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Cover Story #22 : The White Stripes – De Stijl


Quand l’art moderne rencontre le rock : avec De Stijl (2000), The White Stripes signe un manifeste visuel et sonore. Inspirée par les formes épurées et les couleurs primaires du mouvement artistique néerlandais du même nom, la pochette dialogue avec l’avant-garde pour faire de cet album une œuvre totale, à la croisée des arts.

L’album

À l’aube des années 2000, The White Stripes, incarnés par le duo Jack et Meg White, dévoilent leur deuxième album studio : De Stijl. Derrière ce titre énigmatique se cache une œuvre surprenante pour son époque, mêlant racines folk et blues à une approche artisanale. Considéré comme le disque manifeste de l’esthétique future du groupe, De Stijl se distingue par une production intime, entièrement enregistrée dans le salon de Jack White. Même la pochette, conçue par Jack et Meg eux-mêmes, témoigne de cette démarche. Si l’album n’a pas immédiatement rencontré un succès commercial – avec des ventes estimées à 366 000 exemplaires aux États-Unis -, il est aujourd’hui perçu comme une étape charnière, marquant l’évolution stylistique (tant musicale qu’esthétique) de The White Stripes.

La cover

La pochette de De Stijl rend un hommage frontal au courant artistique de l’avant-garde néerlandaise du même nom. Le courant De Stijl (à traduire en français par “le style“) naît en 1917 aux Pays-Bas, avec pour chefs de file les artistes Theo Van Doesburg, Piet Mondrian ou encore Gerrit Rietveld. Ce mouvement est fondé sur une quête de pureté et d’universalité, visant une esthétique épurée et détachée des particularismes culturels. Ses principes reposent sur l’abstraction géométrique (des formes simples comme des carrés et des lignes), une palette réduite aux couleurs primaires et neutres (rouge, bleu, jaune, noir, blanc) et une recherche d’équilibre harmonieux dans l’asymétrie. Ce courant esthétique s’exprime aussi bien dans l’art, le design que l’architecture.


Les préceptes induits par De Stijl s’imposent alors naturellement au projet de The White Stripes : une esthétique dépouillée, limitée à trois couleurs (rouge, noir et blanc), un duo sans bassiste et une exploration minimaliste du blues, cette racine d’où le rock a émergé. L’image conçue par le duo White se compose de formes géométriques simples : rectangles, lignes et carrés rouges, noirs et blancs. Jack et Meg White, habillés de blanc, s’intègrent parfaitement à la composition, ajoutant deux “bandes blanches” humaines qui prolongent la géométrie visuelle. Leur mise en scène dialogue avec le nom du groupe, “The White Stripes” (“Les bandes blanches“), inscrit dans le coin supérieur gauche. Ce choix réfléchi confère à l’ensemble une construction visuelle cohérente et astucieuse, qui accompagnera le groupe tout au long de ses productions visuelles.


La création de cette pochette reste entourée de mystère quant à son processus précis. Conçue de manière largement autodidacte, elle reflète l’approche artisanale du duo. Jack White, formé à la tapisserie avant sa carrière musicale, a sans doute acquis des bases artistiques, même sommaires, qui transparaissent ici. Cet autodidactisme résonne avec l’un des principes fondamentaux du mouvement De Stijl : l’universalisme et la désacralisation de la “touche” artistique, en faveur d’une vision épurée et accessible à tous.

Ainsi, De Stijl (2000) s’impose comme le manifeste artistique de The White Stripes, où musique et visuel dialoguent avec une force inédite. Rarement un album n’avait rendu un hommage aussi frontal à un mouvement artistique majeur, inscrivant le duo dans une démarche singulière : celle d’une appropriation assumée de l’héritage culturel. En réinterprétant les principes esthétiques du courant De Stijl, Jack et Meg White perpétuent, près de quatre-vingts ans plus tard, l’héritage moderniste et avant-gardiste des artistes néerlandais, démontrant ainsi, à leur manière, le lien profond qui unit l’art et la musique.

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Kaithleen Touplain
Historienne de l'art et passionnée de musique rock à mes heures perdues.