peut dire d’autre. Je ne comprends pas comment on peut penser que c’est la bonne chose à faire.
La version deluxe de leur dernier album coûte jusqu’à presque 1000$…
Rou : (rires) Wow… On fait de la musique dans une époque où vendre des albums ne rapporte pas beaucoup d’argent. Lorsque l’on a commencé, l’industrie était déjà en chute libre, on n’a jamais été habitués à avoir beaucoup d’argent. Mais ces gars continuent de s’enrichir, c’est presque comme une addiction à la richesse et au fait de corrompre ta fanbase.
Rory C : Et les personnes qui vont dépenser leur argent sont considérées comme des bons fans, ça veut dire qu’ils aiment réellement le groupe. C’est le genre de personnes qu’ils exploitent. Mais tous les gens qui contribuent à maintenir cette carrière au beau fixe de telle ou telle façon aggravent la chose. Toutes les personnes qui viennent tout le temps aux concerts, les vrais hardcore fans, ce sont les personnes à qui tu devrais rendre le plus possible, non pas ceux à qui tu devrais prendre encore plus.
Rou : Le truc qui m’agace au plus haut point, ce sont les “scene bands”, majoritairement les groupes américains, ceux qui se ressemblent tous et qui font de la musique de merde. Ce sont la plupart du temps ceux qui demandent aux fans de payer pour les rencontrer. J’aimerais que les gens réalisent ça. Je suis sûr qu’ils le feront !
On sait tous que l’industrie du disque n’est pas en très grande forme. Il devient de plus en plus difficile pour les groupes de percer ou de vivre de leur passion. Que peuvent faire les gens pour aider les groupes et sauver l’industrie ?
Rory C : Venez aux concerts et achetez des albums ! L’industrie musicale et les ventes de CD sont en train de mourir mais le côté live de la chose est encore florissant. Tu peux télécharger notre album mais tu ne peux pas télécharger l’expérience de nos concerts. C’est ce que les groupes doivent faire pour faire de l’argent maintenant. Je suppose que la chose principale à faire est de juste venir aux shows !
En parlant de concerts, vous jouez à La Flèche d’Or ce soir. Qu’attendez-vous du public français ?
Rory C : Les dernières fois où nous sommes venus à Paris étaient géniales, c’était des concerts très spéciaux et on était très excité à l’idée de les faire.
Rou : La date de ce soir est un concours non ? Donc il n’y avait aucune place en vente. Je ne sais pas ce que ça veut dire, si l’audience sera composée de nos fans ou pas… (rires) Ce qui arrive la plupart du temps lorsque c’est un concours, c’est que les gens gagnent des places et sont là “OUAISSSS !!!!!”, puis réalisent qu’ils ne peuvent pas venir. On verra, qui sait à quoi on peut s’attendre !
Enter Shikari s’est formé il y a maintenant dix ans. Qu’avez-vous appris grâce à votre expérience dans un groupe ?
Chris Battens (basse) (ndlr : qui est dans la pièce avec Rob Rolfe (batterie) depuis le début de l’interview) : Etre plus stupide.
Enter Shikari : (rires)
Rou : C’est dur à résumer…
Vous avez appris beaucoup de choses apparemment…
Enter Shikari : (rires)
Rou : C’est une question difficile… On a beaucoup appris concernant la musique, la performance live, les voyages, les différentes cultures, les différentes personnes, la psychologie de la foule, les différentes philosophies… et nous sommes incroyablement chanceux.
Pour conclure, nous sommes “RockUrLife”. Qu’est-ce qui rock votre vie ?
Rou : Ma chatte. Elle est géniale.
Rory C : Chris. (rires)
Merci de nous avoir accordé de votre temps, à ce soir !
Rou : Merci beaucoup pour votre soutien !
Rory C : Merci, à toute !
Site web : entershikari.com