“My name is Mike, this is Emily, and in the role of Chester Bennington, is each of you.” En septembre dernier, ces quelques mots empreints de respect ont marqué la fin d’une traversée du désert de sept ans. Marqués par le décès de leur chanteur iconique, les Californiens ont pris leur temps pour revenir sur le devant d’une scène rock, dont ils sont l’un des mastodontes. Avec une question passionnante : ce From Zero peut-il permettre au groupe de répondre aux attentes immenses suscitées par l’arrivée de sa nouvelle chanteuse ?
L’eau mouille, le feu brûle, Linkin Park fait des tubes
Au moment d’aborder l’écoute, l’auditeur ne repart pas exactement de zéro. À moins d’avoir vécu dans une grotte, difficile en effet de passer à côté de son single introductif. “The Emptiness Machine” était, à ce titre, le meilleur ambassadeur possible pour cette nouvelle ère. Comme pour initier une transition en douceur, l’historique Mike Shinoda y assure la première partie. Son chant doux fait alors place à un déluge de riffs, permettant à Emily Armstrong de prendre le relais jusqu’à son premier refrain. Le choix de suspendre la musique rejoint alors notre propre attente, mêlant excitation et appréhension. C’est alors que la magie opère… La vocaliste de Dead Sara nous cueille avec un refrain délicieux, transformant un cri en une claque vocale irrésistible. Un hit immédiat, marquant instantanément les esprits.
Disons-le tout de suite, le choix de confier le micro à Emily Armstrong est une totale réussite. Tout au long du disque, on n’a jamais l’impression d’avoir affaire à une copie approximative de Chester. Dotée d’un charisme impressionnant, elle impose sa propre puissance, qui se fond parfaitement dans les compositions du groupe.
Un second souffle à l’ADN familier
Naturellement, il n’est pas question ici de couper entièrement les ponts avec ce qui a fait la renommée de Linkin Park. Dernier single dévoilé, “Two Faced” s’emploie à rembobiner le temps au fil des scratches endiablés de Mr Hahn. Nous voici donc à la jonction des riffs binaires de “One Step Closer” et des mixes de “Don’t Stay”. Témoin de cet héritage, “Heavy Is The Crown” nous ramène aux B.O. de Transformers, au détour de notes de synthés épiques. Après nous avoir charmés avec des violons samplés du plus bel effet, Emily nous inflige une nouvelle déflagration avec un “this is what you asked for” d’anthologie, confirmant ses capacités vocales.
Et Mike Shinoda dans tout ça ? L’homme à tout (bien) faire montre sur ces deux titres qu’il n’a rien perdu de son flow. Son alchimie avec Chester était l’un des facteurs clés du succès colossal de LP. Sans atteindre ce même degré de complicité, on ressent à plusieurs reprises une volonté de s’amuser ensemble. Il faut l’avouer, on prend toujours autant de plaisir à retrouver cette collision entre son rap et la voix rocailleuse de sa complice, plus que partante pour rebondir sur ses rimes passionnées.
Emily in : paris réussis
La jeune femme de trente-huit ans nous avait déjà fait la démonstration de sa puissance vocale lors de sa venue à Paris. Autant dire que les derniers doutes sont levés sur la seconde moitié du disque. Les amateurs de breaks surpuissants à la “A Place For My Head” seront servis par une incroyable capacité à nous scotcher. “IGYEIH” (comprendre “I Give You Everything I Have”) s’apparente ainsi à une démonstration de puissance rageuse, que l’on préférera à “Casualty”, plus redondant.
La capacité de Chester à allier screams magistraux et palette émotionnelle époustouflante l’a consacré comme l’un des tout meilleurs chanteurs metal de l’histoire. Naturellement, personne n’attend d’Armstrong qu’elle réédite cet exploit. Il faut néanmoins reconnaître qu’elle s’en sort remarquablement dans des exercices plus mélodiques. “Over Each Other” nous avait fourni un joli premier aperçu, désormais confirmé par les refrains de “Stained”. Ce morceau, le plus pop de l’ensemble (c’est dire !), nous donne même l’impression saisissante d’avoir affaire à Sia !
Mais la chanteuse nous a réservé le meilleur pour la fin… L’album se termine ainsi en apothéose sur “Good Things Go”. Ce morceau n’est pas sans rappeler les livraisons de Mike Shinoda sur son projet Post-Traumatic (2018). On y retrouve le rappeur à fleur de peau, délivrant un pont d’une belle intensité. La différence avec son parcours solo réside dans la présence d’un élément faisant toute la différence : les parties emplies de grâce d’une chanteuse, qui signe son arrivée au tout premier plan par un point d’exclamation majuscule.
De Zero à Héros ?
Personne n’attendait de cette livraison qu’elle atteigne le degré de qualité d’un Hybrid Theory (2000) ou de Meteora (2003). Ce n’est en effet pas le cas, et cet essai comporte son lot d’axes d’amélioration. Côté line up, il faut avouer qu’il est pour l’instant difficile de percevoir l’impact du nouveau batteur, Colin Brittain, sur le son du groupe. De même, quelques titres manquent d’envergure, à l’image de “Cut The Bridge”, dont l’instrumentation manque de force. On pourra également regretter certaines expérimentations en demi-teinte. La mélodie dub-reggae de “Overflow” a ainsi tendance à nous laisser de marbre, tout comme l’escapade hurlée de Shinoda sur “Casualty”. Pour autant, tout ceci est anecdotique au regard du chemin parcouru.
À bien des égards, cet album fait penser à California (2016) de blink-182, premier projet sans Tom DeLonge. L’essentiel n’était alors pas d’aller concurrencer les hits du passé. L’objectif était de proposer un nouveau départ, alimenté par des éléments enthousiasmants. From Zero s’inscrit dans cette catégorie, en poussant le curseur un cran plus loin.
S’écartant de la voie d’une nostalgie à peu de frais, Linkin Park réussit le tour de force de paraître très actuelle, sans renier ses fondations. Le choix d’Emily est largement validé et devrait faire l’unanimité auprès de ceux qui réclamaient un retour à l’énergie teintée d’urgence des débuts. Cet album s’apparente ainsi au chaînon manquant entre le neo metal mélodique de Meteora (2003) et le versant le plus rock de Minutes To Midnight (2007). Il constitue une déclaration flamboyante de la légitimité du groupe à écrire l’héritage de l’une des formations les plus inspirantes de ce siècle.
Informations
Label : Warner Music
Date de sortie : 15/11/2024
Site web : www.linkinpark.com
Notre sélection
- The Emptiness Machine
- Good Things Go
- Heavy Is The Crown
Note RUL
4/5