Ce jeudi 23 mai, Bring Me The Horizon a créé la surprise en annonçant la veille pour le lendemain la sortie du deuxième volet de la série POST HUMAN : après POST HUMAN: SURVIVAL HORROR (2020), place à POST HUMAN: NeX GEn. Plusieurs fois repoussé depuis son annonce en juin 2023, le neuvième album studio du désormais quatuor de metalcore britannique signe un bilan réussi au sein d’une discographie aussi diversifiée qu’hétérogène. De quoi rassurer les fans préoccupés par le départ de Jordan Fish, membre clé de la formation depuis 2012.
Album concept ou compilation ?
Un peu à la manière du très bon amo (2019), mais de façon encore plus poussée peut-être, POST HUMAN: NeX GEn s’apparente sous certains aspects à un disque-compilation de (presque) toutes les sonorités explorées par Bring Me The Horizon au cours de sa carrière. Et celles et ceux ayant suivi sa trajectoire musicale savent que celle-ci a connu de nombreux rebondissements – pas toujours pour le meilleur. De “Kool-Aid” à “R.i.p. (duskCOre RemIx)” en passant par “liMOusIne” et “DiE4u”, les styles et directions artistiques proposés sont tellement différents qu’on ne sait plus où donner de la tête. Mais c’est peut-être justement dans cette impression de chaos sonore que POST HUMAN: NeX GEn trouve sa cohérence et son identité. L’hétérogénéité générale se ressent aussi malheureusement dans la qualité des morceaux proposés, mais l’ensemble de cinquante-cinq minutes comporte suffisamment de pépites pour que le positif l’emporte sur le négatif.
La carrière de Bring Me The Horizon a été mouvementée. Et il est difficile de comprendre et d’apprécier l’éparpillement stylistique de POST HUMAN: NeX GEn sans revenir sur la pluralité des chemins musicaux empruntés par ses auteurs. De ses débuts deathcore, le groupe a progressivement embrassé un son plus proche du metalcore en incorporant des éléments électro et pop sur le majestueux Sempiternal (2013), avant de rencontrer sa consécration en tant que machine à hymnes telle qu’on la connaît aujourd’hui sur That’s The Spirit (2015). amo (2019) revient à des sonorités plus heavy tout en confirmant la primauté laissée aux refrains ultra catchy et assume des penchants électro complètement décomplexés. Ceux-ci sont exclusivement mis à l’honneur dans le trop souvent dénigré Music to listen to… paru la même année et bon disque d’électropop/ambient. Enfin, POST HUMAN: SURVIVAL HORROR sorti en pleine pandémie de COVID-19 retourne à une esthétique sonore proche de ce qui était proposé par amo.
Depuis, Bring Me The Horizon a sorti pêle-mêle une fournée de singles et de featurings, au point de perdre les moins rigoureux d’entre nous concernant le suivi des actualités. Résultat ? Six des seize morceaux de POST HUMAN: NeX GEn sont déjà connus du public (et Jordan Fish y est crédité), renforçant encore cette légère sensation de compilation. Pourtant, NeX GEn fait bien partie de la série POST HUMAN, indiquant qu’il est censé tendre vers quelque chose de plus conceptuel.
Explosion de couleurs
Le résultat, naturellement : un tour en manège à sensations fortes, entre refrains ultra catchy, riffs saturés sertis d’un assaisonnement électro pop, progressions épiques, paroles larmoyantes et breakdowns aussi gras que heavy.
NeX GEn nous amène vers quelque chose de simple mais redoutablement efficace avec “YOUtopia”, plus proche de l’alt rock que du metalcore. Mais cela change dès “Kool-Aid”, dernier single paru avant l’album, qui est un condensé de ce que Bring Me The Horizon fait de mieux. Les parties vocales screamées apportent une plus-value en contrebalançant un refrain très mélodique qui se situe au parfait point de compromis entre une section oubliable et noyée au milieu de l’intensité instrumentale et un hymne à la limite de l’écœurement comme Bring Me The Horizon a (peut-être trop) pris l’habitude d’en écrire, surtout depuis That’s The Spirit. Il y a quelque chose de très authentique dans “Kool-Aid” qui en fait une des meilleures chansons du disque – et de ces dernières années.
Malheureusement, d’autres morceaux s’inscrivent dans la recette surexploitée de Bring Me The Horizon, surtout parmi les singles. C’est le cas de “DiE4u” qui sonne comme du (mauvais) réchauffé, ou encore “sTraNgeRs” et “LosT”, néanmoins sauvés par l’intensité émotionnelle procurée. Les tonalités emo sont renforcées par des paroles très introspectives, tournées sur la santé mentale d’Oli Sykes, abordée sous différents aspects au cours de l’album : “Someone, tell me / Why am I this way? / Stupid medicine not doing anything” (“LosT”); “Hi, my name’s Oli and I’m an addict” (“n/A”). Sur cette dernière, l’honnêteté avec laquelle s’exprime le chanteur britannique sur une guitare suivant les premiers accords du “Where Is My Mind?” des Pixies rappelle l’expressivité très directe d’un Josh Katz (Badflower).
POST HUMAN: NeX GEn nous amène aussi vers d’autres types d’émotions en nous proposant plusieurs parties (des ponts ou des outros) très heavy au milieu d’arrangements tendant vers l’électro pop (“a bulleT w/ my namE On” en featuring avec le groupe de metalcore Underoath, “Top 10 staTues tHat CriEd bloOd”). La lourdeur à la sauce Bring Me atteint son paroxysme sur “AmEN!” (en feat. avec Lil Uzi Vert, Daryl Palumbo et Glassjaw), véritable rouleau compresseur. Quant à la facette électro du groupe, elle a droit à plusieurs clins d’œil, le plus évident étant “[ost] p.u.s.s.-e” qui n’a plus rien d’une chanson de rock, et que l’excentricité hisse au-delà du rang de simple interlude. C’est aussi ce genre d’expérimentation électro qui vaut à Bring Me The Horizon le statut de groupe extravagant et polarisant sur la scène metalcore. À citer également, “R.i.p (duskCOre RemIx)” où les synthés prévalent clairement sur les guitares, ou “DIg It”, qui marie majestueusement les deux pour un rendu à la fois saturé et éthéré, rappelant certaines compositions de Sempiternal (“And The Snakes Start To Sing”, “Hospital For Souls”).
Toujours dans l’analyse des OVNIs de l’ensemble, accordons quelques lignes à “liMOusIne”. Si la présence de la chanteuse de pop norvégienne AURORA aurait pu suffire à en faire un morceau à part, c’est finalement l’interprétation que Bring Me The Horizon propose de la lourdeur neo metal qui tranche avec les sonorités habituelles. Un groupe en particulier vient immédiatement à l’esprit à l’écoute du riff et de la mélodie vocale qui composent son refrain si puissant : Deftones. La ressemblance est tellement saisissante que c’est Chino Moreno que cette chanson aurait pu compter en featuring. Mais le résultat est très convaincant, le refrain parvenant à être efficace sans tomber dans la sur-mesure catchy mentionnée plus tôt (le refrain de “n/A” fait un peu le même excellent travail). En plus, “liMOusIne” se termine sur un breakdown dégoulinant de lourdeur évoquant le style de Sleep Token, avec ces percées de guitare aiguës au milieu des sonorités graves et saccadées. L’outro, qui ne dure qu’une quinzaine de secondes (sans compter le build up), nous laisse néanmoins un goût d’inachevé frustrant. Quant à la participation d’AURORA, si son couplet est très agréable à l’oreille, sa place reste quasi-anecdotique dans un morceau qui peut prétendre au titre de meilleure sortie du groupe depuis “Ludens” (2019).
Nous l’avons mentionné, les paroles de POST HUMAN: NeX GEn abordent en partie la santé mentale et les blessures d’Oli Sykes. Pour autant, le disque est bel et bien le deuxième volet de la série POST HUMAN, dont sont censées se dégager une esthétique et une thématique principale. Oli Sykes a affirmé lui-même en interview que les fans allaient devoir se creuser le cerveau pour dégager un narratif connecté à celui de SURVIVAL HORROR, encourageant ceux-ci à poursuivre leur quête aux théories. De ces réflexions se dégage une piste principale. SURVIVAL HORROR nous proposait une atmosphère (post)-apocalyptique centrée sur les répercussions physiques et psychologiques de la pandémie COVID-19. De cette histoire de “fin du monde” naissait le personnage d’Eve, introduite par la chanson “Parasite Eve”, supposée guider l’humanité vers sa libération, finalement plutôt vers une soumission à grande échelle. C’est cette opération de mise au pas sectaire et spirituelle que NeX GEn semble aborder (cf. les paroles de “DiE4u”, de “AmEN!”, de “[ost] (spi)ritual”). L’ambiance futuriste et dystopique se ressent aussi dans certains passages musicaux, rejoignant l’avant-gardisme habituel de la formation : les ajouts électro semblables à des bruits d’ordinateur dans “Top 10 staTues tHat CriEd bloOd”, la mention d’une “Youtopia” sur la chanson du même nom et l’intro robotique de “[ost] p.u.s.s.-e” et surtout l’intervention d’une nouvelle IA, M8, dans “DIg It”, qui nous donne un code série avant d’être brutalement interrompue. Bring Me The Horizon nous laisse donc sur un cliffhanger dans l’attente de POST HUMAN 3.
POST HUMAN: NeX GEn est un bonbon de metalcore rassemblant les différentes inspirations de Bring Me The Horizon tout en proposant certaines nouvelles sonorités et en conservant une approche moderne, singulière et audacieuse du genre. Si les cinquante-cinq minutes passent vite, notamment grâce au fait qu’on ne découvre que dix des seize titres compris sur l’album, certaines chansons sont largement en-dessous du lot, et d’autres assez largement au-dessus. Une hétérogénéité qui représente bien le parcours agité mais respectable de Bring Me The Horizon, qui n’a pas fini de diviser ses auditeurs.
Informations
Label : Sony Music / Columbia
Date de sortie : 24/05/2024
Site web : www.bmthofficial.com
Notre sélection
- liMOUsIne
- Kool-Aid
- DIg It
Note RUL
4/5