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Cover Story #20 : Green Day – Dookie / American Idiot (hors-série)


Hors-série : Pour cette vingtième édition de Cover Story, nous plongeons au cœur de deux œuvres emblématiques qui ont défini et accompagné la carrière de Green Day : les pochettes des albums Dookie (1994) et American Idiot (2004). Créées respectivement par Richie Bucher et Chris Bilheimer, ces images sont des récits visuels captivants, reflétant l’âme et les aspirations du trio à des moments clés de sa carrière. À travers les histoires de Richie Bucher et Chris Bilheimer, nous retraçons le parcours visuel de Green Day, depuis ses débuts débridés à Berkeley jusqu’à sa transformation en icône engagée.

L’album : Dookie

Sorti en 1994, Dookie représente un tournant décisif dans la carrière de Green Day. Premier album signé avec le label Reprise Records (Warner), Dookie est le premier succès commercial du trio, connu jusqu’à présent dans la petite sphère du 924 Gilman Street. Le disque s’est vendu à plus de vingt millions d’exemplaires dans le monde, dont plus de dix millions aux États-Unis. Porté par des singles à succès tels que “Basket Case”, “Longview” et “When I Come Around”, l’album a permis à Green Day de passer de la scène punk underground à phénomène mondial.

L’artiste : Richie Bucher

Richie Bucher est un artiste dont l’histoire est étroitement liée à la sphère du punk rock underground. L’esthétique de la caricature et du cartoon est caractéristique de l’artiste. Il explore tout d’abord ce style pour le fanzine Absolutely Zippo créé dans les années 1980, qui documentait les événements de la scène punk de l’East Bay de Berkeley. C’est d’ailleurs grâce à ses couvertures pour Absolutely Zippo que Green Day demande à Richie Bucher de travailler sur l’illustration de Dookie.


En tant qu’arts graphiques, le cartoon et la caricature sont utilisés pour déformer et tourner en dérision un sujet. Le terme “cartoon” prend son origine dans les ateliers d’artistes de la Renaissance, où les “cartons” étaient des dessins préparatoires, des versions simplifiées des œuvres peintes et tissées. La pratique perdure jusqu’au XVIIIe siècle, où le “carton” s’émancipe, notamment avec l’invention de l’imprimerie et de la presse. La presse était un relais efficace pour diffuser des dessins populaires, aux airs d’esquisses qui reflètent la société. Le terme et l’esthétique “cartoon” découlent alors de cette pratique du dessin préparatoire et des arts graphiques. Non loin de ce contexte, la caricature connaît le même essor avec l’arrivée de la presse, devenant une pratique courante. Elle exagère les traits des personnages représentés sous forme de saynètes faisant référence à l’actualité. Avec une tendance satirique, ce sont surtout les politiques et la bourgeoisie qui sont visés par ces dessins.


Richie Bucher travaille ses compositions au crayon de couleur, un matériau qui l’ancre dans l’univers de l’enfance et, par extension, à l’esthétique cartoon, conférant un caractère naïf à ses œuvres. Il s’inscrit également dans l’héritage du dessin de presse, qu’il connaît bien grâce à son métier de dessinateur de fanzine.

La cover

La composition réalisée par Bucher pour Dookie est un instantané du Berkeley des années 1990, où évoluent des références culturelles sous forme de petites caricatures.


L’élément principal de cette scène, qui grouille de personnages, est l’explosion au centre, d’où le nom de Green Day se dégage de la fumée. À l’horizon, on observe la Sather Tower de l’université de Berkeley à droite, ainsi que la raffinerie Rodeo à gauche. Ces éléments ancrent la composition dans un territoire, rendant hommage aux origines de Green Day.


Lorsque l’on regarde de plus près, on remarque certaines références à la pop culture, notamment une représentation de Patti Smith à une fenêtre dans la partie inférieure droite, reprenant sa posture sur la pochette de l’album Easter (1978). Au-dessus d’elle se trouve Angus Young arborant sa tenue d’écolier et sa Gibson. Puis, dans la partie gauche du dessin, se dresse une représentation de la femme visible sur la pochette du premier album de Black Sabbath (1970).


À la manière d’un tableau de Jérôme Bosch, chaque coin de l’illustration regorge de petites anecdotes visuelles, invitant le regardeur à décoder chaque élément. Comme une déclaration de non-conformité, le choix de Richie Bucher de représenter une ville bombardée de crottes de chien comme image centrale est à la fois humoristique et subversif. Il symbolise le mépris de Green Day pour les conventions et les normes sociales, ainsi que son désir de perturber l’ordre établi avec sa musique.


Une décennie plus tard, Green Day réapparaît avec American Idiot, un opéra rock qui exprime une profonde frustration envers la politique américaine post-11 septembre. La pochette minimaliste et percutante de Chris Bilheimer devient l’étendard d’une génération.

L’album : American Idiot

Sorti en 2004, l’album American Idiot a été un tournant décisif pour le trio après le succès modéré de Warning (2000), Shenanigans (2002) et de la compilation International Superhits! (2001). Cet album conceptuel, qui raconte l’histoire de Jesus Of Suburbia, un garçon de banlieue qui découvre les vices de la grande ville, rencontre un fort succès. Le disqu se vend à plus de seize millions d’exemplaires dans le monde. Aux États-Unis, il est certifié quintuple disque de platine. American Idiot arrive aux oreilles du monde entier deux mois avant l’élection présidentielle américaine, accordant à Green Day une voix puissante et critique dans une période politiquement chargée.

L’artiste : Chris Bilheimer

Chris Bilheimer est un graphiste et photographe américain. C’est au programme des beaux-arts de l’Université de Géorgie qu’il rencontre Michael Stipe, fondateur de R.E.M., avec qui il s’associe en 1994 pour la réalisation des visuels de R.E.M.. Cet événement signe l’arrivée de Bilheimer dans l’industrie musicale. Il réalise ainsi plusieurs projets d’envergure, dont la pochette de The Colour And The Shape (1996) de Foo Fighters, Move Along (2005) de The All-American Rejects ou encore Lights And Sounds (2006) de Yellowcard. Chris Bilheimer a également laissé une trace indélébile dans la discographie de Green Day. La collaboration dure depuis l’album Nimrod en 1997; Bilheimer a réalisé l’entièreté des visuels du groupe, excepté Demolicious (2014), la compilation God’s Favorite Band (2017) et Saviors (2024).


La cover

Pour réaliser la pochette, Bilheimer s’inspire directement de l’affiche du film L’Homme Au Bras d’Or (Otto Preminger, 1955) réalisée par le graphiste américain Saul Bass, connu pour avoir réalisé les affiches de West Side Story (Jerome Robbins et Robert Wise, 1961) ou encore Casino (Martin Scorsese, 1996). On remarque que Bilheimer prend appui sur le symbole de la main mais également sur la typographie de Saul Bass, caractérisée par des lettres capitales et géométriques, préférant des lignes épurées et des formes nettes qui communiquent efficacement le ton de l’œuvre.


La composition d’American Idiot est construite autour de la représentation de cette main blanche, serrée, brandissant une grenade en forme de cœur. Cette image provient de la chanson “She’s A Rebel” et des paroles “And she’s holding on my heart like a hand grenade” (Et elle s’accroche à mon cœur comme une grenade). La symbolique des couleurs est très forte. Le rouge du sang et de la grenade dialogue avec le titre American Idiot et contraste avec le noir et le blanc de l’arrière-plan, créant une tension visuelle qui reflète le ton de colère et de révolte présents dans les paroles de l’album. Côté symbole, la grenade ne laisse aucun doute sur le lien avec la violence qui frappe les États-Unis au début du siècle. Traumatisé par les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre en Irak qui fait rage depuis un an à l’époque de la sortie du disque, Green Day identifie le président en place, George W. Bush, comme responsable de ce climat politique sous tension.

American Idiot, c’est une prise de position frontale face au pouvoir en place, une première pour le trio. La composition de Bilheimer est un appel à la conscience et à l’action qui, même deux décennies après sa sortie, résonne toujours avec force et pertinence.


Grâce à leur force visuelle, ces deux couvertures sont les témoins silencieux de l’évolution de Green Day, de jeunes Californiens désinvoltes à véritables porte-parole d’une Amérique révoltée par les tumultes politiques, dont Green Day est encore aujourd’hui le représentant. Richie Bucher a capturé l’énergie brute et l’esprit anarchique du groupe à ses débuts. Chris Bilheimer a, quant à lui, su saisir l’évolution idéologique de Green Day avec une pochette minimaliste mais percutante. Ces deux œuvres endossent le rôle de pièces maîtresses de l’histoire musicale et culturelle, racontant une histoire de rébellion, de transformation et de prise de conscience sociale et politique.

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Kaithleen Touplain
Historienne de l'art et passionnée de musique rock à mes heures perdues.