Moins d’un an après son dernier Bataclan, Limp Bizkit remet le couvert dans cette même salle qui affiche complet. Mais avant de soumettre nos oreilles au neo metal des Floridiens, ce sont les Français de Merge qui, dans un tout autre style, vont devoir chauffer cette salle prestigieuse, classée monument historique.
Il y a peu, MERGE avait la lourde tâche d’ouvrir pour le groupe de rock américain Circa Survive. Sans pour autant brûler des étapes, le quintette gravit ce soir un échelon supplémentaire en foulant la scène du Bataclan, avec pour objectif de chauffer une fosse qui, soyons réalistes, n’a de yeux que pour les Floridiens de Limp Bizkit. Après une courte intro éthérée, les premières notes de “Lighters” viennent rompre la cécité des 1500 coeurs qui palpitent dans ce Bataclan sold out. Le son, sans rendre 100% justice à la musique subtile des Parisiens, reste incroyablement massif et écrasant.
Merge a fait des choix et il le montre : délaisser, le temps d’un soir, ce nouveau virage plus rock annoncé lors de son dernier concert parisien. C’est le Merge, plus metal, carrément cyclothymique des débuts qui refait surface : les murs de son de “Wolf’s Dagger” et ses mélodies pourtant si aériennes en sont le meilleur exemple. Mais dans ces choix, il y a aussi une part de fidélité : “Ecclesiast” nous montre que la formation n’oublie pas ses premiers amours, celui qui ont forgé ce style particulier où Anthony alterne avec brio parties de chant hurlé et chant clair plus aigu avec une aisance qui laisse pantois. Les musiciens sont dynamiques, les deux guitaristes n’hésitent pas à explorer chaque recoin de la scène pour s’en emparer. Anthony, véritable showman, livre une performance vocale incroyable qui se voit ponctuée, à la fin de chaque morceau, d’une gentillesse exemplaire. Ce dernier explique que le groupe revient d’une mini tournée en Espagne avant de plonger le Bataclan dans les abysses avec “Daily Grind”, troisième titre de l’album “Elysion” joué ce soir.
Mais Merge a la volonté d’être sincère avec son public et offre un concentré pur de son nouveau virage avec un “Sacré Cœur” qui, s’il est moins metal et résolument plus “rock” que le reste du set, semble pourtant trouver encore mieux sa place au sein d’une assemblée qui a joué le jeu. La maturité que dégage ce morceau et l’authenticité avec laquelle les musiciens l’exécute ponctuent un set de vingt-cinq minutes sans aucune faute de parcours, si ce n’est celle – et cela ne tient évidemment pas du ressort des musiciens – de ne pas avoir joué assez longtemps, peut-être ?
Une demi-heure d’attente et quelques titres d’électro et de rap plus tard, l’obscurité reprend ses droits pour un court instant, bientôt éclipsée par les premiers riffs ravageurs de “Full Nelson” issu du mythique “Chocolate Starfish And The Hot Dog Flavored Water”. La voix rappée de Fred Durst est au top et les mélodies dissonantes nous replongent au cœur du neo de la belle époque. Du haut de ses quarante-cinq ans et de sa casquette blanche, le rappeur en parait quinze de moins lorsqu’il scande ses “motherfucker” instaurant tout de suite une certaine ambiance : celle d’un show à l’américaine. Seul guitariste du combo, Wes Borland, qui a réintégré a bande pour la troisième fois en 2009, apporte son lot de bonne humeur avec un costume encore unique en son genre. Peinturluré et portant un chapeau, ni le talent ni ce style feutré ne laisse à penser que cet ostrogoth est à l’origine du son et de l’univers global de LIMP BIZKIT.
Le set suit son court avec un “9 Teen 90 Nine” dont l’ambiance malsaine saura séduire les plus téméraires. Mais c’est le choix de placer “Hot Dog” en troisième position qui en surprend plus d’un : les riffs incisifs se mêlent parfaitement à la voix de Durst, rendant parfaitement justice à ce hit en puissance. L’utilisation du delay ravie les aficionados de guitares et rappelle combien le guitariste est polyvalent. Le combo enchaîne avec “Faith”, une reprise plutôt énergique et causasse de George Michael. “Bring It Back” et “Gold Cobra”, tous deux issus de l’opus du même nom, se succèdent et font l’effet d’une petite bombe dans un Bataclan où la chaleur règne : les premiers T-shirt s’enlèvent déjà. Entre temps, les Floridiens s’amusent à faire claquer l’intro de “Master Of Puppets”, un hommage incompréhensible mais agréable à Metallica qui commence à faire office de rituel.
Puis ce n’est pas une, ni deux, ni trois, ni quatre mais cinq chansons issues de “Chocolate Starfish And The Hot Dog Flavored Water”, disque qui a imposé Limp Bizkit de manière définitive à la face du monde en 2000, qui s’enchainent sans interruption. Et il est bon de constater que cet essai fait l’unanimité auprès d’un auditoire qui scande les paroles des meilleurs morceaux du biscuit mou : “My Generation” est très certainement le meilleur symbole de cette soirée. Entre pogos et circle pit, la salle est littéralement retournée devant un Limp Bizkit qui passe en mode rouleau compresseur. Le rap de Fred Durst peut être comparé à un distributeur de claques illimités, qui, excusez du mauvais jeu de mot, s’impose comme le parfait résumé de toute une génération.
Le beau clean de Wes Borland résonne enfin sur “Livin’ It Up”, les loop s’enregistrent et résonnent sans fin dans nos esprits sous le charme d’un guitariste dont le prisme musical est aussi riche que varié. Si Limp Bizkit enchaîne les titres courts ce soir, avec “Boiler”, le combo montre également qu’il sait s’en tirer avec les honneurs sur des formats plus longs. Puis c’est déjà la célèbre intro de “My Way” qui résonne, et éveille une nouvelle fois une fosse compacte, survoltée et pour une bonne moitié sans T-shirts. Les lèvres des spectateurs s’activent et suivent à la perfection celles d’un Fred Durst qui, comme un animal, n’a aucun mal à s’emparer d’une scène qui ne semble être pour lui qu’une vulgaire cours de récréation. Après un “Take A Look Around” dynamité, il est temps aux Floridiens de faire leur adieux sur un “Break Stuff” d’anthologie, dans une ambiance agressive une nouvelle fois ponctuée de “motherfucker” dont la foule semble si friande. Une façon très musclée de terminer un set d’1h15.
Seule ombre au tableau, ce “timer” oppressant qui fait défiler les minutes restantes et qui oblige Limp Bizkit à s’arrêter, écourtant son set d’un rappel et d’un dernier titre. Alors que ses musiciens décampent rapidement, Fred Durst reste tout de même quelques instants parmi nous et entame une danse sur “Stayin’ Alive” des Bee Gees qui permet de lever les derniers doutes subsistants : le concert est bel et bien terminé. Le frontman est loin de la figure égocentrique telle qu’il est souvent décrit : ce soir, ce showman au visage amical a été très agréable avec son public. Et c’est ce que ce que dernier apprécie, ce mélange de professionnalisme et de coolitude qui, vingt ans après ses débuts, se dégage encore de la bande.
Il y a ce plaisir d’ado, cette fougue qui a su renaître dans le cœur de chacun le temps d’une soirée, celle où des centaines d’esprits ont pu se dire que, de cet éclair qui les avaient foudroyé il y a dix, quinze ou vingt ans, il avait dû rester une poignée d’étincelles, qui, le temps d’une soirée, se sont ravivées pour le plus grand bonheur de tous. On ne peut pas remonter le temps pour redevenir jeune, mais Limp Bizkit nous montre que l’on peut encore respirer ces effluves d’un bonheur que l’on ressent à l’âge de quinze ans. Alors, si en plus une formation française vient nous conforter dans le fait que notre scène se porte plutôt bien, que demander de plus ? Simple question rhétorique.
Setlist :
Full Nelson
9 Teen 90 Nine
Hot Dog
Faith
Bring It Back
Gold Cobra
My Generation
Livin’ It Up
Boiler
Take A Look Around
Break Stuff