Pour présenter Saint-Laurent-De-Cuves, 480 âmes, on aurait presque envie d’une petite vidéo carte postale à la manière d’Intervilles : plan séquence de la rue unique principale, plans dynamiques sur ses champs vallonnés et verdoyants ou paissent les vaches, transitions kitsch, plan du bar, de l’église – pardon – du patrimoine, insert de portraits rigolards de Saint-Laurentais(es) et une bonne punch-line “on est dans le trou-du-cuves du monde”, “donne-moi ta bouse, j’en fais de l’or”… ou en l’occurrence des festivaliers, et c’est tout comme.
Avec plus de vingt-mille festivaliers accueillis par jour, l’effet “Papillons” multiplie par cinquante la population habituelle de Saint-Laurent-De-Cuves, et c’est sans compter les équipes techniques, artistiques, l’organisation et les bénévoles (qui représentent à eux seuls plus du double de la population du village). Le plus notable reste l’hétérogénéité des bénévoles puisqu’on y croise de tous les âges, tous les sexes et de tous les milieux. Observation qui vaut d’ailleurs également pour le public, mêlant à parts égales familles, arrachés, ados, retraités, jeunes adultes etc.
Dans ce joyeux gloubi-boulga, quoi de plus normal que d’ouvrir la première soirée, ce vendredi 21 mai 2015, par THE CELTIC SOCIAL CLUB, équivalent musical d’une salade fout-z’y-tout (ne cherchez pas la recette, tout est dans le nom). S’appuyant sur une multitude d’instruments traditionnels (washboard, harmonica, violon irlandais, uillean pipes, mandoline) tout autant que sur des instruments incontournables du rock (guitares, contrebasse, batterie), The Celtic Social Club propose une “musique fusion” qui laisse un très agréable arrière-goût dans les oreilles. Toujours dansants, les morceaux nous baladent sans cesse d’un paysage musical à l’autre, blues, musique bretonne, parfois reggae etc. On ne sait jamais où on se trouve, toujours à l’équilibre entre plusieurs univers, entre différentes cultures. Un peu comme si, à l’image de ces sites de rencontres, The Celtic Social Club trouvait les affinités communes à chacune des musiques et les faisaient se rencontrer le temps d’un speed dating très réussi. Une ouverture surprenante, joyeuse et réussie, qui aura peut-être fait oublier à certains les déboires et contretemps liés au bug (vite résolu) de l’innovation du festival : le système de paiement dématérialisé (cashless), P2N Pay & Play. Un système de carte de paiement sans contact, rechargeable à distance via l’application ou le site internet des Papillons ou via les banques du festival. Comme toute innovation, le système demande encore à être rodé et encore faut-il que les bénévoles soient tous familiarisés avec les terminaux de lecture, mais l’intention y est, et notre expérience sur place nous a plutôt convaincu.
Devant BENJAMIN CLEMENTINE, nouvel archange de la soul dont on ne devrait penser que du bien, on s’ennuie tellement qu’on préfère regarder les groupes d’ados se peindre le visage de figures géométriques qui leur vaudraient sûrement un zéro en math. Une jeune fille est à l’œuvre sur les bobines de ses camarades masculins qui se prêtent au jeu avec réticence. Les filles, ça vous fait vraiment faire n’importe quoi. Non, vraiment, Benjamin Clementine, ça ne nous a pas convaincu. C’est-à-dire que la simplicité, ça ne s’affecte pas. Là, on a eu droit à la panoplie du mec simple (pose contractée-nonchalante, costume de scène noir-un-peu-passé, regard proche-mais-lointain-à-la-fois) seulement vous voyez le problème. Les panoplies et la sincérité font rarement bon ménage. Bon, le contexte ne s’y prête pas forcément, le pauvre est perturbé par le public qui, plein de bonnes intentions, entonne avec lui une reprise de “Amsterdam”. Il ne fait pas très à son aise sur une scène de festival, avec des licornes géantes qui mangent des frites, une bite dessinée sur le front, à trois mètres de la scène.
En revanche, certains n’en font pas cas, et arrivent sur scène comme s’ils étaient chez eux, poussent les meubles, secouent les coussins et refont la déco. Voilà SELAH SUE. Sa musique est une évidence, d’une simplicité monstre, et d’une efficacité à faire pleurer les publicitaires pour produits détachants. On passera sur sa voix, unique, dont elle maîtrise toutes les nuances tant la justesse que l’intensité, la précision ou la couleur. Nouveaux et anciens titres, Selah Sue s’offre même quelques reprises, dont une de Lauryn Hill qui lui succédera sur cette scène deux jours plus tard. Que ce soit en groovant parmi ses musiciens ou seule avec son micro et sa guitare, la très solaire Selah Sue séduit en un claquement de doigts les milliers de personnes et c’est simple comme “bonjour”.
Il y a cependant des groupes pour qui c’est tout sauf évident. Et voir GRAND BLANC jouer, c’est comme de regarder un pote galérer avec son exposé au tableau. La formation joue une pop (coldwave dit le programme… vous êtes sûrs ?) minimaliste, voire simpliste, qui s’appuie sur une rythmique d’une platitude effarante lancée par des machines pas toujours très sûres. Quelques notes discordantes égrènent les musiques froides et on ne sait pas trop si on doit rire ou pleurer pendant les premiers morceaux. Ni l’un, ni l’autre au final, on se laisse plus ou moins convaincre par des textes et des morceaux à l’intensité intéressante, comme l’Homme Serpent ou Braise-moi, et par le sincère plaisir d’être là et de donner, pudiquement, à entendre sa musique. Bien que déroutant, et pas totalement convainquant, on retiendra Grand Blanc pour la jeunesse de son projet et les potentialités qu’il représente, ainsi que pour sa singularité qui réjouit la tête et les oreilles.
Changement de style avec IAM et pourtant leur attitude n’est pas si différente de celle des Lorrains de Grand Blanc. La même simplicité, le même plaisir communicatif d’être sur scène qui motive une audience heureuse d’esquisser ces “petits pas de danse funky”. Il faut avouer que même si les voix d’Akhenaton et de Shurik’n sont comme une madeleine de Proust et qu’entendre le sample de “L’Empire Du Côté Obscur” c’est avoir dix ans à nouveau, on regrette un peu que les concerts d’IAM, du moins en festival, ne soient surtout composés que de morceaux assez anciens repris en chœur par la génération 90’s (nous les premiers, pour être honnêtes).
Avoir les chevilles bien échauffées par le mia, c’est important quand on assiste au concert de CHRISTINE AND THE QUEENS. La danse et la mise en scène jouent un rôle capital. Soutenue par trois musiciens (claviers, machines, guitares), par quatre danseurs, et par des projections vidéo et un jeu de lumières, Christine s’empare de la scène, et du public. Étrange objet, il faut dire, que ce Christine And The Queens. C’est beau comme une belle femme trop maquillée : on voit trop l’artifice, mais on ne peut en contester la beauté. Entre la perfection froide de la machine-spectacle parfaitement huilée et la harangue faussement à l’aise de ce Gavroche moderne, on ne peut qu’être un peu déstabilisé. L’auditoire, quoi que plutôt surpris par l’omniprésence de la danse dans le spectacle, est assez réceptif sur les morceaux connus (“Christine”, “Saint-Claude”) et attentif sur les titres plus calmes (le très beau rappel, “Nuit 17 A 52”). Textes sibyllins et rythmiques tubesques, Christine And The Queens, c’est un peu le principe de la French Touch appliqué à la pop américaine. Et comme toutes les stars de la pop, Christine And The Queens a son lot de fans qui l’attendent en sortie de scène, auprès de qui elle s’arrête spontanément pour signer quelques autographes et serrer quelques mains avant d’être escortée manu militari dans son véhicule par le service de sécurité.
Passent les heures et passent les Christine, et viennent les DJ. Avouons tout de suite qu’on n’est pas très fan des DJ sets en festival parce que primo on n’a pas grand-chose à en dire et deuxio on finit toujours par les apprécier davantage au comptoir du bar le plus proche. SUPERPOZE, pourtant, mérite qu’on s’y attarde avec ce son original et efficace, assorti d’un très beau show lumière. THE AVENER, ensuite, phénomène du moment qui ravit les foules, s’extasiant de pouvoir danser sur des re-works. Du coup, on se demande si l’engouement tient autant au talent du DJ qu’au succès des morceaux repris.
Sans transition, comme dirait PPDA, DRONE PROJECT clôture la soirée sur la petite scène Érebia. La rupture est sans bavure, puisque le combo joue un rock 70’s à base de caisse claire profonde et mate, de guitares électro-acoustiques et de tambourins ou maracas. Un peu folle, sincèrement rock et légèrement psyché, la musique que Drone Project se borne à jouer en toute simplicité a comme un goût de déjà-vu. C’est ce bon film qu’on a déjà vu cinq fois et qu’on regarde avec plaisir, mais sans surprise quand il n’y a rien de bien convaincant au programme. Il faut tout de même saluer leur belle énergie à 3h du matin devant un public qui, gavé par près de sept heures de concerts, fini de se consumer avant de s’éteindre.
Le chemin du retour prend alors des allures de film d’horreur : au milieu de la marée humaine qui, l’œil vide (et étrangement dilaté), se dirige d’un pas lent et titubant vers le camping, on a du mal à ne pas s’imaginer dans un épisode de “The Walking Dead”. Règle n°1 : être le plus rapide (à la tente).