Le site du festival ressemble à un vaste champ de bataille après la pluie incessante qui s’est abattue sur la fameuse terre rouge de Belfort. Regard flou, corps endolori par les courbatures, légère gueule de bois et fringues encrassées par la boue, nous affrontons néanmoins la dernière journée avec sérénité. La veille, nous avons pu vivre un live magique de The Cure malgré les intempéries. Sous le ciel couvert, cette 24ème édition des Eurockéennes doit s’achever en fanfare avec une affiche à dominante hip hop, culte et glamour. D’Alabama Shakes à Refused, de Lana Del Rey à Jack White, d’Orelsan à Cypress Hill : qu’il vente, pleuve ou grêle, les Eurockéennes de Belfort sont décidément incontournables.
Campeurs zombifiés et autres races de festivaliers tendance light en bottes de caoutchouc et k-way ne se pressent pas pour voir SET&MATCH sur La Plage. Rien à voir avec leur rap décalé : non seulement le terrain n’est pas tout à fait praticable, mais en plus le show du COMTE DE BOUDERBALA doit bientôt commencer sur la scène de la Green Room. Les Eurockéennes accueillent pour la première fois un spectacle comique, auquel certains préféreront le live des BUTTSHAKERS. Comme d’hab, le timing est serré; il font donc courir, encore courir, toujours courir pour entendre les guitares assassines de THE BRIAN JOHNSTOWN MASSACRE, ou ne rien rater du deuxième passage de REFUSED en France, un mois après le Hellfest. Les suédois allument l’Esplanade Green Room avec, entre autres, “Liberation Frequency”, “Refused Are Fucking Dead” et un “New Noise” beaucoup moins explosif que leur interprétation en fermeture du Groezrock. Ceci dit, une bonne poignée de spectateurs aguerris slamment sur et dans la boue. Leur authentique punk hardcore tranche avec le show hybride de REGGIE WATTS au Club Loggia, ou même la patate bluesy d’ALABAMA SHAKES. Sur la Grande Scène, le concert des américains est largement mené par la grande prêtresse Brittany Howard, leur possédée de chanteuse-guitariste.
Toujours dans le registre de l’envoûtement, LANA DEL REY captivent la foule. Tandis qu’en bas de la scène de La Plage les fans hurlent le nom de l’interprète et reprennent par coeur les paroles et envolées déclamées par ses lèvres à la carnation suspecte, le reste du public, nombreux, conclut chaque morceau d’une ovation largement méritée. Accompagnée d’un petit orchestre de cordes et d’un pianiste, l’auteure du légèrement décevant “Born To Die” sait comment faire vibrer son auditoire. Et pas uniquement à travers la musique. Interrompant le set quelques minutes suite à un problème technique – et les couacs seront nombreux -, elle descend de l’estrade et salue ses fans avec le sourire… avant de retrouver les musiciens sur “Video Games”, le tube qui l’a révélé.
A 20h, CHARLIE WINSTON, le plus parigot des chanteurs britanniques de folk inspi US, prend le Green Room d’assaut. Sa communication et son énergie estompent le fantasme créé par (et pour) l’américaine. D’ailleurs, partout sur le site l’ambiance est à la fete. Les cirés et hoodies valsent, dérapent et se rattrapent les uns aux autres. Certains festivaliers, se rappelant sûrement à leurs folies juvéniles courent, s’élancent au-dessus du sol et glissent sur le ventre à la manière des pingouins. So what? L’atmosphère relax aide (tout comme l’alcool) à exploiter les ressources du terrain en attendant que la figure diaphane de JACK WHITE fasse son apparition sur la Grande Scène. Ou que le collectif trip hop CHINESE MAN commencent à mixer et mettre au pas les danseurs. Plus tot dans la journée, ils ont révélé leur recette à la presse : “C’est souvent le meilleur élément d’un disque pourri qui reste” de leur quete effrénée de samples. Tandis que les marseillais font bouger les bodies devant l’Etang avec le best of de la merde croisée en chemin, l’ex-moitié des White Stripes acquiert l’adhésion du public avec des extraits de “Blunderbuss“, son premier album solo (“Love Interruption”, “Sixteen Saltines”, etc). D’anciens tubes tels que “The Hardest Button To Button” (The White Stripes) ou “Steady As She Goes” (The Raconteurs) entretiennent la flamme allumée, en introduction, par un beatbox de Reggie Watts. La température ne redescend plus. Ainsi, quand le set est brièvement coupé, White continue de jouer pour les premiers rangs en attendant que le son soit rétabli. Efficace et séduisante, la performance de Mr White, ici entouré des Peacocks, est globalement mortelle – tout comme la pianiste du groupe féminin.
22h30, le soleil se couche. Quelques stands de nourriture ferment. Ca sent la fin. C’est triste. Mais la programmation de la dernière soirée peut largement nous mettre de bonne humeur. Les textes (pas toujours) décalés d’ORELSAN attirent beaucoup de visiteurs. Non, l’artiste n’est pas le rappeur désabusé que l’on a trop souvent présenté. Dans la vraie vie, il ne se colle pas d’étiquette : “le rap”, a- t- il déclaré dans l’après midi, “c’est difficile à assumer quand on vieillit”. On peut facilement réfuter cette affirmation; et puis sa musique demeure ouverte et éclectique. Meme qu’il a vu Refused, car il “[savait] qu’ç’allait etre mortel.” Alors à la question : “Si tu penses aux papy rockers comme les Rolling Stones, tu te vois créer du son plus rock par la suite ?”, Aurélien acquiesce énergiquement sous la casquette qui maintient son casque capillaire chatain foncé en place. “Mon premier groupe au lycée, c’était un groupe de fusion.” L’auteur de l’un des plus grands succès populaires de l’an dernier, “Le Chant Des Sirènes”, évoque, entre autres, Dropkick Murphys, passés la veille, et leur “mélange de musique celtique et de punk.” “Avant, j’étais à fond dans Korn, Deftones… (…) J’écoutais Soufly, Sepultura…” Les références d’Orelsan ont de quoi susciter la curiosité. Or, le soir, il donne un live qui n’est pas des plus rock n’roll, bien que l’interprétation de son nouveau single “Ils Sont Cools” éveillent le public de la Green Room.
Cependant, du coté du Club Loggia, on se croirait dans une boite de hip hop… néerlandaise. DOPE D.O.D. mettent le feu avec leurs ambiances auto-estampillées “dark hip hop”. Leurs instrus ne sont pas sans rappeler l’esprit gangsta de CYPRESS HILL. Ces derniers, écumeurs de festivals (quoique face à Miles Kane, qui squatte au meme moment La Plage une semaine après les Solidays, personne ne peut test) doivent jouer pendant 1h15 sur la Grande Scène. Dernier temps fort de cette édition, le concert du quatuor latino 90’s remet les compteurs hip hop à jour. En plus, B-Real, l’un des deux rappeurs, se sent vraiment bien. Tellement bien qu’il allume un cigarillo magique en déversant son flow avec la classe habituelle, de “Insane In The Brain” à “Throw Your Set In The Air” (“Wave it around like you just don’t care”). Les enfants des années 90 écoutent avec nostalgie les titres cultes, chauds comme la Californie, froids comme la dureté de la jungle urbaine.
Pourtant, c’est la tete dans les étoiles que les festivaliers quittent le site naturel de Malsaucy. Après le set de Cypress Hill et le mix de CARBON AIRWAYS sur l’Esplanade Green Room, la COMPAGNIE TRANSE EXPRESS offre un spectacle de cloture onirique. Une fanfare joue sur la scène de la Plage, alors qu’au dessus des modules transportant des musiciens se soulèvent et se déplacent dans les airs. Plus engageante qu’un jeune vidéaste au short en jean élimé nous hélant à coups de “Allez, viens !”, cette invitation au rêve achève efficacement ces trois jours de célébration humaine et musicale.
Crédit photos : Pierre Gregori