Deafheaven – New Bermuda

Que penser de “New Bermuda” ? À la fois l’album le plus attendu de la scène metal en cette fin de rentrée, tout en étant aussi le plus discret, Deafheaven n’ayant pas communiqué autant qu’on l’attendait. Mais n’était-ce pas de cette façon là que “Sunbather” avait finalement tant fait parler de lui pour finir par imposer le groupe aux yeux de tous ? Deafheaven a toujours été un élève à part dans la scène black metal, distillant son art noir avec une approche indie qui le différencie des autres formations. Les Américains étaient attendus au tournant, rassurant entre deux les foules avec la sublime “From The Kettle Onto The Coil”, qui finalement, ne figure par sur cette nouvelle offrande. Récit du plongeon auditif.

Pendant quarante-sept minutes, Deafheaven s’amuse à perdre l’âme de l’auditeur dans les sillons d’un nouveau triangle des Bermudes qu’il a musicalement et conceptuellement crée. La sublime pochette annonce la couleur : le “bain de soleil” est terminé, et, avec ou sans bermuda, la noyade programmée peut maintenant commencer (“Brought To The Water”) même si déjà, de curieuses mélodies, éminemment joyeuses, viennent fortement contraster avec une rythmique froide et dure. Le ton est donné, “New Bermuda” sera un opus de contraste. On pensait de la scène post black metal qu’elle avait tout dit, mais Deafheaven nous plonge dans un océan de noirceur où le rythme de croisière – entre un post rock planant et un black metal dont la vitesse des blast beat nous échappe – semble indécis (“Luna”). Les deux styles, plus que jamais dichotomiques entre les mains de Deafheaven, s’affrontent dans un duel d’émotions sans merci, sans que jamais l’un ou l’autre ne prenne totalement le dessus.

Les longues plages post rock viennent permettent de respirer et d’aérer l’ensemble, le rendant étrangement accessible, agréablement éthéré. La musique de Deafheaven n’a jamais semblé aussi facile et évidente et pourtant, elle n’a jamais été aussi subtile et bien pensée, en témoigne les sublimes arpèges, cotonneux et suaves de “Baby Blue”. Et les rares moments où Deafheaven semble s’égarer et se perdre dans l’influence parfois étroitement notoire de ses voisins français d’Alcest (introduction de “Come Back”), il n’en est rien, l’accident est évité avec une classe déconcertante. Car les riffs de Deafheaven ont cette singularité frappante, un son et une maîtrise qui ne peut que venir d’eux. Et que dire de ce magnifique solo, totalement incongru, mais audacieux, et qui pourtant a tellement sa place au-dessus de cette rythmique. Ce qui est au début un “pourquoi pas” devient au fil des écoutes une évidence : Deafheaven frappe toujours plus fort là où on ne l’attend pas. Il n’y a plus de doute, “New Bermuda” est une fresque éminemment plus variée que son prédécesseur, “Sunbather”, plus uniforme. Enfin, sur le final “Gifts For The Earth”, on ne peut s’empêcher de penser, purement et simplement, que jamais une chanson n’a aussi bien porté son nom. Un peu différente des pistes précédentes, la voix fait légèrement penser à celle de John Haughm d’Agalloch, mais les mélodies et l’ambiance générale balayent toute trace de doute : ceci est un pur concentré de Deafheaven, ici au sommet de son art.

Nous croyions tous, naïfs, que Deafheaven s’était paré de son plus beau discours sur “Sunbather”. Tout le monde avait crié au génie, certains critiques avait parlé de “l’album de la décennie”, la formation avait été complètement propulsée sur le devant d’une scène metal qu’elle ne désirait même pas elle-même. Au final “New Bermuda” enfonce le clou, évite habilement l’écueil qui aurait été de jouer sur cette image de hipster pour proposer une redite exacte de “Sunbather”. On tient-là, un grand essai et Deafheaven prouve avec cette nouvelle offrande que sa réussite précédente ne relevait pas d’une simple chance, mais d’un talent certain. Un talent qui – et cela ne s’explique pas – pourrait bien démocratiser le black metal, le rendre accessible sans pour autant lui faire perdre son intensité d’origine.