ChroniquesSlideshow

Taylor Swift – Speak Now (Taylor’s Version)

Poursuivant son combat pour la réappropriation de son catalogue vendu sans son accord, la “Miss Americana” vient de rééditer son troisième album, Speak Now (2010). L’occasion de se replonger dans un disque marquant à plus d’un titre et de peser les pour et les contre artistiques d’une telle démarche.

Une œuvre riche en affirmation

Premier album en tant que compositrice principale, il est celui qui a marqué un tournant vers la sortie de l’adolescence. Entre ses ruptures médiatiques, la tristement célèbre intervention de Kanye West ou les critiques sur sa réelle contribution à l’écriture, ce disque était attendu au tournant après le raz-de-marée commercial qu’a été Fearless (2008). Ce recueil multiplie donc les affirmations, n’étant constitué que de chansons composées exclusivement par Taylor Swift. Aujourd’hui reconnue comme une conteuse de talent, ce point tient visiblement toujours à l’interprète, qui a décidé d’écarter de cette réédition le seul morceau coécrit présent sur la version deluxe originale.

Alors que cette dernière date seulement de 2010, on est instantanément surpris par le travail effectué sur le son. La remasterisation décuple la puissance de certains titres, à l’image de la dimension prise par “Enchanted”. D’une manière générale, on peut constater que les titres ayant le plus bénéficié de cette “Taylor’s Version” sont ceux avec la rythmique la plus marquée. Les fans les plus récents seront d’ailleurs étonnés de découvrir quelques sonorités de rock alternatif. Le spectre oscille entre du Avril Lavigne (“The Story Of Us”) et du Paramore old school (“Better Than Revenge”). On discerne également des influences emo dans la plus pure tradition de Jimmy Eat World sur l’un des meilleurs morceaux de l’ensemble, “Back To December”. Les sonorités sont globalement très variées, mais certains morceaux viennent nous rappeler ses racines country (“Mean”, “Sparks Fly”, “Mine”).

Des changements forts en symbole

Malgré une volonté d’être très fidèle à l’original, une plus grande maturité se dégage de cette réédition. Un peu à l’image de la pochette, dont l’univers princesse/paillette cède la place à un reflet beaucoup plus épuré. Ce n’est ainsi plus une jeune femme de vingt ans qui donne de la voix, mais une artiste qui a eu le temps de perfectionner son chant. Toutefois, cette maîtrise se fait parfois au détriment de la fraîcheur.

Les ballades perdent ainsi certaines aspérités qui leur conféraient un supplément d’âme. L’émotion initiale d’un “Last Kiss” ou “Never Grow Up” semble légèrement altérée. Nous nous retrouvons en effet en présence d’une trentenaire racontant une expérience passée a posteriori. Plus d’une post-ado aux prises avec ses émotions. Autre ado-star, Alex Turner d’Arctic Monkeys confie répugner à jouer ses premières compositions, par conscience de ne pouvoir restituer l’énergie juvénile qui faisait leur force. Si Taylor réussit à être exonérée du manque d’authenticité par le soin apporté, la voix légèrement nasillarde des débuts a irrémédiablement disparu.

L’autre grande absente de ce disque est la fameuse punchline de “Better Than Revenge” : “Elle est mieux connue pour les choses qu’elle fait sur le matelas“. Le temps ayant fait son œuvre, ce reproche adressé à une rivale s’est adouci, devenant : “Il était un papillon de nuit vers la flamme, elle tenait les allumettes“. On peut regretter cette perte d’une partie de son immaturité, qui sonnait pourtant si vrai. On peut également saluer cette volonté de livrer une meilleure version de soi-même, plus en phase avec sa vision actuelle.

Des titres bonus en forme d’hommage

Cette réédition apporte son lot de contenu supplémentaire, reprenant les titres de la version deluxe initiale et six autres complètement inédits datant de cette époque. C’est aussi l’occasion de s’imprégner des influences d’écriture de la jeune femme. Cette dernière a souhaité inviter Fall Out Boy et Hayley Williams de Paramore, qu’elle décrit comme ses principales influences d’écriture de l’époque. Ne vous attendez pour autant pas à retrouver dans ces chansons l’énergie de “Dance, Dance” ou “Brick By Boring Brick”. La collaboration avec Fall Out Boy est tout simplement ratée, ne mettant en avant aucune des deux parties. Hayley s’en tire en revanche avec les honneurs, son timbre complétant parfaitement celui de Taylor sur le très beau “Castles Crumbling”.

Alors que “Ours” et surtout “When Emma Falls In Love” nous incitent à prolonger la rêverie, “Superman” sort du lot pour apporter une instantanéité rafraîchissante. La chanson de clôture “Timeless” (intemporel) fait un parallèle plein d’à-propos avec cette réédition. Cette version rend bien intemporel cet album, accroissant son accessibilité auprès d’une audience que la voix presque enfantine d’origine aurait pu rebuter.

Il serait cependant dommage d’oublier complètement que ces textes ont été écrits par une songwriter très jeune. Se livrer à cœur perdu dans des tirades de six minutes, tant pour accuser (“Dear John”) que pour reconnaître ses erreurs (“Back To December”), c’est fort. Porter un rock symphonique comme “Haunted” à seulement vingt ans, c’est culotté. Ce storytelling fait la force de Taylor Swift, et le sel de ses sorties. Il serait donc regrettable d’occulter la version initiale, permettant de mieux comprendre le personnage et son talent d’écriture précoce.

Les expériences vécues au fil des années et des épreuves transforment. Cela peut être regrettable et satisfaisant à la fois. On a le droit de se montrer impulsif et de s’énerver contre une rivale, quitte à être injuste. On peut également évoluer et vouloir diffuser un message en adéquation avec ses valeurs. Mais on peut aussi continuer de rêver aux contes de fées, à vingt ans comme à trente-trois ans. En cela, Taylor Swift rend parfaitement hommage à l’œuvre originelle et à ses fans, qui prendront plaisir à redécouvrir Speak Now sous un nouvel angle teinté de maturité.

Informations

Label : Universal Music / Island Def Jam
Date de sortie : 07/07/2023
Site web : www.taylorswift.com

Notre sélection

  • Back To December
  • Haunted
  • Better Than Revenge

Note RUL

 4/5

Ecouter l’album