Si l’annonce de l’annulation de sa tournée a dû en attrister plus d’un, FEVER 333 s’illustre dans l’actualité musicale de la semaine grâce à sa quatrième production, DARKER WHITE, condensé réussi et approfondi de toutes les influences musicales que l’artiste américain recense à son actif. Si le disque rappelle inévitablement les fusions stylistiques des années 1990, sa modernité instrumentale autant que sa pertinence thématique le propulsent dans les meilleures sorties alt metal de l’année.
Fusion hardcore
Les fans du groupe en ont l’habitude : FEVER 333 manie les sonorités et les styles avec une telle habileté que sa musique en devient irréductible à quelques qualificatifs. Et les récents recrutements présageaient du très bon, avec l’arrivée notable de Thomas Pridgen (The Mars Volta, Thundercat, Trash Talk). L’album est à la hauteur des attentes : peut-être encore plus que d’habitude, il témoigne d’une immense liberté créative, alternant entre des inspirations électro, hip hop, metal, punk hardcore, alt rock…
Prenant le contrepied des deux albums précédents, DARKER WHITE ne s’ouvre pas sur une explosion de rage mais sur un hymne électro/hip hop tout droit sorti des 90’s, “NEW WEST ORDER”, introduit par des guitares à la Tom Morello. La même chanson évoque frontalement l’éparpillement stylistique caractéristique de sa musique : “Making punk rock hits with a little rap twist“. Même pas la peine d’essayer de résumer le patchwork d’influences que FEVER 333 intègre à ses productions, Jason Aalon Butler s’en est chargé pour nous.
Ainsi, toutes les facettes de l’artiste sont mises à l’honneur à plusieurs reprises, sous divers assaisonnements. Butler inonde le disque de son flow indiscutable en multipliant les parties de rap, qu’elles soient teintées de rage (“HIGHER POWER”, “NO HOSTAGES”) ou plus posées (“BULL & A BULLET”, qui se veut un des morceaux les plus hip hop de l’ensemble, “TOURIST”, “MURDERER”, “DO OR DIE”, “NEGLIGENCE”, “PIN DROP”). Ses variations d’intensité et de style démontrent que Butler peut se targuer d’être autant un Mike Shinoda qu’un Chester Bennington : quand il n’est pas occupé à dérouler ses textes sur des rythmes hip hop, il se prête à des screams dévastateurs (“HIGHER POWER”, “NO HOSTAGES”, “$WING”, “MURDERER”) et s’illustre dans des refrains catchy empruntant à l’alt rock ou au metalcore mélodique (“MURDERER”, “NOSEBLEEDS”, “MOB MUSIC PT 2”, “DESERT RAP”).
Musicalement aussi, c’est un festival. La lourdeur saturée est surtout mise en valeur dans “HIGHER POWER”, mais d’autres extraits lui donnent le premier rôle, comme la fin de “NO HOSTAGES” ou celle de “DO OR DIE”, les riffs sauvages de “$WING” et de “MURDERER”, et les refrains de “PIN DROP”. Quant aux touches électro, elles parsèment le disque et agissent tantôt sur la partie percussive, tantôt sur l’ajout de basses synthétiques amplifiant et alourdissant le son (“NEW WEST ORDER”, “DO OR DIE”, “DOA”, “PIN DROP”). Les morceaux qui combinent le meilleur des deux mondes sont parmi les plus réussis de l’album : on pense au drop aussi metal qu’électro de “DESERT RAP”, qui figure parmi les passages les plus endiablés de l’ensemble.
There’s a fever coming
Bien que DARKER WHITE propose quelques extraits résolument heavy, ce n’est pas la facette du groupe qui est la plus mise en avant, surtout par comparaison avec les hymnes rapcore de STRENGTH IN NUMB333RS (2019) auxquels WRONG GENERATION (2020) a donné une certaine continuité. Ce n’est pas pour autant que Jason Aalon Butler en oublie la rage et l’agitation si typiques de sa musique : même les chansons les moins saturées du disque sont portées par un chant électrisé et contestataire. Les paroles de bienvenue font clairement écho à celles de STRENGTH IN NUMB333RS, puisque Jason Aalon Butler nous prévient : “Screaming “333” ’til the day we die / There’s a fever coming“. Pas de doute, DARKER WHITE sera estampillé du même esprit revendicateur que ses prédécesseurs.
Ce n’est en effet pas rendre honneur au talent de compositeur de l’artiste que d’analyser ses productions en passant ses messages sous le tapis. Comme à son habitude, Butler fait de l’oppression raciste l’épicentre de sa réflexion et de son appel au changement. “BULL & A BULLET” explore le continuum du racisme systémique américain (“From the plantation to incarceration“) tandis que “NO HOSTAGES” dénonce les violences policières à l’encontre des personnes racisées et cite le tristement célèbre exemple de George Floyd (“Pulling out your wallet tryina grab your ID / Or on the ground saying, “Officer, I can’t breathe”“). “TOURIST” tourne le tourisme et le prisme occidental en dérision (“I got a black friend, how can I be racist?“), et “DESERT RAP” rappelle l’héritage que la violence raciste a laissé à la population afro-américaine (“I wasn’t born, I was forged in fire for about / Four hundred years, Jim Crow laws and civil wars“).
Une nouvelle fois, Butler ne se limite pas à l’oppression raciste. Il consacre plusieurs de ses textes à la working class, l’excellente “DO OR DIE” en tête de file (“Do or die, I’mma get paid / I’m either gon’ get mine or I’mma just take / How can you ask me why / When everything we try / When tryina make it right / They call a mistake?“). “$WING” s’en prend au jeu capitaliste et à la course au profit au mépris des vies humaines (“Them bodies that you broke while making capital“), tandis que “NEGLIGENCE” établit le portrait d’une société inégalitaire où les plus précaires ne récoltent que l’indifférence des plus puissants. En dehors de ces messages ouvertement politiques, certaines chansons évoquent un rapport un peu plus métaphorique à la domination, comme “MURDERER”, qui semble s’adresser à Dieu lui-même, ou “NOSEBLEEDS” et “NEW WEST ORDER”, qui rappellent la réussite de l’artiste malgré des circonstances jouant en sa défaveur. Sorte d’hymne à la gloire des minorités, “HIGHER POWER” est une ode à l’espoir et à l’empouvoirement, incluant les minorités de genre, et sert de noyau à l’idée principale véhiculée par l’album et plus généralement par la discographie de FEVER 333 : la lutte contre l’oppression sous toutes ses formes, dans une perspective résolument progressiste et ouvertement contestataire.
Avec son rap metal aux évocations 90’s mais efficacement modernisé et ses paroles protestataires, le résultat bouillonnant de DARKER WHITE démontre une nouvelle fois que la musique de FEVER 333 est pile poil dans l’ère du temps, et réduit au silence celles et ceux qui sépareraient expression politique et expression musicale. On remercie une nouvelle fois Jason Aalon Butler pour la pertinence de cette dernière production, et lui souhaite une bonne rémission.
Informations
Label : Century Media Records
Date de sortie : 04/10/2024
Site web : www.fever333.com
Notre sélection
- DESERT RAP
- DO OR DIE
- HIGHER POWER
Note RUL
4/5