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Black Foxxes – The Haar

Quatrième album à date, The Haar élargit encore les frontières du rock polyforme de Black Foxxes, qui ne cesse de démontrer, disque après disque, l’étendue de sa palette artistique. Cette nouvelle addition complexifie la marque sonore de ses auteurs en proposant un résultat sombre, mature et raffiné, qui risque d’en surprendre plus d’un.

Sombre et intimiste

En 2020, le remaniement des deux tiers de Black Foxxes marque un tournant stylistique : le trio mené par Mark Holley et complété par Finn Mclean à la batterie et Jack Barrett à la basse sort des sentiers battus, complétant ses facettes grunge et emo par une plus grande sensibilité au prog sur le merveilleux Black Foxxes (2020).

Et The Haar renchérit en allant encore plus loin dans l’expérimentation. Sombre de bout en bout, il conjugue minimalisme et complexité avec habileté : les mélodies au piano, simples, n’en sont pas moins empreintes d’une mélancolie contagieuse (“I Can’t Be Left Alone With It”, “Darker Than Light”, “In The Image Of Perfection”), tandis que le groupe met à l’honneur l’agressivité grunge de ses guitares sur une poignée de sons (“Ha Ha Ha”, “Carsaig”, “Shakey”) et que les meilleurs morceaux alternent abruptement entre ces degrés d’intensité (“Where Have You Been”, “Carsaig”, “Clean Mind (6 Months)”, “Shakey”).

L’enchevêtrement audacieux de sections drastiquement différentes où rivalisent la douceur des parties piano/voix et les rugissements stridents des guitares devient la traduction musicale des démons que nous chante Mark Holley, qui, comme à son habitude, nous livre une prestation des plus émouvantes, tant par les intonations fissurées de sa voix que le contenu de ses paroles. L’irrémédiabilité de son mal-être transparaît dans “I Can’t Be Left Alone With It” ou encore “Shakey”, au point de peser sur ses relations aux autres (“Carsaig”, “In The Image Of Perfection”). “Ha Ha Ha”, peut-être le morceau le plus garage et cru de l’album, se passe de tout effort d’enjolivement et déverse avec cynisme la violence d’un père, à laquelle Holley répond : “I am not my father’s child“. Autre outil de transmission émotionnelle que l’on retrouve aussi dans les disques précédents, Holley répète obsessivement des courtes phrases en passant du feutré à l’éraillé, appuyant la dimension chaotique et introspective de son art : “I can’t turn it off / I can’t switch it off” (“Shakey”), “I am, I am, I can, I can” puis “All our imperfections into one” (“In The Image Of Perfection”).

Prog emo ?

Il est indéniable que, dans la continuité de Black Foxxes (2020) et de façon plus radicale encore, The Haar ne présente pas la même accessibilité que les deux premiers disques du groupe. L’incorporation de sonorités plus progressives, frôlant parfois le psyché, confère à l’ensemble des couleurs sonores plus troublantes, voire migraineuses.

Sur quelques chansons, les violons apportent un certain lyrisme (“I Can’t Be Left Alone With It”, “In The Image Of Perfection”). Mais d’autres morceaux les laissent altérer l’atmosphère à travers des percées plus stridentes, plus dissonantes (“Carsaig”, “Darker Than Light”, “Turn Out The Lights”). L’addition d’un saxophone sur plusieurs titres jazzifie les arrangements, qui gagnent en relief et en étrangeté à mesure que les différents instruments se répondent pour former une sorte de chaos musical enivrant (“Clean Mind (6 Months)”, “Darker Than Light”).  Les quelques secondes de fin de “Carsaig”, de “Bitcrusher” et de “In The Image Of Perfection” proposent des extraits d’enregistrements très rudimentaires, relatant des bruits de pas empressés, des moments capturés de sessions d’enregistrement, ou encore les rires, les clapotis et les éclaboussures ayant suivi un plongeon dans une eau apparemment glacée. Ces ajouts apportent spontanéité et ambiguïté à un album qui opère une curieuse magie entre mystère et honnêteté brute.

The Haar semble avoir été conçu pour s’écouter d’une traite : l’écoute isolée de ses morceaux paraît moins aisée que pour ses prédécesseurs qui voyaient certaines chansons émerger au-dessus de la mêlée (“River”, “Take Me Home”, “Breathe”, “Oh, It Had To Be You”), mais le tout propose une ambiance aussi singulière que potentiellement dérangeante, et donc intéressante.

Apprendre à aimer cet album requiert sans doute une certaine concentration, une écoute passive présentant le risque de passer à côté de toutes ses subtilités. Mais lorsque les conditions sont réunies, l’évidence s’impose : si The Haar brille davantage par sa vulnérabilité et la richesse de ses arrangements que par l’accessibilité de ses mélodies, il vient appuyer le constat que Black Foxxes mériterait une attention autrement plus grande sur la scène indie actuelle.

Informations

Label :
Date de sortie : 07/03/2025
Site web : black-foxxes.myshopify.com

Notre sélection

  • Shakey
  • Carsaig
  • Clean Mind (6 Months)

Note RUL

 4,5/5

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