Quelques heures avant de monter sur la scène du Festival Fnac Live sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, quatre membres du collectif artistique Fauve ont accepté de nous rencontrer lors d’une interview groupée réunissant plusieurs médias. L’ambiance est décontractée, les artistes du collectif, dont il est souvent dit qu’ils sont secrets et inaccessibles, sont ouverts, (très) bavards et enclin à répondre aux questions ainsi qu’à plaisanter. L’occasion pour eux d’évoquer ces deux dernières années pendant lesquelles ils ont sillonné les routes de France et de Navarre, leur futur album “Vieux Frères Partie II”, le collectif…
Tout d’abord, d’où vient votre nom, “Fauve” ?
Fauve : Ce nom arrivé sur le tard. Au début, on était un petit noyau qui s’est maintenant agrandi. Mais, au tout début, on était une bande de copains qui s’est réunie pour faire un projet sans trop savoir où aller. On avait juste besoin de vider notre sac mais on ne savait pas comment faire. On cherchait un nom à notre projet, un nom qui cristalliserait le projet, un peu comme un mantra. Et on est tombé sur le mot “fauve” comme on aurait pu tomber sur n’importe quel autre mot. On ne cherchait pas un nom fantaisiste ou qui sonne bien. On voulait un nom qui nous botte le cul. Le terme fauve nous a parlé d’abord par rapport au film “Les Nuits Fauves”, mais à l’époque on ne l’avait pas encore vu, pour tout ce que ce film véhiculait depuis qu’on était petit, toute l’aura dégagée par ce film, tant au niveau du titre ou de l’affiche. C’était plus le côté risqué, interdit, un peu urgent, sauvage… et tous les autres sens du mot fauve, le genre animal, la couleur, le mouvement artistique… et cela a cliqué. On s’est dit : “C’est ça qu’on veut faire, un truc Fauve”.
Le symbole de la différence accolé à votre nom est-il venu après ?
F : Effectivement, il est venu un peu après. Mais ce n’est pas vraiment différence. On ne l’a pas adopté dans ce sens. On cherchait un logo qui nous plaise, un peu comme un totem, qui serait facile à faire car on voulait toucher au graphisme. En fait c’est un F dont la barre est tombée, c’est un F stylisé. On cherchait à styliser un F et on est tombé sur ce signe mathématique qu’on connaissait déjà et ça nous a tout de suite plu, pas dans le sens où Fauve est différent de, mais plutôt comme un mantra. Pour nous, c’est une déclaration d’unicité, de singularité. A l’époque on se parlait beaucoup à nous-mêmes et avec ça on se disait essaie de sortir des jugements de valeurs et des comparaisons. Chacun est singulier, chacun est unique, fais avec et à priori ce sera très bien.
Depuis la sortie du premier EP et de l’album, on parle du phénomène Fauve. Comment vous l’expliquez ? Que ressentez-vous ?
F : On ne l’explique pas vraiment. On est embarqué dans le truc et on vit au jour le jour chaque nouvelle expérience qui tombe. On ne comprend pas trop ce qui se passe, ça nous étonne encore. Tout est positif. Nous, on n’a pas compris qu’un truc aussi peu sexy, aussi bricolé, bancal et anti-sexe puisse plaire autant : dans les textes il n’y a pas de rimes, il n’y a pas de réelles mélodies non plus, c’est assez impudique, un peu cru…
Mais en même temps on le savoure car ça nous a sorti de plein de choses. Ce n’est pas toujours facile à gérer, c’est parfois écrasant d’être estampillé, ça met une pression qu’on n’a pas demandé. On essaie de faire le tri. On ne comprend toujours pas et l’expliquer reviendrait à un truc de maison de disques, à être calculateur alors qu’on a toujours fait ça pour nous, un peu comme une thérapie de groupe, car on avait besoin de vivre des choses en dehors de notre vie quotidienne, quelque chose d’épanouissant, un peu exaltant entre amis. Mettre des mots sur les choses, apprendre à nous connaitre en créant, avoir un espace de liberté. On a commencé de façon très désintéressée sans avoir d’ambition, hormis que ça plaise à nos potes ou nos meufs pour qui on écrivait une chanson. Qu’on puisse faire quelques concerts pour changer et améliorer le quotidien, mais jamais on aurait imaginé que ça nous amènerait là. Tout calculer reviendrait à devenir un peu cynique. Il n’y a pas vraiment d’explication et c’est bien car ça préserve un peu la magie du truc.
Le succès arrivant, est-ce que ça vous a changé vous personnellement ou votre manière de travailler ? Car il y a encore peu de temps vous postiez deux clips sur Internet fabriqués de manière artisanale entre potes…
F : On tourne encore nos clips entre nous. On peut avoir un peu plus de matos mais on est toujours entre potes, un peu à l’arrache. Justement c’est ce qui fait la naïveté de la chose et on n’a surtout pas envie de faire appel à une agence de production pour produire nos clips. Ce n’est pas notre but. On veut continuer à faire par nous-mêmes, à bricoler. On veut préserver ce côté artisanal. Ça se rode en fait, c’est étonnant et drôle, on en est assez fiers de voir nos critères de base se policer et de voir certains reflexes qui arrivent dans l’écriture des textes, dans la contemplation de nos moments de vie, la transposition de ces moments à l’écrit puis de l’écriture à la réalisation il y a forcément un truc, une espèce de dynamique…
On mature, on grandit avec ce projet. On essaie de l’expliquer dans les morceaux, de façon un peu cryptée, via les vidéos mais c’est difficile d’expliquer à quel point ce que Fauve nous a apporté. On a grandi avec Fauve mais à une vitesse qu’on n’aurait jamais imaginé. On a l’impression d’avoir eu le droit à une seconde chance, une deuxième naissance. C’est fou. On était dans nos piaules, on racontait notre frustration, on filmait des trucs et on montait ça. Et puis il s’est passé un truc complètement fou, imprévisible et on y est allé. On a quitté des boulots pour une partie d’entre nous, on a foncé en se disant qu’on ne le fera peut-être qu’une fois dans nos vies. On a pris la route avec notre petit camion, rencontré des gens, produit, enregistré tout seul. Ensuite, tout le battage médiatique est arrivé et on s’en est protégé. On a refusé plein de choses. Maintenant on s’est calmé car on a notre vitesse de croisière et c’est donc moins dangereux. On a du imposer nos règles : on n’a jamais voulu se montrer même quand personne ne connaissait Fauve. Au début ; il n’y avait même pas de page Internet, pas de vidéos. Déjà, pour nous c’était impensable de mettre des gueules sur ce projet autre que du graphisme ou des gens de dos, quelque-chose de collectif… Bref on a dû apprendre très vite plein de choses et ça nous a vachement consolidé, tant en termes de création et aussi humainement. Imaginez, y a un an on jouait sur la place du village à Blois, c’était déjà dingue, il y avait plein de monde et c’était génial. Avant-hier on faisait les Vieilles Charrues, il y avait 40 000 personnes, comment mettre des mots là-dessus ? C’est comme dans Harry Potter : maintenant tu vis un truc et tu as intérêt à en faire quelque-chose car ça n’arrivera pas tous les jours.
Vous êtes collectif avec de nombreux membres, environ 25. C’est autant d’avis différents. Comment arrivez-vous à vous entendre et vous mettre d’accord sur une chanson, un projet… ?
F : En fait, il n’y a jamais de problème. Un des trucs principaux de l’organisation du corp c’est que chaque personne représente un pôle de compétence. Chaque personne a plus d’expérience, de légitimité à prendre des décisions sur certaines choses. Ça va de l’écriture des textes, à la vidéo, la photo, le graphisme, la basse… Il y a un noyau dur dans Fauve à temps plein car tout le monde ne peut pas vivre sur Fauve, on n’a pas les moyens. Il y a plein de membres qui font ça le week-end ou le soir ; et il y en a d’autres qui le font à temps plein. Mais chacun a sa compétence dans Fauve et forcément c’est cette personne-là qui va avoir le plus de voix au chapitre. On n’a jamais fixé de mode de fonctionnement. Tu ne rentres même pas dans Fauve corp, c’est un truc d’amitié. Tu rencontres quelqu’un sur la route ou un pote de pote sait faire ça, tu le fais venir sur une date ou pour un taf en particulier… si t’es d’accord on taf ensemble. Il n’y a pas de chef ni de poste, c’est hyper fluctuant. Il y a des gens qui pour nous font partie de Fauve mais pour eux ils n’en font par partie car ils ont leur vie à côté. On aime bien cette idée de famille, d’être entre semblables, pour ensemble faire un truc qui nous change un peu les idées et. Finalement, c’est très fluide. On n’est jamais 25 à décider sur un truc. C’est super fluide car à la base on veut faire un truc chouette, un truc Fauve, vivre des moments et faire des beaux trucs dont on soit fiers. On ne veut pas conquérir le monde.
En quoi le corp Fauve est différent d’un groupe avec une équipe qui tourne autour de lui ?
F : C’est une très bonne question. Déjà ce n’est pas qu’un groupe : il y a aussi du graphisme, de la photo… Les gens qui participent à Fauve peuvent faire d’autres choses à côté mais par contre le but c’est de toujours être avec les mêmes personnes sur un sujet donné… C’est un collectif dans le sens où les trois piliers de base qu’on a voulu d’emblée développer c’était les textes, la musique et la vidéo. Sur scène, il y a toujours un vidéaste. Dans le noyau dur du projet il y a un vidéaste qui fait de l’image, du graphisme… En fait, tous les groupes sont des collectifs mais on a simplement décidé de le verbaliser autrement par souci de cohésion, par envie d’emmener le plus de personnes avec nous. Il y a des groupes de musique qui travaillent toujours avec les mêmes personnes mais comme elles ne sont pas complètement intégrées dans le projet, elles deviennent interchangeables. Nous, on ne veut pas que les gens soient interchangeables. Sur le papier, on dirait une chicane théorique, mais en réalité ça a changé beaucoup de choses parce que lorsque tu répètes à ton pote qui fait de la vidéo ou du graphisme ou de la photo, qu’il est Fauve au même titre que le guitariste, ça favorise beaucoup les initiatives et la dynamique de groupe. Aujourd’hui on se rend compte que ça a tout changé. Tous les groupes sont des collectifs, mais encore faut-il le dire, appliquer et respecter ce principe. Il y a toujours eu de l’image dans Fauve. La personne qui fait la vidéo elle est sur scène avec son moniteur et ses vidéos, son retour. Elle est avec nous et mixe en direct les images.
Comment vous mettez en avant, vous concrétisez le collectif sur scène ?
F : C’est une bonne question. On essaie de ne pas mettre en avant les cinq personnes qui sont sur scène en se noyant dans la vidéo. Et les vidéos diffusées ce sont nos images, ça représente bien le collectif. Il n’y a pas de poursuite, de solo… On essaie de toujours mettre les Vieux Frères, le corp, la famille en avant et pas les individualités de chacun. C’est dans l’ADN de Fauve. Depuis le début, il y a toujours eu de la vidéo en concert. Et s’il n’y a pas de vidéo, on ne fait pas de concert.
La vidéo a une place très important dans Fauve. Est-ce que ça signifie que vous appréhendez chaque nouvelle chanson comme un petit film, comme une histoire à raconter ?
F : C’est une bonne question d’actualité. Pour le coup, on est en train de préparer un petit film. Pour revenir à la question, ça dépend, mais il y a quand même le côté histoire qui est inhérent à la chanson, en tous cas dans les nôtres car c’est notre histoire. Donc oui. Mais c’est un oui/non car ça dépend : à la base on faisait texte puis musique puis vidéo en essayant que les trois racontent la même chose mais sous un angle différent. Mais avec la vidéo de “Blizzard” on a fait l’exercice inverse : on avait une chanson dont on a tiré une petite histoire qui est plus longue que la chanson, et du coup on a divisé la chanson en deux et on a dû créer des instrumentales, des nappes, des voix off… C’était un super exercice. Avec “Blizzard” on a pris beaucoup de plaisir à écrire une histoire qui suive la même trame que le morceau mais qui soit juste une formalisation différente. Et, du coup, sur “Voyous” on a fait ça : on a pris l’histoire d’un mec qui est poursuivi par sa culpabilité sans pour autant être le personnage de la chanson. La chanson “Infirmière” est racontée par un mec et on voulait que la vidéo soit du point de vue des nanas. On prend vachement de plaisir à écrire des histoires filmées, c’est extra. Mais, généralement, comme pour “Blizzard”, c’est d’abord la musique puis la vidéo. Ce qui est intéressant c’est qu’on travaille sur des trucs pour la suite et on a envie de faire l’inverse : écrire un petit film et ensuite rajouter de la musique à ça. On espère que ça va accompagner la deuxième partie de “Vieux Frères”.
Justement, cette seconde partie de “Vieux Frères” est prévue pour la fin de l’année. Pouvez-vous être plus précis ?
F : Toujours pas. Pour la production, on est complètement indé donc on n’a pas de label qui nous presse, qui nous mette de délais. D’ailleurs, si on avait eu un label à qui on aurait dit vouloir faire un album en deux parties, je pense qu’il se serait foutu de nous. On ne veut pas qu’il y ait plus d’un an entre la première et la deuxième partie car c’est vraiment deux morceaux de la même histoire. Il y a déjà une partie qui a été écrite, mais la deuxième partie de l’histoire on est encore en train de la vivre. On retarde presque le moment le plus possible pour pouvoir coucher tout ça sur la bande car on veut que lorsque ça va sortir, cela soit le plus actuel possible.
On a déjà travaillé dessus au moment du premier album car c’est là qu’on a décidé d’en faire deux comme on avait un peu trop de chansons, on ne voulait pas tout mettre d’un coup. On a mis les chansons dans l’ordre chronologique, on a coupé à un moment donné, aux deux tiers environ, on a gardé le tiers ou le quart restant pour la suite. On s’est dit on va pouvoir continuer d’engranger des souvenirs, en rajouter et dire plus de choses. En avril, on s’est posé pour écrire, on a fait toutes les instrus et on a figé tous les thèmes qu’on voulait aborder. On a fait le gros œuvre, maintenant il faut faire les finitions. Mais avec les festivals c’est compliqué, donc on enregistrera en septembre.
Quels thèmes retrouvera-t-on ? Dans ce deuxième album, vous serez toujours en thérapie ?
F : Oui, on est toujours en thérapie. Les thèmes évoluent avec nous aussi. On progresse. On ne va pas parler du bureau alors qu’on n’y est plus. Il y aura forcément une ressemblance puisque ces thèmes sont nos chevaux de bataille. Ce sont les sujets qui nous font du bien ou qu’on a besoin d’évacuer, des choses qu’on a envie de dire. Mais je pense qu’il sera plus lumineux que le premier, plus adulte, moins ado attardé.
L’utilisation de la vidéo sur scène ne se fait-elle pas au détriment de la spontanéité ? Est-ce un choix de votre part de tout maîtriser dans la mesure où c’est assez millimétré et qu’on ne verra pas un solo de guitare ou de batterie par exemple ?
F : Ce n’est pas millimétré mais séquencé. Le problème, c’est qu’il n’y a aucun mec de Fauve qui est capable de faire un solo de batterie. Il y a quand même des petites évolutions. Les images ne sont pas les mêmes sur une même chanson d’un concert à l’autre. Déjà le fait que ce soit mixé en direct ça joue. Par exemple, sur “Infirmière”, on ne retrouvera pas les mêmes images car on a en stock plusieurs images qu’on balance un peu comme on veut à notre sauce. Ça participe à mixer un peu le truc. Il n’y aura jamais de poursuite avec un solo de batterie car on n’a pas de batterie. Avec les machines, on peut avoir un rendu spontané, plus qu’avec une guitare que tu dois apprivoiser techniquement. Avec une machine il y a toujours une période de compréhension, mais ça reste au final une sorte d’extension de toi-même puisque tu appuies sur des boutons pour déclencher des trucs que tu as mis dedans à la base et au final ça devient hyper spontané. C’est chouette.
Vous avez rempli le Bataclan à plusieurs reprises. Est-ce que dans une telle configuration tous les concerts se ressemblent ou au contraire, chaque concert est unique, chaque soir vous arrivez à faire et vivre quelque-chose de différent ?
F : Le problème qu’on a, encore une fois, c’est que tout est séquencé. On a besoin d’avoir des samples sur scène, des sons de batterie, des percus… lancés sur des pad mais ce sont des sons synthétiques et pour obtenir ça on est obligés d’utiliser certaines machines. Ce n’est pas comme avec une vraie batterie, un vrai guitariste, en plus on est vraiment de mauvais musiciens. On s’améliore avec le temps mais ce n’est toujours pas la folie. Du coup, on est obligés de séquencer les morceaux. On peut les changer d’un concert à l’autre, c’est ce qu’on fait de temps en temps, mais là où on va essayer de faire la différence entre chaque concert ce n’est pas sur la structure, à la limite ça peut être sur l’ordre des morceaux, mais c’est dans la façon dont on va le jouer. Il n’y a aucun concert qui se ressemble. Nous, on ne chante pas. C’est comme pour les images, le bouton n’est jamais poussé au même moment, de la même manière. On n’a pas beaucoup d’impro, quasiment pas sur ce qui est instru, on n’a pas de chorégraphie non plus. Nous on le ressent pas comme rigide. Après quand tu vas voir un concert d’un groupe de rock qui sait vraiment bien jouer, si tu vois deux concerts, tu te rends compte qu’ils font toujours le solo de batterie au même moment.
Quels sont vos pires et meilleurs souvenirs sur scène ?
F : Cette année, le meilleur c’était à La Rochelle pour les Francos. C’était dément. Il y a eu les Eurockéennes l’année dernière aussi.
Le pire : à Montauban c’était un peu dur. On a eu un problème technique pendant une demi-heure. La bonne grosse fichade. On a eu plein de galères aussi à Aulnay-sous-Bois, c’était affreux. Ça nous a sorti du truc et on a eu l’impression que personne n’avait envie d’être dans la salle. Il y avait du monde mais c’était très froid.
Mais il y a aussi tous les concerts qui ont été annulés et forcément ce n’est pas un bon souvenir de concert puisqu’il n’y en a pas eu. Mais globalement on n’a que de bons souvenirs. Il y en a certains où on est moins content que pour d’autres, forcément, mais on en retire toujours un petit truc. Les mauvais souvenirs ça devient des histoires drôles à raconter.
Dans vos textes vous êtes assez rageurs, mélancoliques. Mais sur votre site, vous écrivez être “désespérément optimiste”. Comment être à la fois en colère et optimiste ?
F : Ce n’est pas une colère vengeresse donc ce n’est pas antithétique d’être rageur et optimiste. L’un va avec l’autre. Il faut bien lire les textes, les écouter, mais dans quasi tous les morceaux il y a une porte de sortie. On n’est pas défaitiste, ni dépressif, ni cynique, ni résigné ni misanthrope mais alors pas du tout. On est peut-être un peu bancal ce qui entraine des fois une forme de colère et de désarroi, ça c’est certain. On n’est pas énervé. Sur “Nuits Fauves”, le troisième morceau, il y a tout de suite un peu de naïveté agissante, de rage positive. On est fragile et c’est pour ça peut-être qu’on est tous copains à la base. On est un peu tous des branquignols, mais avec aussi une espèce de détestation de cet état-là. Tu as envie d’être bien, d’être vivante et ça te saoule d’être abattu donc tu sors les crocs. C’est pour ça qu’on a fait Fauve. Donc pour nous ce n’est pas du tout paradoxal d’être enragé et positif. Il y a un côté fougue, herbes folles.
Avec qui pourriez-vous faire un duo sur votre album ?
F : Il y en a déjà eu. Mais ce serait avec des gens comme nous. C’est une question qui revient souvent en ce moment. On a vraiment beaucoup d’envies. On a eu la chance, le privilège, grâce à nos tournées, de rencontrer des gens pour qui on a de l’estime, qu’on écoutait à fond quand on était plus jeune. On a même eu des propositions, mais pour l’instant, ça parait bizarre, il faut encore qu’on pousse Fauve tout seul au maximum. S’il y a des collaborations, c’est toujours avec des potes ou des gens qui sont comme nous, c’est-à-dire un peu en solo, un peu débutants, pas établis. Georgio, sur la chanson “Voyous” sur l’album “Vieux Frères Partie 1” c’est un copain qu’on aime beaucoup. Il y a des artistes avec qui on se dit que ça collerait bien. C’est même un rêve presque mais on se dit qu’il faut attendre. Mais peut-être un jour, on ne sait pas. Un jour, peut-être, on fera ce fameux featuring avec Daft Punk ou Jamiroquai.
Comment vivez-vous le débat que vous suscitez, le fait qu’il y ait des “pro” et des “anti” Fauve ?
F : On s’est rendu compte que c’était assez particulier pour nous. C’est arrivé par la suite. En vrai, soyons sérieux deux minutes, si tu ne fais pas l’enfant et que tu essaies d’être un tout petit peu gaillard, tu te rends compte que tu as déjà tellement de chance qu’il y ait trois personnes qui t’écoutent et te permettent de pouvoir vivre de ça, d’avoir quitté ta vie de merde que tu n’aimais pas d’avant, d’être sur la route avec tes potes…il faut être un tout petit peu dans la gratitude. Si tu commences à chialer parce qu’il y a un mec sur YouTube qui t’a insulté, tu n’es pas sorti de l’auberge. Et c’est vrai qu’il y a des gens qui dégustent parce qu’ils sont tous seuls. On est une meute de potes. Au début, on n’était pas prêts pour ça. On s’est pris le truc un peu violemment. Comme dit Booba : “Si t’aimes pas t’écoutes pas.” Mais aujourd’hui, on a trop de trucs à profiter, on n’a qu’une vie. C’est déjà une chance d’être là, on ne va pas cracher dans la soupe. En plus, on a notre conscience pour nous. On sait d’où on vient, on sait pourquoi on fait les choses.
Votre débit de paroles est impressionnant sur CD et encore plus sur scène, cette diction quasiment parfaite et très rapide ça résulte d’un entrainement intensif ?
F : C’est du play-back. (rires) Ça n’a pas toujours été comme ça : au début ça bafouillait à fond. C’est de l’entrainement, quand tu fais plus de cent concerts à dates très rapprochées, au bout d’un moment ça vient. C’est une gymnastique en fait mais c’est aussi un petit challenge. Je me dis que j’ai un taf à faire sur scène avec tout un crew autour qui se casse le cul pour que ça tienne la route, si toi tu ne fais pas ça proprement alors vas te coucher. Change de potes.
Sinon, vous écoutez quoi comme musique en ce moment ?
F : “Formula One” de DJ Visage. Des trucs un peu futiles, pour rigoler, qu’on écoutait quand on avait dix ans genre les Spice Girls. Ça c’est pour la détente. Sinon c’est assez divers y en avait qui vont écouter Alain Souchon, mais globalement c’est surtout du rap français et ricain. Mais il y a aussi La Femme.
Vous avez dit à plusieurs reprises qu’une fois qu’il y aura une routine qui s’installera, Fauve n’existera plus. Vous ne craignez pas que cette routine arrive un peu trop vite vu le phénomène, l’engouement, les dates qui s’enchainent ?
F : C’est une très bonne question car on en a parlé hier ensemble. Ce n’est pas que Fauve n’existera plus, c’est qu’il se transformera pour butter la routine autrement. Ce sera la séquence d’après, le projet d’après. On en parle déjà entre nous. On n’aime pas trop s’avancer, on n’a jamais été carriériste. On commence déjà à réfléchir à l’après, qu’est-ce qu’on va faire ensuite. Fauve nous a beaucoup occupé cette année, on l’a fait, on a été au bout de nos trucs, on s’est battu pour ça, on a beaucoup travaillé, on va continuer… L’idée c’est que ça ne sera jamais une vache à lait. Là on commence à se demander comment on va faire pour commencer à lever le pied un peu et penser à la suite, à ce qu’on voudrait faire d’autre, ce qui nous intéresse. Ce qui nous botte à fond c’est notre projet de film. On songe à peut-être faire plus de vidéos, peut-être pour d’autres personnes ?
Avez-vous été sollicités pour faire des B.O. ?
F : Oui, mais on préfère attendre un peu. Ça nous intéresse carrément, mais pour l’instant on se laisse un peu de temps et encore une fois on ne sait pas si on a les compétences pour. Mais on aimerait bien essayer un jour.
Quand la seconde partie de “Vieux Frères” sortira, vous envisagez déjà une prochaine tournée pour présenter cet album sur scène ?
F : Oui, on y pense, mais toute la question c’est de savoir comment on va le faire car on veut commencer à lever le pied et on ne pourra pas physiquement refaire la tournée qu’on a faite depuis un an. C’est impossible. Il faudrait donc faire moins de dates…
Ce qui impliquerait des salles plus grandes…
F : On est obligé de faire des salles plus grandes. On en parle depuis un mois et on n’arrive pas à se décider parce qu’il faut déjà commencer à prévoir. Ce qui est sûr, c’est que s’il y a une autre tournée, elle sera plus tard, pas tout de suite après la sortie de l’album. On attendra un peu, on prendra une pause. Ça sera plus au printemps prochain. Le problème c’est qu’en France il n’y a pas d’intermédiaires entre les salles où l’on vient de se produire et les Zénith. On s’est toujours dit qu’on ne ferait jamais de grosses salles, que ça nous ressemblait pas, mais on commence à se rendre compte qu’on aura peut-être pas le choix et on se demande comment faire pour que ça soit quand même un truc à la Fauve. C’est un peu anxiogène en ce moment. Ça commence à urger et on n’arrive pas à se décider. On ne voudrait pas s’embarquer dans une tournée qui nous pèse. Une tournée ce sont des moments qui sont censés être super. On se mord la queue tout le temps mais à un moment donné il va falloir trancher. Ce serait rigolo de faire une tournée des caves, à l’ancienne, comme au tout début mais là tu laisses tellement de gens sur le carreau et ce n’est pas cool. Nous, on a toujours du mal à quantifier ce qui se passe, l’auditoire de Fauve mais on sait qu’il est plus vaste que le Bikini à Toulouse ou Le 106 à Rouen qui sont des salles qui se sont remplies en trois jours trois mois avant.
Quelle est la force de Fauve ?
F : L’essence de Fauve c’est tout bête c’est l’amitié. Ce sont nos liens affectifs. Ça parait cucu mais c’est vrai. On est cucul mais il faut des cuculs, il n’y en a plus assez.
La notoriété, le succès, ça n’a pas tendance à détruire votre amitié ?
F : Oh non. Impossible. C’est pour ça que dans le corp il y a toujours des gens qui viennent moins souvent, qui ramènent un peu de fraicheur, qui font temporiser le truc. Il y a toujours tes parents pour te botter le cul et ça c’est bien. Les copines pour te rappeler que tu changes. Il n’y aucune ambition personnelle dans Fauve et celui qui prendra le melon il se sentira con par lui-même de toute façon. On n’est pas prosélyte mais pour le coup, si tu décides de le faire en solo, de rouler pour ta gueule, tu finiras tout seul et là tu pourras t’en prendre qu’à toi-même, tu seras bien comme un con quand tu seras sur ton lit de mort. Nous on veut une vie riche et dense et le meilleur moyen de l’avoir c’est de préserver ça et de faire de Fauve le catalyseur de ça, une boite à souvenirs pour tout le monde, ensemble. Ça sert à quoi de vivre les trucs si tu ne peux pas les partager avec quelqu’un. C’est bien d’avoir des plaisirs solitaires mais notre vision de la vie c’est qu’elle est faite pour être à plusieurs.
Vous êtes encore stressés à quelques heures d’un concert ?
F : Toujours. Le jour où on n’est plus stressé on arrête, ce n’est pas normal. Le stress, c’est rassurant. On n’est pas indifférent à ce qui se passe. Pour ce soir, au début je n’avais pas peur, mais je commence à avoir peur car il v a y avoir beaucoup de monde et puis c’est Paris, y a la famille, les potes, tous les médias, les cousins qui t’aiment pas, les copines, tonton Maurice…
Est-ce que le collectif continu même dans les moments où vous êtes sensés ne plus être en collectif ? C’est dur de décrocher ?
F : On est amis à la base. On partait en vacances ensemble avant Fauve. Mais on est obligé de couper à un moment donné. Ça se fait naturellement. On fait gaffe quand même à se préserver car c’est vrai que Fauve nous bouffe beaucoup de temps et de cerveau. Certains en ont besoin, d’autres pas. En l’occurrence, on part tous en vacances ensemble cet été. Ça va être très chouette, on part à dix au moins.
En tous cas vous êtes très humbles…
F : C’est du marketing ça, c’est réfléchi. De toute façon, on est trop pour ne pas être humbles. Ce n’est pas possible de trouver une troupe de 20 mecs qui ont tous la grosse tête. Déjà on ne rentrerait pas dans le bus et on s’égorgerait tous entre nous…
Site web : fauvecorp.com