AFI – AFI (The Blood Album)

Ah 2006. Vos cheveux subissaient quotidiennement des séances de lissage intense, vos jambes étaient boudinées dans un skinny jean noir corbeau et vos yeux cernés de khôl sombre, “L’Etrange Noël De Monsieur Jack” connaissait un nouveau souffle et “Miss Murder” de AFI côtoyait dans les charts “Welcome To the Black Parade” de My Chemical Romance. Après un début dans les milieux hardcore/punk puis un passage par l’horror punk, les Américains de AFI surfaient tout en haut de la vague rock mainstream à tendance goth qui déferlait dans le monde entier. Dix ans plus tard, cet essor du mouvement emo ne reste qu’un lointain souvenir, mais A Fire Inside est toujours là, avec vingt-cinq ans de musique à son actif.

Fidèle à son esthétique, c’est en plongeant dans les ténèbres ses profils Facebook et Twitter et en postant sur Instagram de mystérieuses vidéos évoquant des gouttelettes de sang que le groupe a teasé son retour, quatre ans après son dernier album, “Burials“. Sobrement intitulé “AFI (The Blood Album)” et co-produit par Jade Puget et Matt Hyde (Deftones, Slipknot), le dixième opus du quatuor est publié le 20 janvier. Et si les évocations au sang sont nombreuses tout au long de l’ensemble, c’est vers un esthétique moins sombre et une sonorité alternative toute en mélodies que la formation semble se tourner.

Dès les premiers grattements de cordes saturés de Hunter Burgan et de Jade Puget sur la piste d’ouverture “Dark Snow”, la direction alternative se dessine. Davey Havok force moins sur ses cordes vocales pour adopter une voix légèrement plus grave et moins nasillarde, sans pour autant perdre son intensité caractéristique. La force mélodique des refrains et l’énergie incandescente de la partie instrumentale, rythmée par Adam Carson, nous feraient presque oublier que le chanteur évoque la solitude, le regret, et d’autres thèmes similairement joyeux. Des morceaux efficaces, entêtants, mêlant avec habilité énergie punk et mélodies pop, le disque en regorge. Du retentissant “Hidden Knives” à l’énergétique “Get Hurt”, en passant par le mainstream “Above The Bridge”, AFI multiplie les tubes potentiels, aussi accessibles que réussis. Seul bémol ? Les structures semblables des morceaux et la similarité quasi constante du tempo confèrent à l’essai une impression de redondance légèrement déplorable.

Mais heureusement, quelques compositions plus agressives se démarquent, à l’image de “So Beneath You” et “Still A Stranger”, bénéficiant toutes deux d’un bridge savoureux. “Dumb Kids”, véritable appel au mosh pit, devrait faire plaisir aux fans de la première heure, mais n’égale pas pour autant l’excellent “White Offerings”. Parfait mélange entre la hargne punk de ses débuts, son son plus mélodieux actuel et la touche mélodramatique qui lui est propre, le single musclé propulse AFI au sommet de son art. Davey Havok transpire d’intensité, alternant entre voix claire et grondements rauques, loin des intonations larmoyantes qu’on lui connaît parfois.

Les Californiens ne délaissent cependant pas complétement le registre torturé et poétique, comme en témoigne “Snow Cats” et ses airs de “Sing The Sorrow” et “She Speaks The Language”, couronné par un solo très metal de Jade Puget. C’est d’ailleurs en grande partie sur les épaules de ce dernier que repose la réussite de cet effort studio. En plus de délivrer une production solide, le guitariste propose des riffs aussi incisifs que mélodieux, imprégnant “AFI (The Blood Album)” d’une atmosphère saisissante.

Après neuf albums, et plus de vingt-cinq ans de carrière, les “c’était mieux avant” et autres “l’ancien AFI me manque” sont presques incontournables. “AFI (The Blood Album)”, ne réconciliera probablement pas les fans du début du groupe, n’attendant exclusivement de la bande de Davey Havok qu’un retour à ses racines hardcore. Mais avec son dixième album, AFI peaufine, certes sans prendre de risque, la direction musicale enclenchée depuis quelques années, et semblent finalement trouver un terrain d’entente entre son passé punk, sa sensibilité poétique et ses sonorités alternatives.