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Cover Story #23 : The Beatles – The Beatles


En 1968, la pochette épurée de l’album The Beatles (The White Album) des Beatles, signée par l’artiste Richard Hamilton, bouleverse les codes esthétiques du design musical. Entre traditions des avant-gardes artistiques et renouveau visuel des années 60, elle incarne une quête d’essence universelle, à la croisée de l’art conceptuel et de l’esprit révolutionnaire de l’époque.

L’album

The Beatles (1968) est le neuvième album studio des Fab Four, succédant au succès de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967). L’ensemble, aussi appelé The White Album, marque une période de transition dans la carrière de la formation britannique. The Beatles connaît un succès commercial significatif dès sa sortie, atteignant rapidement les sommets des classements musicaux et étant considéré comme l’un des disques les plus vendus des Beatles. Les titres tels que la ballade acoustique “Blackbird”, la très rock “Helter Skelter” ou encore les influences ska de “Ob-La-Di, Ob-La-Da” illustrent la diversité stylistique de l’album.

L’artiste

Richard Hamilton est considéré comme un pionnier du pop art britannique. Né à Londres, il se forme à la prestigieuse Royal Academy Of Arts, qu’il intègre en 1938. Hamilton émerge dans les années 1950 comme une figure clé de l’Independent Group, un collectif d’artistes, d’architectes et de théoriciens initiateurs du pop art en Angleterre. Les artistes de l’Independent Group remettent en question les distinctions entre haute culture et culture populaire, formant ainsi une réelle révolution artistique au milieu du XXe siècle. C’est dans ce contexte qu’Hamilton crée son œuvre emblématique, Just What Is It That Makes Today’s Homes So Different, So Appealing? (1956), un collage novateur qui mêle objets de consommation, images publicitaires prises dans des magazines et références culturelles. Cette œuvre est souvent citée comme le manifeste visuel du pop art, bien avant que ce courant ne se popularise avec des figures comme Andy Warhol ou Roy Lichtenstein.

Richard Hamilton, Just What Is It That Makes Today’s Homes So Different, So Appealing, 1956, Collage, Kunsthalle Tübingen.

La cover

Au cœur des années 60, les Beatles deviennent une véritable institution culturelle, au croisement de la musique, de l’art et de la mode. Leur cercle gravite autour de figures artistiques emblématiques de l’époque, portées par l’ébullition créative du Swinging London, symbole de la vitalité culturelle de Londres durant la décennie. Parmi ces influences, leur amitié avec le marchand d’art Robert Fraser joue un rôle clé. Proche de figures comme Andy Warhol et Peter Blake, Fraser contribue à façonner l’orientation esthétique des pochettes d’albums du groupe, comme il l’avait déjà fait pour Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band en 1967. Lorsque vient le moment de concevoir la pochette de son neuvième album studio, le groupe choisit un tournant radical, en parfaite résonance avec la diversité sonore du disque.


Dépourvue d’éléments visuels ou figuratifs (mis à part l’inscription en biais The Beatles en relief en bas à droite), cette simple pochette blanche s’inscrit pourtant dans une tradition artistique profondément ancrée, résonnant notamment avec l’œuvre radicale de Kasimir Malevitch, Carré Blanc Sur Fond Blanc (1918).

Avec le Suprématisme, Malevitch cherche à dépasser la représentation figurative pour atteindre l’essence pure de l’art, en se concentrant sur des formes simples et des aplats de couleur. Ce mouvement se distingue davantage par un concept que par un style artistique : il aspire à une universalité spirituelle où l’abstraction totale transcende les limites matérielles et culturelles. De manière comparable, Richard Hamilton propose une pochette dépouillée qui élimine toute distraction visuelle, laissant à l’auditeur la liberté d’interagir pleinement avec l’essence immatérielle de l’œuvre : la musique elle-même. Ce vide, loin d’être neutre, invite à une réflexion plus profonde sur la nature de l’art et de la création.

Malevitch, par son abstraction radicale, visait à revenir à l’essence de l’art, dépassant les limites narratives et figuratives pour atteindre une universalité pure. Ce concept, repris plus tard par les artistes du courant De Stijl, s’opposait aux mouvements contemporains tels que le cubisme ou l’expressionnisme. Hamilton, de son côté, s’inscrit dans une démarche similaire. Alors que les pochettes psychédéliques, saturées de couleurs et de symboles, dominaient la scène musicale de l’époque, son choix d’un minimalisme extrême constitue une véritable rupture. L’art ne se voit plus : il se ressent. Cette simplicité radicale, à la fois hommage et réinvention, s’inscrit dans la continuité des avant-gardes et du suprématisme, tout en redéfinissant les codes esthétiques de la musique pop.


Enfin, chaque exemplaire du White Album est numéroté, conférant à cette œuvre “monochrome” une singularité paradoxale : le blanc unifie, mais le numéro différencie. La pochette de The Beatles transcende ainsi son rôle fonctionnel pour devenir une véritable œuvre d’art.

Loin d’être un simple exercice de style, l’œuvre de Richard Hamilton dialogue avec une histoire artistique plus vaste. Elle prolonge les aspirations des avant-gardes tout en les adaptant à un nouveau contexte : celui de la musique populaire. En s’inspirant de courants comme le suprématisme de Malevitch, Hamilton propose une relecture contemporaine des idéaux artistiques du début du XXe siècle, en les intégrant à l’univers pop des années 60.

Cette couverture blanche devient un symbole intemporel de la culture musicale, influençant de nombreux artistes à travers les décennies. De Metallica à Prince, en passant par Weezer et Kanye West, The Beatles et Richard Hamilton ont laissé un héritage visuel et conceptuel qui résonne encore aujourd’hui.

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Kaithleen Touplain
Historienne de l'art et passionnée de musique rock à mes heures perdues.