Dans une époque saturée d’images, de flux constants et de surenchère émotionnelle, il est tentant pour un groupe aussi établi que Stereophonics de chercher à simplifier son message. Avec Make ‘Em Laugh, Make ‘Em Cry, Make ‘Em Wait, Kelly Jones et ses compagnons optent pour un retour à l’essentiel : un disque court, instinctif, façonné sans autre ambition que celle de capturer l’émotion brute du moment. Conçu dans l’urgence d’un besoin d’expression intime, cet album veut faire rire, pleurer et patienter, à l’image de la trajectoire humaine qu’il prétend illustrer. Mais entre fulgurances sincères et passages plus convenus, la frontière entre émotion spontanée et répétition mécanique n’est pas toujours facile à tracer.
La sincérité au prix de la redite
Avec Make ‘Em Laugh, Make ‘Em Cry, Make ‘Em Wait, Stereophonics propose une plongée à taille humaine dans les vertiges de l’émotion. Conçu comme un disque “fait maison” selon Kelly Jones, ce treizième album est une réponse instinctive au chaos intérieur et extérieur accumulé ces dernières années. Évoquant dans ses interviews une volonté de “laisser sortir ce qui devait sortir sans filtre ni stratégie“, le leader gallois livre un ensemble sincère, mais qui, à force d’introspection et de nostalgie, peine parfois à échapper aux recettes familières du groupe.
Dans les meilleurs moments, cette approche libérée donne des chansons touchantes et habitées. “There’s Always Gonna Be Something”, porté par un riff lumineux et une mélodie accrocheuse, rappelle les belles heures de Performance And Cocktails (1999). “Colours Of October”, l’une des plus belles réussites de l’ensemble, déploie une émotion brute sur une orchestration minimaliste, laissant la voix rugueuse de Jones porter toute la fragilité du propos. Cependant, malgré leur honnêteté, certaines compositions donnent l’impression d’une machine en pilotage automatique, répétant des formules éprouvées sans parvenir à les transcender.
Une palette large, mais inégalement exploitée
Musicalement, l’album navigue entre plusieurs rives : touches de rock classique, éclats bluesy, volutes americana. “Eyes Too Big For My Belly” injecte une dose bienvenue d’énergie brute, flirtant avec un glam rock rugueux, tandis que “Backroom Boys” renoue avec une certaine insouciance adolescente propre aux débuts du groupe. Pourtant, malgré cette variété apparente, la production reste étonnamment sage : peu de prises de risques, peu de ruptures stylistiques marquantes. La texture sonore, soignée mais convenue, manque parfois de l’aspérité qui aurait pu donner plus de relief à ce disque confession.
Kelly Jones l’a reconnu lui-même : Make ‘Em Laugh, Make ‘Em Cry, Make ‘Em Wait est un album “fait sans penser aux charts ni aux radios“, presque “comme un carnet de chansons personnelles“. Une liberté revendiquée qui, si elle désarme par son honnêteté, expose aussi les limites d’une écriture qui peine parfois à surprendre. Le groupe semble ici plus soucieux de capturer une humeur que de marquer durablement les esprits, livrant un disque cohérent, certes, mais souvent en retrait par rapport aux éclats émotionnels de ses œuvres passées.
Avec Make ‘Em Laugh, Make ‘Em Cry, Make ‘Em Wait, Stereophonics signe un album sincère et touchant à bien des égards, mais qui, en refusant de se réinventer, expose aussi les limites d’une formule désormais bien balisée.
Informations
Label : Universal Music / Polydor
Date de sortie : 25/04/2025
Site web : www.stereophonics.com
Notre sélection
- Colours Of October
- There’s Always Gonna Be Something
- Eyes Too Big For My Belly
Note RUL
3/5