Pour celles et ceux qui voulaient s’en mettre plein les oreilles et vivre une partie intense de moshpits, c’était à Petit Bain qu’il fallait être en ce lundi de Pentecôte. Vended, héritier dans tous les sens du terme du célèbre Slipknot, était de passage à Paris et a régalé son public francilien de son neo metal brutal et sombre.
Profiler
C’est PROFILER, trio de neo metal venu tout droit de Bristol, qui ouvre la soirée un peu avant 19h30. Et quel début. Prenez comme base de travail la musique de Deftones, poussez les boutons du heavy et de la saturation à leur maximum, et vous obtiendrez peut-être un résultat proche du son explosif de Profiler. Riffs et breakdowns aux sonorités très graves s’enchaînent, et les halftimes à la batterie ne nous épargnent pas, pour le bonheur de nos oreilles avides d’encore plus de lourdeur. Guitare à sept cordes, basse à six, l’épaisseur de leur son et les effets utilisés nous donnent l’impression qu’ils sont en fait dix sur scène. Au chant, on retrouve dans la voix de Mike Evans des inspirations mélodiques de Chino Moreno (Deftones), une alternance clean/scream et un timbre parfois proche de Chester Bennington (Linkin Park), ainsi qu’un chanté/rappé occasionnel évoquant le style vocal de Zach de la Rocha (Rage Against The Machine). Bref, la scène neo metal des années 1990/2000 a trouvé de dignes successeurs. Joe Johnson (basse/choeurs) remercie le public parisien qu’il juge le meilleur de la tournée. En effet, la fosse ne s’est pas fait prier pour lancer les premiers moshpits de la soirée. La couleur est annoncée. Pour les intéressés, Profiler a sorti son premier album en février 2024, A Digital Nowhere.
The gloom in the corner
Reprenez votre bouton de saturation et appuyez jusqu’à le casser complètement. Cette fois, c’est à l’Australie de nous montrer ce que sa scène metalcore a de plus heavy à nous proposer. Les quatre Melbourniens de THE GLOOM IN THE CORNER, qui s’autodécrivent comme un groupe de “cinemacore” (contraction de metalcore cinématique), ont poussé le cran de la radicalité plus loin en nous proposant un set massif, brutal, déchaîné. Les tempos sont plus rapides, créant un contraste d’autant plus délicieux au moment des breakdowns qui s’enchaînent à répétition sans perdre de leur saveur et de leur lourdeur. Le chant est à la fois plus screamé et plus lyrique, assumant une théâtralité à travers laquelle on a l’impression d’assister au déroulement d’une histoire. Certaines inflexions de voix dans les transitions entre le clean et le growl rappellent cette fois-ci les parties vocales mythiques de Serj Tankian (System Of A Down). En tant que bon groupe de metalcore, The Gloom In The Corner se dote de quelques instrumentations plus électro et d’un ou deux refrains plus mélodiques. La toute dernière chanson du set évoque ainsi les styles de Bad Omens et de STARSET (en plus rude). De façon générale, la performance grimpe en intensité jusqu’à nous donner l’impression d’une certaine bestialité. Bestialité qui se développe aussi dans la fosse, de plus en plus encline à s’adonner aux moshpits et circle pits.
Vended : “Let’s sink this fucking boat”
Les oreilles et les corps sont donc plus qu’échauffés lorsque les cinq Américains de VENDED font leur entrée sur scène, aux alentours de 21h30, sur “Tainted Love” de Soft Cell. Au fur et à mesure que les musiciens prennent place derrière leurs instruments, la chanson semble parasitée par une batterie grondante et des guitares qui ne demandent qu’à être libérées. Couplés aux regards de défi que nous lancent Griffin Taylor et sa bande, ces rugissements saturés et sombres instaurent une ambiance d’anticipation de laquelle nous sommes enfin délivrés au moment où “Nihilism”, leur dernière sortie et opener de la tournée, démarre enfin. La fosse se déchaîne et le chaos suscité par l’énervement musical du groupe va durer toute la prestation, sans retomber.
Après Deftones et System Of A Down, place à une nouvelle comparaison : Slipknot. Oui, elle est facile, car pour celles et ceux qui seraient passés à côté, Griffin Taylor (chant) n’est autre que le fils de Corey Taylor, voix iconique de la formation, tandis que Simon Crahan (batterie) a pour père Shawn “Clown” Crahan, unique membre fondateur restant. Au-delà du lien de filiation génétique, des ressemblances sont notables dans le timbre de voix et le style de chant, l’approche musicale, mais aussi l’esthétique, qui joue un rôle important dans leur identité scénique, particulièrement à travers le port de masques. Jeremiah Pugh (basse/choeurs) affiche un masque couvrant la moitié basse de son visage, tandis que Griffin Taylor en porte un sur les premières chansons. Quant aux trois autres, des traits noirs strient leur visage, et les cinq sont enduits d’une sorte de couche brune donnant l’impression qu’ils se sont roulés dans la boue avant de monter sur scène. Ils nous lancent régulièrement des bouteilles d’eau, et Griffin se permet même de postillonner ses gorgées d’eau sur les premiers rangs.
On le sait, Griffin Taylor et Simon Crahan semblent à la fois profiter et souffrir de la comparaison constante avec Slipknot. Il s’agit donc de préciser que Vended est loin d’être un groupe d’imposteurs parachutés sur la scène metal sans le moindre mérite. Leur talent musical (les screams et la constance de Griffin Taylor sont vraiment très impressionnants), leur énergie sur scène et leur capacité à mobiliser leur public sont à saluer.
D’autant que le set n’offre absolument aucun répit, à personne. La discographie se compose pour l’instant d’une petite dizaine de chansons, dont la moitié est présente sur l’EP de 2021, What Is It//Kill It. Parmi ces sorties, seules “Antibody” et “My Wrongs” sont délaissées au profit de deux nouvelles chansons, “Serenity” et “Where The Honesty Lies”. Aussi féroces que leurs grandes sœurs, elles annoncent de beaux jours et de beaux projets musicaux à venir pour les Américains. Le concert ressemble à un déchaînement de violence consentie, avec un auditoire clairement scindé en deux : les aventureux au centre des multiples pogos et ceux qui préfèrent apprécier la prestation plus tranquillement, malgré les appels au moshpit de Griffin Taylor, qui aurait visiblement aimé “sink this fucking boat” (selon ses propres termes). Mais le headbang auquel invitent inévitablement les riffs gras du groupe gagne tout le monde. Le rappel arrive assez vite, mais conclut la soirée à la perfection avec “Ded To Me” et “Asylum”, deux des meilleures de la courte discographie de Vended.
Soixante minutes, dix chansons, une fosse en ébullition prête à faire craquer le plancher du Petit Bain à chaque instant. Vended a fait court et efficace, et semble avoir été pile là où son public l’attendait. À cela, nous pouvons aisément ajouter les performances de Profiler et The Gloom In The Corner, qui ont largement convaincu l’audience parisienne. Bref, une parfaite soirée metal.