Cinq années d’absence et une pandémie plus tard, Alcest annonce son retour avec Les Chants De L’Aurore, dont la sortie est prévue pour le 21 juin prochain. L’occasion de s’entretenir avec Neige pour faire le point sur sa spiritualité, mais aussi parler de danse, du premier album d‘Alcest et des thèmes qui gravitent autour du nouveau disque.
Cinq années séparent Spiritual Instinct (2019) de Les Chants De L’Aurore, soit la plus longue pause discographique d’Alcest. Comment l’expliques-tu ?
Neige : Le COVID est forcément un peu lié. On a été forcés de mettre fin à toutes nos activités et c’est vrai qu’on n’a pas trop l’habitude de ça. On a toujours un truc en cours, que ce soit un album ou une tournée, donc c’était très étrange d’être forcés à rester chez soi. Mais ça nous a fait beaucoup de bien parce qu’on avait tourné sans arrêt pendant dix ans. Prendre cette pause forcée nous a aidés à savoir où on voulait aller avec Alcest à ce stade-là de notre carrière. Je me suis demandé : est-ce que j’ai encore des choses à dire et est-ce que le concept du groupe est toujours aussi important qu’au début ? Je me suis rendu compte que oui.
Comment s’est passé le processus d’écriture pour ce nouvel album ? S’est-il étendu sur cinq années ?
Neige : Non, pendant un an, j’étais complètement bloqué. Rien ne me venait car j’étais lessivé physiquement et mentalement. Mais finalement, ce syndrome de la page blanche a été salvateur car l’inspiration est revenue. Avec Les Chants De L’Aurore, j’ai senti que c’était le bon moment pour revenir au concept originel d’Alcest, à cette description de l’ailleurs que j’avais un peu lâchée sur les trois précédents albums.
À l’écoute de ce nouvel album, on entend le côté solaire de Shelter (2014), quelques influences japonisantes de Kodama (2016) mais aussi la nostalgie des débuts de Souvenirs D’Un Autre Monde (2007). Peut-on dire que cet album est en quelque sorte la symbiose parfaite de tous les précédents ?
Neige : Écoute, je l’espère vraiment. Et j’espère que les gens le percevront ainsi, car c’était l’intention. Pour être franc, j’ai beaucoup de mal à faire un album homogène en termes de style. C’est pour ça qu’à part Souvenirs D’Un Autre Monde qui était très uni, tous les albums d’Alcest sont variés. Je pense que j’ai besoin de faire ça pour ne pas être moi-même lassé. Et ça se ressent particulièrement dans Les Chants De L’Aurore. D’ailleurs, l’exercice des singles a été particulièrement difficile pour cet album parce qu’il faut accepter de sortir un single qui n’est pas du tout représentatif du reste. Au final, ça me rend aussi curieux de savoir comment l’album va être perçu dans son ensemble.
Surtout que l’approche sonore est assez différente des deux derniers albums, moins lourde et moins metal, peut-être plus “orchestrale” ?
Neige : Absolument. Pour cet album, j’ai voulu écrire une sorte de B.O. de film imaginaire, même s’il n’y a pas vraiment de film à illustrer. Il y avait vraiment cette idée de voyage qui te plonge dans divers états et diverses ambiances au fil de l’album. Pour arriver à ça, on a utilisé plusieurs synthés et des instruments qu’on n’a pas l’habitude d’utiliser. Il y a de la viole de gambe, du piano acoustique et d’autres chanteurs qui m’accompagnent pour certains chœurs. On voulait vraiment faire un album plus ambitieux en reprenant les bases d’Alcest, mais avec l’expérience et les moyens d’aujourd’hui.
C’est sûr qu’en 2007 (ndlr, date de la sortie de Souvenirs D’Un Autre Monde), tu ne pouvais pas faire tout ça…
Neige : C’est certain ! À l’époque, j’étais seul chez mes parents, j’avais dix-huit ou dix-neuf ans quand j’ai composé Souvenirs D’Un Autre Monde. Honnêtement, je ne sais même pas comment j’ai fait. Aujourd’hui, quand j’écoute cet album, j’ai l’impression qu’il ne vient tout simplement pas de moi. Ça fait tellement longtemps et il s’est passé tellement de choses depuis.
Le second single, “Flamme Jumelle”, est très différent du premier single. Peux-tu nous en dire plus sur la symbolique du morceau ?
Neige : C’est un morceau qui parle de la perte de quelqu’un avec qui on se sent connecté de manière extrêmement profonde. Une fois que cette personne n’est plus là, il faut s’accommoder de son absence. Il y a des moments d’égarement où l’on va être hanté par des souvenirs… parfois au point de regretter des choses qu’on a faites… ou justement pas faites. Le morceau évoque aussi l’idée de lâcher prise et questionne la possibilité de tourner la page, que ce soit après une rupture, un deuil ou la perte d’un ami ou d’un conjoint.
Il a été porté par un superbe clip avec de jolis plans de nature et des ruines. Peux-tu revenir sur le tournage et nous expliquer sa genèse ?
Neige : J’ai demandé à une amie chorégraphe de choisir le ou la partenaire de son choix puis d’écrire une chorégraphie à deux qui évoque la symbolique du morceau pour le clip. Ma vision en est très personnelle : pour moi ce serait deux âmes qui s’entrechoquent, qui s’éloignent et qui se rapprochent dans un univers très détaché du monde réel.
On a l’impression que la danse est un art “corporel” qui partage plusieurs points communs avec Alcest ?
Neige : Oui c’est vrai. (il réfléchit) D’ailleurs, j’aurais aimé savoir danser car c’est un art qui permet de se réapproprier son corps, moi qui ai du mal à m’ancrer dans le réel. De manière générale, la danse contemporaine et la danse hip hop me touchent beaucoup. Pour revenir à la question, Alcest a des chansons tellement chargées en mélodies et en ambiances que ça se mêle bien avec la danse.
La spiritualité reste au cœur de cet album, qui est pourtant très différent du précédent. Qu’est-ce que Alcest t’apporte d’un point de vue spirituel ?
Neige : La dimension spirituelle d’Alcest s’apparente à une ligne de conduite qui m’empêche de sombrer complètement. Je me sens toujours aussi peu à ma place ici, un peu comme une sorte de touriste. En revanche, faire Alcest m’a permis de partager ce sentiment avec un public et des gens qui se sentent eux aussi étrangers à ce monde.
Tu as souvent mis en musique des poèmes. ‘L’Adieu”, le titre final de l’album, est justement d’Apollinaire. Pourquoi as-tu choisi ce poème en particulier ?
Neige : Je lis de la poésie depuis toujours. Apollinaire, Baudelaire, Verlaine : je pense avoir lu tous les grands classiques. Je n’ai malheureusement pas le temps de lire au quotidien donc la poésie est une littérature pratique car très courte et immédiate. Dans la poésie, il y a beaucoup de musicalité donc ça me parle beaucoup aussi. “L’Adieu” est un poème que je connais depuis toujours mais le bon morceau ou le bon contexte ne s’étaient pas forcément présentés jusqu’à aujourd’hui. Là c’était le cas car ce poème fait référence à cette perte de l’âme sœur.
On note également deux titres dont “Komorebi” qui font des renvois directs à des termes japonais. Peux-tu développer ce concept ?
Neige : En japonais, certains mots décrivent des concepts qui ne possèdent aucun mot équivalent direct dans d’autres langues. C’est le cas de Komorebi qui fait référence “aux rayons du soleil qui filtrent à travers les feuilles des arbres“. Ce morceau est en fait le titre miroir de “Printemps Émeraude” (ndlr : premier titre de l’album Souvenirs D’Un Autre Monde). C’est d’ailleurs pour ça que je l’ai choisi comme titre d’ouverture pour Les Chants De L’Aurore.
Il y a quatre ans, on t’avait déjà fait la remarque sur le fait que chaque album d’Alcest comporte au moins un titre avec un nom de pierre : “Opale”, “Onyx”, “Sapphire”. Sur le nouvel album, on y a repensé en voyant “Améthyste”. Pourquoi cette pierre ?
Neige : C’est vrai. (rires) J’ai plein de petites traditions que j’aime bien garder avec Alcest. Donc effectivement, je continue dans la tradition des pierres semi-précieuses. L’améthyste, qui est violette, symbolise la couleur du mysticisme et de la spiritualité. C’est un peu la pierre ultime pour Alcest. (rires)
Toujours sur ce titre, on a relevé la dernière strophe que tu répètes plusieurs fois et qui semble résumer l’essence d’Alcest à la perfection : “J’ai toujours su au fond de moi / Que je venais de très loin / Et qu’en essence nous sommes tous / Des êtres immortels“
Neige : C’est exactement ça. Cette strophe résume à elle seule tout le concept d’Alcest. Je tiens à préciser que c’est quelque chose en quoi je crois profondément. Je n’aime pas quand les gens disent qu’Alcest est “onirique“. Il n’y a pas de monde imaginaire, c’est une croyance bien réelle.
Et si tu devais résumer cette croyance ?
Neige : Je pense qu’au fond de nous, nous sommes beaucoup plus que de simples êtres humains. Pour moi, on possède une essence plus profonde qui, elle, ne peut pas mourir.
Alcest a commencé en France au Glazart. Presque quinze ans plus tard, vous vous apprêtez à jouer à l’Olympia malgré un succès parfois jugé “plus timide” en France qu’à l’étranger. Comment perçois-tu cette évolution ?
Neige : Pendant très longtemps, le public metal français, peut-être un peu conservateur, ne savait pas trop comment considérer Alcest. En 2017, beaucoup de sceptiques nous ont vus en sur deux festivals, au Motocultor et au Hellfest, pour l’album Kodama. On a joué devant deux fois dix-mille personnes environ et, pour moi, le déclic s’est fait à ce moment. Depuis, le public français nous a vraiment adoptés. À tel point que maintenant, la France est peut-être le pays qui soutient le plus Alcest !
En quinze ans, ton lien avec la scène et les concerts est-il toujours le même ?
Neige : Oui, c’est un peu le même. J’ai toujours beaucoup d’appréhension et je ressens beaucoup de stress avant les concerts. Par exemple, pour le concert anniversaire de Écailles De Lune au Bataclan, j’étais dans tous mes états. En revanche, une fois que la dernière note est jouée et que le concert s’est bien passé, je ressens un sentiment de soulagement et d’extase.
Et lorsqu’une tournée s’étend sur trois ou quatre semaines, ressens-tu quand même ce stress ?
Neige : Non, non. Le Bataclan, c’était particulier parce que c’était un concert isolé, donc je m’étais déshabitué de la scène. Et pour quelqu’un comme moi, ce n’est pas une bonne chose. Pour l’Olympia, il y a du stress aussi mais ce sera dans le cadre d’une longue tournée donc on aura beaucoup joué avant. Je suis tellement concentré que je vis un peu les concerts par procuration. Je prends du plaisir parce que je vois que le public en prend aussi.
Tu as participé à beaucoup de projets dans le passé. Mais en 2024, tu n’as plus vraiment de side projects, à part quelques apparitions. Est-ce que c’est quelque chose qui te manque ?
Neige : Oui, ça me manque mais je suis tellement occupé que je n’ai pas vraiment le temps d’y penser. Si je devais faire quelque chose en parallèle, ça n’aurait vraiment aucun rapport avec le metal. J’écoute beaucoup d’IDM, Aphex Twin et compagnie. J’aimerais beaucoup faire quelque chose dans ce genre-là.
Terminons avec notre question traditionnelle qui n’a toujours pas changé : notre média s’appelle RockUrLife. Alors, qu’est-ce qui rock ta life ?
Neige : L’album. Et mes cours de japonais, ça rock ma life en ce moment. (rires)
Site web : alcest-music.com