Comment aborder la chronique de cet album si particulier ? Car la particularité d’Hammock, c’est que chaque album a justement une saveur particulière. Discrets, depuis plus de dix ans et avec sept efforts studio à leur actif, les deux Américains répandent des ondes sonores délicates, à mi-chemin entre post rock et ambient, mais pas que.
Et dès la première écoute, dès ces premières “complaintes angéliques” en ouverture de l’ensemble, la solution s’est imposée. Il faut aborder ce “Everything And Nothing” pour ce qu’il est : une œuvre de poésie. Par respect pour le travail de ces artistes, ne seront cités aucun des seize titres, même si certains seront évoqués. Car plus que jamais, l’œuvre d’Hammock s’aborde comme un tout, une unité, un immense bloc sonore en provenance des cieux. Rompre l’écoute de ce disque à son quart ou sa moitié reviendrait à rompre une magie dont le charme opère et se dévoile au fur et à mesure des chansons, et des écoutes. Quelques groupes, dont Anathema et Hammock, se sont déjà penchés sur ce qui nous attendait après la mort. Ceux qui relatent leurs expériences de morts imminentes évoquent tous une musique à la fois lointaine, angélique et indescriptible. C’est exactement le sentiment qui nous envahit tout le long de cet opus. C’est un long frisson d’1h16, composé de tout et de pourtant si peu. Cet essai est semblable à une nouvelle expérience auditive magnifiée par une production incroyable, un voyage spirituel aux confins lointains et dont on se délecte à chaque seconde. Comme une excursion en forêt, où l’on sauterait de branche en branche, d’une mélodie de violon à un arpège de guitare cristallin. Car sans jamais être hors propos, Hammock se diversifie et revient à l’intensité des premiers albums tout en gardant la sensibilité et le caractère parfois minimaliste de “Oblivion Hymns” (2013). Si cela était parfois gênant sur ce dernier album, ici, il n’en est rien : Hammock nous fait part des plus belles accalmies de sa discographie. Et si par mégarde on se laisse assaillir par une émotion trop forte pour notre petit corps chétif, un nuage cotonneux – un accord de synthé – se fera un plaisir de nous réceptionner.
Le kaléidoscope des sensations offertes ici n’est pas quantifiable ni mesurable. C’est un éventail de saisons, de couleurs et d’odeurs dont les noms des morceaux – seul message “écrit” laissé ici par la formation – peuvent être de vagues indicateurs de l’objet. Mais l’interprétation, c’est à l’auditeur de se la faire. Introspection et émotion se mêlent sans jamais prendre le pas l’un sur l’autre, sans jamais nous guider vers le chemin le plus facile et pourtant, rarement un disque d’Hammock n’aura été aussi facile à écouter. Il suffit de se laisser emporter par le courant, entre plages ultra planantes et passages un peu plus électriques et rythmées, l’équilibre est toujours respecté. Hammock n’a pas abandonné l’audace vocale qu’il avait su proposer sur le double album “Departure Songs” et offre ici six pièces avec voix et textes. Elles comportent peut-être les relents les plus fragiles de la réalisation, qui se mêlent à merveille avec les longues plages instrumentales. La voix, qu’elle soit masculine ou féminine (ou les deux, ce qu’on ne pourra qu’apprécier davantage) est très en avant sur certains morceaux mais n’empiète jamais sur la mélancolie et la rêverie délivrées par l’instrumentale. Au contraire, elles s’accordent, s’entremêlent pour former une “étreinte sonore” face à laquelle l’indifférence n’a jamais sa place
Malgré un dernier album un peu plus faible que ses prédécesseurs, Hammock réitère le même exploit depuis maintenant plus de dix ans : proposer quelque chose de nouveau tout en restant fidèle à ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire effacer nos repères spatio-temporels et nous engloutir dans les sillons d’un univers qu’il a forgé de ses quatre mains. Au regard des récents événements, et face à la folie qui règne dehors, ce “Everything And Nothing” est tout ce dont l’amateur de musique pouvait rêver : un refuge intemporel sous lequel s’abriter, qu’importe si l’orage gronde ou non. Car Hammock nous foudroie une fois plus.
Informations
Label : Hammock Music
Date de sortie : 01/04/2016
Site web : www.hammockmusic.com
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Note RUL
4.5/5