Festival incontournable pour tous les amoureux des musiques indépendantes, le Pitchfork présentait pour la sixième édition consécutive une programmation solide dans le majestueux cadre de la Grande Halle De La Villette. Pendant trois jours, des valeurs sûres et des têtes montantes des scènes rock, hip hop et électro se sont succédé sous le toit de fonte du jeudi soir au dimanche matin. RockUrLife vous raconte !
LUCY DACUS – Deuxième concert parisien en deux jours pour Lucy Dacus, qui a eu l’occasion de s’échauffer à la Mécanique Ondulatoire lors de la soirée Pitchfork Avant-Garde de la veille. La jeune virginienne de 21 ans a sorti cette année son premier album, “No Burden”, qui n’est pas sans rappeler certaines de ses compatriotes, Angel Olsen en tête. En ce tout début de festival, ses compositions à la croisée du rock et de la folk séduisent un auditoire restreint mais certainement captivé par la voix forte de l’Américaine. Une bonne manière de commencer ces trois jours de festival.
PARQUET COURTS – Quatre mois après leur dernier passage parisien, les New-Yorkais de Parquet Courts prennent ensuite place sur la scène opposée pour un show toujours aussi revigorant. La setlist met l’accent sur le très bon “Human Performance“, avec des retours dans le passé bien choisis comme les classiques “Borrowed Time” et “Light Up Gold II”. On a connu les musiciens plus loquaces, mais festival oblige, leurs interventions sont moins nombreuses et les titres s’enchaînent pour profiter au maximum de ces quarante-cinq minutes de concert.
SUUNS – Changement radical d’ambiance avec les expérimentations de Suuns : la lumière bleue, froide et électrique, annonce la couleur d’un set sombre et cérébral, tandis qu’une longue complainte orientalisante accompagne l’installation des musiciens. Le public désormais plus fourni (re)découvre en particulier le dernier né de la bande, “Hold/Still”, et son atmosphère oscillant entre le planant et l’oppressant, parfaitement rendue sur scène. Malgré le temps de jeu trop court pour que l’immersion dans leur univers soit totale, les Canadiens se sont révélés ensorcelants et ont préparé les festivaliers à la suite du programme porté vers les voyages électroniques de FLOATING POINTS et de MOUNT KIMBIE.
C DUNCAN – Il fallait venir tôt le vendredi pour ne pas manquer l’un des meilleurs sets du festival. Première performance de cette deuxième journée du festival, Christopher Duncan a baigné la Grande Halle de sa pop douce et aérienne avec classe et décontraction. L’Ecossais se montre bavard et ravi de partager le moment avec nous, ne cessant jamais de remercier le public entre deux morceaux. L’auteur de deux beaux albums, dont le dernier, “The Midnight Sun”, figurant parmi les sorties les plus intéressantes de l’année, est une véritable révélation sur scène, aidé par ses musiciens bien en place et un jeu de lumière agréable. A revoir en salle dès que possible.
EXPLOSIONS IN THE SKY – Là où Godspeed You! Black Emperor avaient rempli à eux seuls le quota post rock du festival un an plus tôt, une autre pointure du genre leur succède en 2016 pour contenter la part de festivaliers avides de murs de son et de mélodies pures. Les guitares reprennent bruyamment leur place au Pitchfork après les bons sets de BRANDT BRAUER FRICK et de FLAVIEN BERGER quand les Texans envoient les premiers accords de “The Birth And Death Of The Day”. Piochant dans leur discographie des titres contemplatifs (“Colors In Space”, “Logic Of A Dream”) ou construits sur des montées en puissance irrésistibles (“The Only Moment We Were Alone”) que le jeu de lumières impressionnant renforce, les musiciens se donnent toujours autant à 100%. C’était déjà le cas lors de leur récente date à Paris, on se déconnecte de l’heure passée en leur compagnie comme si on sortait d’une bulle visuelle et sonore aussi intense que colorée.
BAT FOR LASHES – Détonante entre les déflagrations du post rock et l’exotisme joyeux de TODD TERJE & THE OLSENS qui va suivre, l’unique artiste féminine de la journée est aussi l’une des têtes d’affiche les plus attendues du festival pour sa seule apparition française de l’année. Pour l’occasion, Natasha Khan, la voix et l’âme de Bat For Lashes, entre sous les projecteurs vêtue d’une longue robe rouge et d’un voile de mariée à l’image des thématiques de son dernier effort, “The Bride”. Ce sont d’ailleurs des morceaux issus de ce quatrième album qui ouvrent le concert sur des notes paisibles, portées par la voix claire et assurée de la chanteuse. Le set se poursuit dans cette lignée, ne décollant jamais réellement, mais offrant des moments gracieux et envoûtants, ainsi de la reprise de “Gipsy” d’un des groupes fétiches de la jeune femme, Fleetwood Mac, ou encore de morceaux plus anciens comme “Daniel”.
WHITNEY – Le dimanche, les six musiciens de Whitney arrivent sur scène sous les applaudissements bruyants de premiers rangs déjà bien formés. Le noyau dur de la formation est composé du guitariste Max Kakacek et du batteur/chanteur Julien Erhlich, qui se sont déjà illustrés respectivement chez les Smith Westerns et Unknown Mortal Orchestra. En cette fin d’après-midi, ils interprètent la totalité de leur excellent premier album “Light Upon The Lake” et revisitent joyeusement leurs classiques avec “Tonight I’ll Be Staying Here With You” de Bob Dylan et “Magnet” de NRBQ. Ne cachant rien de ses abus festifs de la veille, le groupe joue dans la bonne humeur et la décontraction générale, malgré la voix parfois mal assurée d’Ehrlich qui carbure au rosé et au houblon. Toutefois, rien de nuisible à la prestation là-dedans; les musiciens assurent et le moment est aussi plaisant à écouter qu’à regarder.
SHAME – Les quelques minutes nécessaires à la transition passent tranquillement, et la suite arrive du bout opposé de la salle dans un tout autre registre. Nouveau venu sur la scène post punk anglaise actuelle, Shame a tout de la bande de sales gosses jouant du rock brut et percutant. Mené par un frontman intenable qui multiplie les aller-retours entre la fosse et la scène en prenant soin d’arroser la première de bières récoltées parmi les spectateurs, la formation dégage une énergie contagieuse lorsqu’elle ne fait pas dans la redite. Rien de nouveau en effet dans la musique que proposent les Londoniens, mais leur formule reste efficace, contentant progressivement une bonne partie de l’assemblée.
MINOR VICTORIES – Voir trois formations en une, c’est possible avec le supergroupe fondé l’année dernière par des membres de Slowdive, Mogwai et Editors. Après le passage des bruyants Shame, on pourrait s’attendre à reposer au moins relativement nos oreilles avec un tel line up, mais c’est sans compter les murs de son formés par les guitares de Stuart Braithwaite et de Justin Lockey dans lesquels se fond la voix éthérée de Rachel Goswell. Les cinq membres présents sur scène livrent un set carré et puissant, tous concentrés sur leurs instruments au risque de paraître trop statiques. Mais qu’importe, la performance est prenante et on aura eu la preuve que le très bon premier essai du jeune groupe de ces illustres anciens se révèle encore meilleur sur scène.
WARPAINT – Des voix féminines vont à nouveau s’élever à la Villette après celle de la chanteuse de Slowdive. La batterie de Stella Mozgawa, la basse de Jenny Lee Lindberg, puis les arpèges clairs des deux guitaristes Theresa Wayman et Emily Kokal résonnent les uns après les autres, et le concert est lancé avec un de leurs plus vieux titres, “Beetles”. Les quatre musiciennes s’autorisent quelques retours en arrière avec les dopants “Love Is To Die” et “Disco//Very”, mais c’est réellement le tout récent “Heads Up” sorti en septembre qui est à l’honneur ce soir. Pendant le show, les rangs se resserrent, témoignant de l’attraction qu’exerce sur la foule la musique hypnotique des Californiennes. Le show devient toutefois linéaire par moments, peu aidé par l’absence de communication, et l’attention se relâche en milieu de set avant d’être à nouveau attirée par le final solide où on peut profiter de “Intro” et “Keep It Healthy”. La prestation sans véritable éclat de Warpaint se retrouve légèrement en dessous de nos attentes, mais on aura l’occasion de les retrouver en salle en mars prochain pour changer d’avis.
Cette sixième édition du Pitchfork français a tenu les promesses des précédentes, alliant organisation efficace et concerts de qualité. Cela a été possible en dépit d’une baisse notable de fréquentation, due à l’absence d’une proportion non négligeable du public étranger d’ordinaire très présent, comme l’ont révélé les organisateurs peu avant le début du week-end. D’un autre côté, si l’ambiance très parisienne qui règne à la Grande Halle est loin d’être celle de festivals en plein air où la fête prime sur l’apparence, elle n’a gâché en rien le bon déroulement de l’événement et les prestations d’artistes en tous genres, entre bonnes découvertes et confirmations. On ne doute pas que ce sera de nouveau le cas à l’avenir et on a déjà hâte d’y retourner !