Interviews

MATMATAH (01/02/17)

A un mois de la sortie du nouvel album “Plates Coutures”, RockUrLife a rencontré les plus célèbres des rockeurs bretons, à Paris. Trois des quatre membres de Matmatah nous racontent sa reformation, son retour à la composition, et bien sûr son retour sur scène.

Question simple pour démarrer : dans quel état d’esprit êtes-vous à un mois de la sortie de votre nouvel album ?

Tristan Nihouarn (chant/guitare) : Ca va ! (rires) Tout est lancé. On est forcément un peu tendu, parce qu’on a passé pas mal de temps sur ce disque. Comme on passe pas mal de temps sur un disque en général, en fait. C’est un travail qui se fait sur une période assez longue, où on se pose énormément de questions, et on essaye plein de choses. Et puis il y a un côté très narcissique aussi, puisque pendant des mois on écoute qu’une seule chose, c’est nous-mêmes ! Donc on en a un peu marre de s’écouter (rires), on arrive vraiment au moment où on lâche le bébé, et ce qui est cool c’est qu’on n’aura plus à l’écouter pendant quelques temps. (rires) Donc voilà, c’est un accouchement. On l’abandonne pas non plus, mais bon, on va le laisser aux gens.

Par rapport à cet album, une tournée se prépare, et beaucoup de dates sont déjà complètes. Vous attendiez-vous à un tel engouement pour votre retour ?

Tristan : On avait annoncé la tournée avant même d’annoncer le disque, et on a vu que ça se remplissait très rapidement. Quand on a annoncé une date à l’Olympia pour jouer après dix ans d’absence, sans rien dire d’autre, c’était un peu culotté quand même, on savait pas trop où on mettait les pieds. Et il se trouve que ça se passe très bien. Ca, c’est pour la tournée. Et le petit plus pour nous – enfin, je dirais pas “petit plus”, parce qu’il était hors de question pour nous de remonter sur scène pour faire uniquement les vieux morceaux, c’est pas le genre de la maison – c’est la sortie de l’album. Nous, on voulait refaire un disque, mais on a choisi de pas l’annoncer tout de suite, de le garder pour nous, de mentir à notre entourage pendant des mois, c’est très fatiguant aussi d’ailleurs. Bref, voilà, c’est deux choses différentes, mais ce qui est important pour nous c’est qu’on va proposer nos nouveaux morceaux sur scène. Et puis les anciens aussi, on sait très bien que le public a répondu présent pour les anciens, au moins en partie.

Eric Digaire (basse/chant) : On espérait, effectivement, que les gens soient contents, mais on a été très agréablement surpris des premiers échos qu’on a pu avoir, des commentaires sur les réseaux sociaux aussi. Les gens ont envie de nous retrouver pour certains, de découvrir pour d’autres, et donc pour en revenir à notre état d’esprit, on est aussi impatient d’y aller. L’album on l’a fait nous, là c’est bon on le connaît (rires) donc maintenant on veut y aller.

 

 

Vous êtes donc de retour après une absence assez longue. Que s’est-il passé pendant ces années, l’envie de rejouer ensemble vous a t-elle travaillé un moment, ou est-ce au contraire une idée très récente ?

Eric : Quand on a pris la décision d’arrêter, c’était en 2008, on a vraiment tourné la page. On a fait le deuil chacun de notre côté assez naturellement. Certains d’entre nous ont continué à faire de la musique, mais en ce qui concerne ce projet là, on ne s’était même pas posé la question. On avait dit que c’était fini, c’était fini. Et il n’y a jamais eu de frustration. On s’est jamais retrouvé en se disant “oh bah ce serait trop bien qu’on remonte sur scène”. Parce qu’on nous l’a proposé plusieurs fois, pour des dates anniversaire par exemple. Mais il était hors de question de remonter sur scène pour faire juste une sorte de jubilé, ou une antépénultième dernière date de la dernière tournée d’adieu, ou un auto-tribute. (rires) On a eu toutes sortes de propositions pendant des années, mais comme il n’y avait pas de manque. Chacun a continué sa vie, et c’est l’une des raisons pour lesquelles on s’était arrêté aussi, c’est parce qu’on avait envie de faire autre chose, et de sortir de cette espèce de redondance tournée-album-tournée-album. Donc on a complètement arrêté, ça a pris le temps que ça a pris, et puis quand on a pu se poser et rediscuter de où on en était quelques années après.

Tristan : Moi je pense que j’ai été drogué ces soirs-là. (rires) Sinon je serais jamais revenu ! (rires)

Eric : C’est toi qui m’a demandé de signer, après ! (rires) Enfin voilà, c’est là que l’envie est revenue. En tout cas, on n’a pas passé dix ans à aller voir des concerts tout le temps, ou justement à s’en priver pour éviter d’y penser.

Tristan : On a juste retrouvé une vie normale, parce que pendant toute la période du groupe jusqu’à 2008, on n’a pas eu une vie très normale. (rires) C’était bien hein, mais…

Eric : C’est pas normal de dormir tous les soirs dans une ville différente ? (rires)

Tristan : On a peut être eu l’impression de rater des choses un peu, des choses que nos potes normaux vivaient, eux. On avait cette vie à rattraper aussi, donc on en a profité et… Et puis on est retombé dedans ! (rires)

Cette longue pause a changé votre façon de travailler ensemble en studio, ou avez-vous au contraire retrouvé de vieilles habitudes ?

Eric : On a toujours eu plusieurs façons de travailler, déjà. Il y a les musiques qui sont apportées par chacun, il y a celles qu’on fait tous ensemble, il y a des trucs qu’on fait à deux, à trois. Et comme on a quand même quelques albums à notre actif, on s’y est remis très naturellement. On ne s’est pas posé la question, et certains titres sont arrivés très vite comme ça pouvait être le cas sur le premier album, d’autres sont arrivés plus tardivement. On n’a pas vraiment choisi, et toutes les façons de faire sont arrivées sur cet album.

Tristan : Avec la technologie d’aujourd’hui en plus.

Eric : Voilà, technologie qui nous a permis de dire “ah bah tiens j’ai fait une guitare, je t’envoie le fichier, est-ce que tu peux réfléchir à faire une basse ?” (rires)

Tristan : Il y a quelques trucs qu’on ne pouvait pas faire il y a dix ans. L’accordeur, par exemple, nous a beaucoup aidé sur cet album. (rires) Plus sérieusement, on s’est quand même vu hein ! (rires) Et quand on s’est retrouvé, ne serait-ce que pour travailler sur les deux inédits qui étaient sur “Antaology” (ndlr : coffret best-of, septembre 2015), on s’est rendu compte quand même qu’on avait toujours nos automatismes. Il n’y avait pas grand chose qui avait changé de ce point de vue là.

Eric : Personnellement, j’ai un peu la même impression que quand tu mets pause sur un film. Au moment où tu reprends, tu repars où tu t’étais arrêté. Tu n’as pas un résumé des épisodes précédents. Donc quand on s’est retrouvé, qu’on a commencé à rejouer ensemble, qu’on a retrouvé un processus d’écriture et de composition, c’est juste qu’on a nous-mêmes décidé de continuer, et du coup ça s’est fait très naturellement. A tel point qu’on s’est même parfois regardé en disant “Eh mais…

Tristan : … on ne l’a pas déjà fait ça ?” (rires)

Eric : Voilà (rires) ou alors : “C’est hier qu’on a joué ensemble la dernière fois ? Ah bah non, c’était il y a neuf ans.”

Tristan : C’est marrant d’ailleurs, on est en pleines répétitions pour la tournée, et la mémoire est assez intéressante. Sur des morceaux qu’on n’avait pas joué depuis 2001, il y a des automatismes de scène qui reviennent. Quinze ans après, on se dit “ah ouais c’est vrai, je faisais ça !”, parfois sur des petits détails, ou alors “mais oui, j’étais même là, à cet endroit de la scène, à ce moment là, sur ce morceau là”.

Emmanuel Baroux (guitare) (ndlr : qui a intégré le groupe à sa reformation en 2016) : Du coup, de mon côté, les regarder travailler ensemble était hyper intéressant. C’est marrant de voir des gens que tu connais séparément, ou en tout cas sans les avoir vu jouer – parce que c’est quand même un truc relativement intime – retrouver ces automatismes. Notamment par rapport aux voix, puisque c’est quand même une signature de Matmatah. En studio, tu ne démarres pas directement les chansons par les voix. Donc au moment où ça arrive, le fait de les voir se mettre en place tous les deux, décider de qui allait faire quoi et quand, moi c’est là que j’ai vu le plus leurs automatismes. Dans la façon de construire et de ciseler les compositions aussi. Mais c’est vraiment avec les voix que tout a pris forme.

 

 

Vous étiez-vous fixé un objectif en entrant en studio, outre le fait de faire un album ? Une idée de ce à quoi vous vouliez qu’il ressemble ?

Tristan : Oh oui comme d’habitude ! Et puis on ne l’a absolument pas respecté. (rires)

Eric : Il y a quand même un objectif qu’on a respecté, c’est qu’on ne voulait pas faire un album de briscards plus capables d’élever le tempo et qui ont baissé toutes les tonalités quoi. On voulait quelque chose d’assez énergique.

Tristan : Après on avait aussi dit qu’on voulait quelque chose de frais, léger, avec des thèmes enjoués. Bon ça c’est raté. (rires) Finalement c’est assez incontrôlable un processus d’album. On commence par une première chanson, qui en général reste la chanson un peu étalon jusqu’à la fin, puis l’album se construit de lui-même. Tu plantes une graine, mais tu ne sais pas exactement quelles seront les branches qui vont pousser. Tu peux tailler un peu, mais la plante elle pousse comme elle a envie. Mais on voulait un album rock, je pense que c’est un album rock.

L’album est effectivement assez sombre, et parsemé de constats plutôt pessimistes sur l’humanité et la société. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour aborder tout cela ?

Tristan : C’est toujours un mélange de tout, dans l’observation du monde qui nous entoure. Après, nos parcours personnels peuvent se mélanger avec ça, et à partir de là, on construit des personnages qui deviennent les narrateurs des chansons, ça reste toujours un rôle qui est créé à chaque fois, nous on est un peu témoins de ça.

Emmanuel : Après en ce qui concerne les chansons les plus… Disons, “concernées”, de l’album, c’est pas compliqué hein, tu allumes la télé, sur une journée tu as largement assez de sujets à aborder. Nous, on a une réflexion dans la forme, dans la façon de le dire, qui est importante. Mais le matériau de base ne manque pas.

Tristan : Il y a plusieurs démarches possibles quand on écrit des chansons. Certains musiciens préfèrent faire de la musique pour divertir les gens, justement pour les sortir de cette merde ambiante, et je respecte aussi. Chacun réagit à sa manière. Sans être moralisateur – parce qu’on ne considère pas que ces chansons soient “engagées”, on parlait effectivement de chansons “concernées”, plutôt – j’estime qu’on a le droit d’avoir un point de vue. Après, c’est intéressant d’apporter un point de vue qu’on a pas lu ni vu quelque part. De ne pas rapporter le propos d’un autre. C’est peut être un peu prétentieux, mais on aime se dire “tiens ce que je pense là, et la façon dont je vais le dire, je l’ai jamais lu”. On n’est pas là que pour divertir non plus. Et j’ai l’impression que dans le rock, il y a de moins en moins de gens qui parlent de certaines choses comme celles-ci.

Eric : Et puis avec ce retour, ce qui est bien, c’est qu’on a eu le temps. On a pu discuter, jouer, se faire écouter ce qu’on avait préparé chacun. Donc on a eu de longues discussions sur différents thèmes, et qui ne sont pas juste des discussions de tournée autour de “oh comment était le concert aujourd’hui” et “où on joue demain”, ni des prises de tête sur des tempos ou ce genre de chose. Là on a eu le temps de vivre, de se forger des avis, de les partager.

Tristan : Écrire un texte après avoir refait le monde tous ensemble autour d’une table à quatre heures du mat’, c’est pas pareil que d’écrire tout seul. On refait rarement le monde tout seul au bord d’une table. (rires) Donc les textes s’en ressentent forcément sur l’album.

 

 

Après tous ces constats relativement sombres, la dernière phrase de l’album est “ils ne l’emporteront pas”, comme un message d’espoir. Êtes-vous optimistes quant à l’avenir ?

Emmanuel : Je pense que c’est moyennement engageant. Mais en même temps – sans aller jusqu’à dire que Matmatah est porte parole de quoi que ce soit – dès qu’on dit des choses, c’est qu’on a une volonté de partager une vision avec les autres. S’il n’y a pas ce partage, s’il n’y a pas d’espoir, forcément on n’avance plus.

Tristan : On est des misanthropes optimistes. Ou des philanthropes pessimistes. Ou un mélange des deux. (rires) Mais oui, on espère quand même qu’il y a quelque chose de beau chez l’humain.

Emmanuel : Après, ça commence à faire un moment qu’on se dit “2012 ? Oh, 2013 ça va être mieux… 2013 ? Oh, 2014 ça va être mieux… 2014 ?” et ainsi de suite. Donc c’est bien de courber le roseau un peu plus à chaque fois, mais au bout d’un moment on a le droit de se dire “merde”. Et là clairement, quand les textes sont arrivés sur les chansons, on s’y est tous retrouvé. On n’est pas des donneurs de leçons, mais c’est du constat pur et simple. On est tous d’accord pour dire qu’actuellement, on a connu mieux quand même.

Pensez-vous que la musique, ou l’art en général, peut aider à ce que ça aille mieux ?

Tristan : En tout cas, si ça peut aider à ce que les gens ne s’endorment pas, déjà. Il y a certains mouvements qui s’essoufflent, certains médias qui ont tendance à endormir les gens. C’est peut être un peu prétentieux, mais si on peut maintenir les gens un peu éveillés, c’est déjà ça.

 

 

Dernière question : notre webzine s’appelle “RockUrLife”, alors tout simplement, qu’est-ce qui rock votre life ?

Tristan : La curiosité, toujours.

Eric : Et la rencontre.

 

 

Site web : matmatah.com