Cinquante-six ans après les célèbres manifestations de “Mai 68”, revenons sur ce morceau de l’histoire contemporaine française qui est au cœur de la pochette du premier album de The Stone Roses, au titre éponyme, sorti en 1989. Réalisée par le guitariste du groupe, John Squire, revenons sur la carrière et la pratique artistique de cet artiste hors normes entre le courant Madchester et l’histoire de l’art.
L’album
C’est en plein essor du mouvement musical Madchester (contraction de “mad” / fou et “Chester” / Manchester) que le quatuor The Stone Roses dévoile son premier album. Ce courant s’initie durant les années 1980 en Angleterre et pose les bases de ce que sera la britpop pour les années 1990, dont Blur ou encore Oasis seront les chefs de file. Le critique Andrew Unterberger propose une analyse tout à fait pertinente de ce disque culte pour le journal SPIN : “Un exercice de classicisme rock, avec des mélodies accessibles comme celles des Beatles ainsi que l’humour effronté (et typiquement britannique) des Smiths et l’arrogance auto-réalisatrice des Sex Pistols“. Un parfait mélange d’influences 100% britanniques.
L’artiste
Avant d’être musicien, John Squire est également un artiste peintre. Le début de sa carrière est initié en parallèle du groupe The Stone Roses puis il se consacrera à sa pratique artistique dès 1994 après sa séparation avec le groupe. De 1989 à 1994, Squire considère les différents artworks des albums et compilations de la formation comme prétexte à la création de tableaux. On retient notamment la cover des compilations Turns Into Sun (1992) et The Remix (2000) ou encore Collection (2010).
Le geste pictural de ces trois compositions est à rapprocher de l’artiste expressionniste abstrait Jackson Pollock, célèbre pour ses projections de peinture aléatoires. Père de l'”action painting“, Pollock procède à une peinture en action, où le corps s’engage dans l’acte créateur. L’une des techniques employées par Pollock est le “dripping“, cette technique qui consiste à laisser couler directement d’un tube ou d’un pot sur une toile placée au sol. Dans les toiles de Pollock, plusieurs techniques et instruments sont employés afin de texturer la couleur, tels que des couteaux à palettes ou encore les frottements des tubes de peinture sur la toile. Les œuvres de Pollock sont ainsi le résultat d’une accumulation d’actions de l’artiste sur la façon d’appliquer la couleur brute sur la surface.
Singulart
John Squire a également été marqué par une photographie datant de 1980 de la photographe Penny Smith représentant Paul Simonon de The Clash pris en loge avec le sol immaculé de traînées de peinture, tel que l’atelier de Jackson Pollock. The Clash avaient en effet pour habitude d’asperger à la manière de l’action painting leurs vêtements de scène.
La cover
La pochette de l’album de The Stone Roses s’inscrit dans cette touche “à la Pollock“, similaire aux compositions de jeunesse de Squire. En réalité, cette peinture prend son essence suite au visionnage par Squire et Ian Brown des documentaires diffusés en 1988 sur la chaîne d’information britannique Channel 4 en hommage au vingtième anniversaire des émeutes étudiantes qui ont paralysé la France pendant le mois de mai 1968. Ce morceau de l’histoire sociale française commence par inspirer Squire pour les paroles du titre “Bye Bye Badman”, qui évoque toute la violence qui s’est déroulée durant ces événements, mais également le tableau du même nom utilisé pour la pochette.
Pour Squire, les jets de peinture ont tout à fait la symbolique de la révolte où le désordre et la violence règnent. Afin d’aller plus loin dans la réalité historique de son tableau, Squire rajoute ces trois réelles tranches de citron qu’il colle directement sur la toile. Le jus des citrons était utilisé comme antidote pour filtrer les gaz lacrymogènes durant les affrontements. Appliqué sur les écharpes des manifestants, l’acidité du jus avait un effet filtrant contre la toxicité des gaz, rendant ce fruit un des symboles de la révolte de mai 68. Également, le drapeau français en haut à gauche de la composition termine le travail et ancre réellement l’œuvre dans son contexte historique et politique.
Toute cette iconographie contemporaine nourrit le travail artistique de John Squire, naviguant entre patrimoine musical et histoire de l’art. L’artiste, toujours en activité, expose dans différentes galeries à travers l’Europe.