Entre musique, art et témoignage d’une relation intime, cette semaine, Kaithleen nous raconte l’histoire derrière la pochette de l’album Horses de Patti Smith, sorti en 1975. Mais qui la poétesse punk regarde-t-elle ainsi ? Il s’agit de Robert Mapplethorpe, photographe actif entre 1970 et 1989. Influent sur la scène underground de New York, son travail avec Patti Smith lui ouvre les portes de sa carrière artistique.
L’album
Horses est le premier album studio de Patti Smith, enregistré à New York aux studios Electric Lady. L’ensemble connaît un immense succès dès sa sortie pour son caractère précurseur de ce que l’on appelle aujourd’hui le punk rock. En jeune femme d’à peine trente ans, Patti Smith intrigue et fascine à la fois. La pochette de l’album contribue également au succès de ce premier disque.
La cover
Robert Mapplethorpe est un photographe américain réputé pour son travail en portrait photographique en noir et blanc. Il a étudié le dessin, la peinture et la sculpture à l’Institut Pratt de New York. Le début de sa carrière artistique s’exprime à travers la pratique du photomontage qu’il exerce par le collage de photographies de magazines qu’il récupère ici et là. Mapplethorpe est inspiré par des artistes tels que Marcel Duchamp et Joseph Cornell, figures de l’avant-garde artistique du début du XXe siècle. Son premier coup de cœur photographique sera une série de nus du photographe Alfred Stieglitz, exposée au Metropolitan Museum Of Art de New York.
Il faut savoir que les années soixante-dix sont un véritable tournant dans l’histoire de la photographie en tant qu’art. Considérée comme une activité documentaire, c’est grâce à des figures telles qu’Ana Mendieta, Ed Ruscha, John Baldessari, ou encore Marina Abramovic (pour ne citer qu’eux) que le décloisonnement entre la photographie documentaire et la performance artistique a eu lieu. Robert Mapplethorpe s’inscrit dans cette veine du renouveau de la photographie à sa façon. L’artiste réalisera de nombreux clichés dans le domaine de la pornographie, ce qui lui vaudra le titre de photographe sujet à controverses.
Mapplethorpe démarre la photographie avec un Polaroid Land 360 prêté par un ami et prend comme modèle sa compagne du moment, Patti Smith. Tous deux forment un jeune couple qui aspire à une carrière artistique, elle dans la musique et lui dans la photographie. Ils s’inspireront mutuellement dans leurs pratiques respectives. Le livre Just Kids (2010) écrit par Patti Smith raconte la force expressive de leur relation, entre leurs trois ans d’amour jusqu’à leur amitié qui les a unis jusqu’à la mort du sida de Mapplethorpe en 1989. Patti Smith déclare à propos de leur relation :
“Nous nous étions promis de ne plus jamais nous quitter tant que nous ne serions pas tous les deux certains d’être capables de voler de nos propres ailes. Et ce serment, à travers tout ce qu’il nous restait encore à traverser, nous l’avons respecté.“
La photographie de Horses est l’une des premières photos de Mapplethorpe en tant que photographe. Il existe d’ailleurs deux autres clichés de ce shooting, aujourd’hui exposés au Tate Modern de Londres.
L’illustration de Horses est un portrait en noir et blanc, avec la lumière venant du côté droit de la composition. Le noir et blanc a été travaillé naturellement, car Mapplethorpe avait l’habitude de photographier en lumière naturelle, ce qui est l’une des caractéristiques de l’artiste. Patti Smith porte une chemise blanche et une cravate défaite. Son attitude paraît naturellement désinvolte, et son regard nous provoque presque. Elle porte sur l’épaule une veste de costume d’homme, ce qui participe à la culture de son image androgyne, spécifique à l’artiste. Cette androgynie questionne notamment le statut des femmes de cette période, en pleine reprise de leur pouvoir féminin, délaissant l’image de la femme au foyer des années soixante. Mapplethorpe a également réalisé la pochette de l’album Wave (1979).
Plus qu’un portrait, cette photographie est le témoignage d’une époque et d’une relation intime entre deux artistes. L’histoire entre Patti Smith et Robert Mapplethorpe bascule de l’amour à l’amitié et restera très forte jusqu’au décès du photographe. Smith confie dans Just Kids :
“Il avait envers les hommes des pulsions dévorantes, mais je ne me suis jamais sentie moins aimée pour autant. Il n’était pas facile pour lui de rompre nos liens physiques, je le savais. Nous restions fidèles à notre serment, Robert et moi. Aucun de nous deux ne quitterait l’autre. Je ne l’ai jamais vu par le prisme de sa sexualité. Mon image de lui demeure intacte. Il était l’artiste de ma vie.“