C’est lors de leur visite à Paris en septembre dernier que nous avons rencontré Matt Heafy (chant/guitare) et Paolo Gregoletto (basse) afin de parler de leur nouvel opus “The Sin And The Sentence”.
Vous êtes un groupe depuis environ quinze ans et vous allez sortir votre huitième album, ça a du être un sacré périple !
Paolo Gregoletto (basse) : Carrément, on a quand même mis douze ou treize ans pour parcourir ce chemin. Nous avons écris notre nouvel album il y a à peu près un an et demi. On a même commencé à composer des démos peu de temps après avoir fini d’enregistrer “Silence In The Snow“, c’était comme une transition naturelle entre ces deux albums. On a tourné, composé entre temps à partir du moment où on a eu Alex avec nous en novembre 2016. On a eu pas mal de temps pour réfléchir à ce qu’on voulait faire mais je trouve que ça en valait la peine. Je pense qu’on a réussi à avoir une vision claire de l’album en prenant tout notre temps. On s’est rendu compte que lorsqu’on prend le temps de s’entraîner et se retrouver, on crée nos meilleures compositions.
L’an passé vous avez ressorti “Ember To Inferno”. Est-ce que c’était un moyen pour vous de faire honneur à cet album qui a lancé votre carrière avant le nouvel opus ?
Matt Heafy (chant/guitare) : C’était plusieurs choses à la fois. Quand “Ember To Inferno” est sorti nous étions si excités ! Nous n’avions jamais été un groupe signé sur un label, on a acheté des encarts publicitaires dans les magazines de guitares, dans les journaux locaux. Je me revois me rendre dans un magasin spécialisé le jour de la sortie de l’album et ne trouver aucun un seul exemplaire. Je me suis dit “peut-être qu’il est en rupture de stock ?” alors j’ai demandé au vendeur s’il avait l’album de Trivium et il avait aucune idée de ce que c’était. On ne pouvait pas trouver l’album en Floride, ni même aux Etats-Unis car c’était un petit label allemand qui l’avait sorti qui depuis est devenu bien plus conséquent et distribue comme il se doit les opus de leurs artistes. Quand ils ont réussi à réparer leur système de distribution un an et quelques plus tard afin de commercialiser “Ember To Inferno”, “Ascendency” était déjà sorti, ce qui a complètement éclipsé la sortie de notre premier opus. Environ dix ans plus tard, nous avons récupéré les droits de l’album auprès du label indépendant qui les détenait et on a attendu le bon moment pour nous en servir et ressortir l’album. L’idée derrière “Ember To Inferno: Ab Initio”, était de montrer les débuts de Trivium jusqu’à la sortie de “Ascendency”. En prenant d’un côté “Ember To Inferno: Ab Initio” et de l’autre “The Sin And The Sentence“, on obtient toute l’histoire de Trivium, c’est littéralement tout ce que l’on est et un bel hommage à ce qu’il y a entre ces deux albums faisant offices de presse-livres.
Parlons un peu de “The Sin And The Sentence”. Vous avez commencé cette nouvelle ère en sortant le single du même nom. Quelle était votre inspiration pour ce morceau et pourquoi sortir ce dernier en premier ?
Paolo : Je pense que l’inspiration musicale derrière cette chanson est l’envie de vouloir rendre cet album plus intense et agressif avec plus de riffs et de dynamisme que notre dernier album en date. Dès qu’Alex s’est joint à l’aventure on s’est rendu compte qu’on pouvait mener cette envie plus loin que prévu. Quand on a eu la musique et qu’on a commencé à avoir les paroles, je voulais que cet album reflète la dynamique dans laquelle notre société ultra connectée vit en utilisant la chasse au sorcière comme une métaphore. La justice populaire qui se joue devant nos yeux chaque jour si quelqu’un commet une erreur ou qu’il ne fait pas partie de la masse, on les attaque. Je crois que les gens ont interprété les détails du clip comme des références religieuses, même si cette chanson n’était pas du tout sur ça. Mais je pense que les interprétations des visuels et le sens que ce titre a pour moi sont tous les deux corrects, chacun peut en tirer ce qu’il veut. En soi, c’était surtout utiliser la chasse aux sorcière comme une métaphore dans notre société.
Comment étaient les réactions de vos fans suite à ce titre plus agressif ?
Paolo : On a instantanément eu que des commentaires positifs, ce qui est rare pour nous. C’est aussi assez ironique quand on repense au message de la chanson disant que si tu fais quelque chose de mal, tous le monde se retourne contre toi sans hésiter. C’était impressionnant d’aussi voir l’inverse lorsque tu fais quelque chose que les gens apprécient, on a reçu beaucoup d’éloges, c’était incroyable comme sentiment. On s’était préparé au meilleur comme au pire ! Notre dernier album était un succès pour nous surtout aux Etats-Unis avec notamment “Until The World Goes Cold”, mais en rajoutant de l’intensité, des screams, c’est comme si on avait frappé dans le mille pour tous les gens qui ont un jour apprécié notre groupe. C’est aussi pour ça qu’on a choisi “The Sin And The Sentence” car elle possédait à la fois les mélodies et la brutalité présents dans l’album.
Vous vous reconnectez en quelque sorte avec des sonorités plus présentes durant les premières années de Trivium.
Matt : On n’a pas voulu récréer ce qu’on a déjà fait avec cet opus mais par contre on a observé tous les facteurs et conditions qui nous ont permis de créer ces sonorités de nos albums préférés. On a réalisé qu’on aime vraiment tout ce qu’on a fait mais “Ascendency”, “Shogun” et “In Waves” reviennent toujours comme nos favoris. Du coup on s’est demandé ce qu’on faisait de différent par rapport à nos derniers opus et avant on composait tous les quatre enfermés dans une pièce sans que personne nous dise quoi faire, avant l’arrivée d’un producteur, du label. Juste nous quatre tellement passionnés par ce qu’on a pu écrire et composer que l’on attend d’avoir quasiment complété l’album avant d’en parler à qui que ce soit.
C’est un processus très organique.
Paolo : Exactement, c’est comme ça que ça fonctionne normalement quand tu es dans un groupe avant qu’il y ait toute sorte de pression. Tout ce que tu fais c’est pratiquer et répéter ! J’ai lu un bouquin sur ça et tout les groupes qui réussissent le mieux sont ceux qui répètent ensemble au maximum. On entend des légendes comme Black Sabbath qui enregistre leur deux premiers albums en quelques jours et tu te demandes “mais comment est-ce qu’ils font ça ?”. L’inspiration ne leur est pas venue par magie c’est au contraire que de la pratique, ce sont des groupes qui beaucoup font des bœufs par exemple. On a vite tendance à se détacher de cet aspect, tu fais tes démos sur ordinateur avant de les présenter à tes bandmates. Parfois tu es obligé de commencer le processus comme ça mais tu es obligé de repasser par l’étape “garage band” et jouer avec tes potes. De cette manière tu peux t’inspirer de la vibe des autres et c’est comme ça que j’arrive à savoir si mes riffs plaisent au reste du groupe, je peux aussi donner mon avis directement quand j’entends quelque chose.
Matt, tu as eu quelques soucis avec tes voix ces dernières années et sur cet album tu sembles nous présenter une nouvelle facette de celle-ci. Comment as-tu pu surmonter ces problèmes et être à l’aise sur ces nouveaux titres ?
Matt : L’une des meilleures et pires choses qui me soit arrivé dans ma vie était de perdre ma voix à la fin du cycle de “Vengeance Falls”. Après avoir vu beaucoup de docteurs et réalisé que ça n’allait pas mettre en péril ma carrière malgré les dommages que ça a crée sur ma voix, mon coach vocal Ron Anderson m’a fait réaliser que j’ai chanté et screamé de manière incorrecte depuis environ quinze ans, ce qui a énormément fatigué mes cordes vocales. J’ai donc du réapprendre à chanter correctement et quand ça a commencé à prendre forme j’ai aussi réappris à screamer. Il y a une vraie technique pour que sur le long terme je n’abîme plus ma voix. Ça a pris du temps, pour moi je n’ai jamais aussi bien chanté et screamé que ces deux dernières semaines ! Les choses continuent de s’améliorer, apprendre ne se limite pas à lire quelques conseils et regarder des vidéos de coachs vocaux, c’est faire un changement dans son mode de vie. Réintroduire des entraînements réguliers même pendant les jours off et s’y tenir même en tournée. Ca a été un changement dans ma vie d’apprendre tout ça, mais je suis content que ça soit arrivé au final surtout que j’ai l’impression de chanter et screamer mieux que jamais !
Revenons un peu à l’album en lui-même. Pourquoi avoir choisi ce son plus brutal ? Vouliez-vous prendre un peu de distance avec les derniers albums ?
Paolo : Ce n’était pas vraiment une question de prendre la distance car “The Heart From Your Hate” et “Endless Night” apparaissent comme une suite naturelle à ces albums. C’est surtout qu’on s’est senti capable d’à nouveau pouvoir créer ces sonorités et d’à nouveau repousser nos propres limites. On a voulu, avec l’arrivée d’Alex, explorer tout ce côté plus technique de notre son ! Et je pense que quand les gens vont l’entendre, et j’ai déjà entendu ça de plusieurs personnes qui ont entendu l’album : c’est une compilation de tout ce qu’on a pu faire et on avait vraiment envie que notre public le ressente comme ça. Je crois que s’il sonnait comme un album nostalgique de nos débuts, on aurait vraiment tout loupé ! On a volontairement fait l’impasse sur les dix ans de “Ascendency” et la possibilité de faire une tournée anniversaire exactement pour cette raison. C’est quelque chose de nouveau, une vraie progression qui va nous mener vers le prochain album.
Matt : On s’est vraiment dit en le composant “c’est notre huitième album, il faut que ce soit le meilleur de notre carrière ou il n’y a aucun intérêt d’en faire un autre !” Cet opus est un vrai pont entre les sept derniers albums, il donne même un sens à tous les autres je trouve.
C’est vraiment un nouveau pallier dans votre évolution musicale.
Paolo : Exactement, c’est réellement le début de quelque chose de nouveau pour nous !
Vous avez sorti “The Heart From Your Hate” en tant que second single. Pourquoi ce titre, qui est le plus calme de tout l’album ?
Paolo : “The Sin And The Sentence” présentait plus l’album en lui même tandis que “The Heart From Your Hate” ressemble plus à ce qu’on faisait sur l’album précédent. Je pense qu’il faut toujours repousser ses limites et il n’y a qu’une seule manière d’écrire une chanson et des paroles de ce type, avec cette vibe si particulière. Si on prend les paroles de “The Sin And The Sentence” et qu’on les met sur la mélodie de “The Heart From Your Hate”, ça ne fonctionnera pas et vice versa ! Beaucoup de fois durant la composition de cet album, nous avions les parties voix et les paroles déjà prêtes ça nous a permis de construire les chansons autour des celles-ci et leurs donner vie comme il se doit ! La première démo n’a rien avoir avec le rendu final, elle durait sept minutes et était beaucoup plus black metal avec un partie thrash ! Mais au final tout ce qui collait avec nos envies étaient le riff des couplets, le refrain et le besoin d’un morceau différent sur l’album, ce qui était très important pour nous. Quand tu arrives à la chanson sept sur les onze de l’album, tu peux commencer à te lasser et avoir l’impression d’avoir déjà tout entendu, comme si tu avais fait le tour de l’album. Tu peux être tenté de revenir au début sans écouter la suite si tout se ressemble. Du coup, on a fait de notre mieux pour que chaque titre ait un but, un sens, avec des sonorités qui collaient aux thèmes abordés. C’était vraiment très important pour nous ! On aurait pu faire une énième chanson heavy mais on aurait trahi cette vision que l’on avait de l’album.
Justement, sur “The Heart From Your Hate” on peut entendre des “choeurs” qu’on retrouve sur pas mal de titres, on présume que vous avez hâte d’entendre votre public scander les paroles en concert !
Matt : Ah oui carrément !
Paolo : C’est exactement pour ça qu’on les a mise là, comme ça en arrivant au concert ils sauront directement quoi faire. Sur ce morceau, je me souviens du moment juste avant la dernière session d’enregistrement, on a fait un session pour réécouter toutes nos démos et c’est en entendant la voix de Matt que je me suis tourné vers Josh notre producteur et lui dire “il nous faut absolument des choeurs” et ça a amené toute la chanson à un autre niveau.
Matt : Quand il a eu cette idée je me suis direct dit que j’en voulais partout. (rires) Heureusement on ne l’a pas fait !
Paolo : On a fait quelques démos avec des chœurs sur des endroits qu’on avait jamais exploité auparavant. Je crois que la seule chanson avec des chœurs que l’on a sorti jusqu’à présent est “A Gunshot To The Head Of Trepidation”. (il réfléchit)
Matt : Sur cet opus on a “Betrayer”, “Sever The Hand”, “Beyond Oblivion”, “The Revanchist”.
Paolo : Je crois surtout qu’on a été capable de les incorporer d’une nouvelle manière. On a vu ce que les autres groupes font et on a essayé de les utiliser en les plaçant comme dans le “hardcore” tout en les adaptant à notre son. On imaginait vraiment des endroits qui rendraient le tout naturel voir même évident. On a joué plus d’un millier de concerts maintenant et on sait comment les gens réagissent. Par exemple, c’est incroyable que notre public chante une partie de “In Waves” que l’on a jamais enregistré officiellement.
Matt : C’est vrai !
Paolo : Le dernier refrain, on l’a jamais enregistré et on aurait dû au final mais j’adore que le public fasse ça ! C’est comme quand j’entends “Fear Of The Dark” version CD, c’est trop bizarre. Il n’y pas de public pour chanter, ça fait vide ! C’est pour ça qu’on a imaginé toutes les parties sur lesquelles on aimerait entendre nos fans chanter.
Matt : J’adore par exemple sur “The Revanchist” il n’y a pas que des choeurs qui scandent des paroles sur tous les refrains, il y aussi des choeurs chantés par le groupe du frère de notre producteur Josh, Too Late The Hero. J’avais vraiment envie d’un refrain digne d’une chanson de Dropkick Murphys où tout le monde chante assis au pub et on l’a fait sur le dernier de “The Revanchist” ! C’est vraiment cool.
Parlons un peu des paroles. Vous nous avez dit plus tôt que l’album a été construit autour de celles-ci.
Paolo : Exactement. Même si on avait quelques idées en terme de musique, les paroles ont immédiatement pris le dessus en terme d’importance.
Les thèmes abordés sont la vengeance, la cruauté, la trahison. Qu’est-ce qui a inspiré tout ça ?
Paolo : Il y avait quelques touches personnelles mais c’était aussi une réflexion sur le monde en lui-même, notre société, la politique, la religion, tout ce qu’on vit au quotidien. Je trouve ça ironique quand les musiciens et personnalités publiques restent dans leurs coins et ne se servent pas de leurs voix pour aborder certains sujets alors qu’ils en ont les moyens ! De notre côté c’est l’inverse, on a besoin de s’exprimer à travers la musique, on a besoin de relâcher ses émotions à travers l’intensité des chansons, pas seulement les paroles. C’est tout aussi dur d’avoir des paroles variées au final sans se nourrir de clichés. On est un groupe de metal mais je veux être sur que l’on ne se perde pas dans les facilités du genre. On essaie toujours de décortiquer, mélanger les idées et redonner du sens à chaque chanson et je trouve qu’on a vraiment réussi à faire ça pour chaque chanson de cet album.
Sur cet album vous accueillez officiellement Alex Bent. Parlez-nous un peu de ce choix.
Matt : Je pense qu’en écoutant l’album on comprend directement pourquoi on l’a choisi ! (rires)
Paolo : En toute honnêteté, on avait besoin d’un mec comme lui. Après trois ans d’aller et venues à faire les mêmes erreurs, il fallait absolument que l’on trouve quelqu’un qui correspondait exactement à nos attentes et besoins. Quelqu’un qui pouvait jouer toutes les chansons de notre répertoire et qui comprend ce que ce groupe représente pour nous, son importance et qui serait prêt à faire tout ce que l’on fait, qui nous correspond quoi ! Tout ces choses… c’est vraiment beaucoup demandé mais c’est ce manque de rigueur sur ces points qui nous a causé tant d’ennuis. Alex nous a envoyé une vidéo de “Rain” et c’était phénoménal, parfait même ! Je me suis dit “du moment que ce mec ne soit pas un psychopathe, il nous le faut !” (Matt rit). Il était juste trop fort ! C’est un batteur incroyablement talentueux et la foi si humble. Il ne prend pas son talent pour acquis, il continue à s’entraîner intensivement, il sait que ça prend du temps et ça correspond exactement à notre musique et notre façon de voir les choses.
Question difficile : est-ce que vous pourriez choisir deux chansons que vous avez hâte de jouer live ?
Matt : Je pense que ça serait “Betrayer” et “Sever The Hand” pour moi. Elles sont si différentes de tout ce qu’on a pu faire auparavant et c’est ce que j’adore chez elles.
Paolo : Probablement “Betrayer” aussi pour moi et “The Revanchist” car c’est une longue chanson et j’ai hâte de voir Alex la jouer !
Vous retournez aux Etats-Unis pour débuter le cycle de cet album. On peut espérer vous revoir bientôt en Europe.
Paolo : Sûrement au printemps prochain !
Matt : Voir en début d’année.
Peut-être un petit retour au Hellfest ? (Ndlr : le groupe y a joué en 2013)
Paolo : Honnêtement aucune idée pour le moment, mais un concert en tête d’affiche c’est certain ! On a fait en sorte de laisser notre agenda libre pour ce genre de proposition, on se laisse encore le temps.
Matt : Le Hellfest était vraiment fou, le Download France aussi. On a fait le Motocultor Festival et c’est vraiment un festival très metal. Le Hellfest est aussi metal mais le Motocultor est plus extrême, on a beaucoup aimé y jouer. J’adore les festivals et le public français ! On a joué dans pas mal de villes, on même fait Cognac où je crois jamais aucun groupe de metal international n’avait mis les pieds. On a aussi joué à Marseille, c’était génial.
Pour conclure, notre webzine s’appelle “RockUrLife”, alors qu’est ce qui rock votre life ?
Matt : Le metal, la nourriture, les jeux-vidéos, le jujitsu.
Paolo : Je dirai les animaux, je les adore !
Site web : trivium.org