Il est des groupes dont l’ascension ne semble jamais s’essouffler. Succès après succès, année après année, Alcest n’a cessé de s’imposer comme le leader de toute une scène et comme le pilier du label Prophecy Productions. Trois ans après le très acclamé “Kodama” (2016) aux accents japonisants, le duo français vient de signer chez Nuclear Blast, avec en prime la sortie d’un sixième album intitulé “Spiritual Instinct”.
Un album énigmatique
Avant même de se pencher sur la musique, le sphinx trônant sur la pochette donne une première clé pour aborder le disque. Symbole ultime de l’énigme, cette créature hybride est l’union de la férocité, représentée par le corps du lion à l’intelligence et la prudence, symbolisées par la tête humaine.
Dès les premières notes de “Protection”, premier single de l’ensemble pourvu d’un magnifique clip, on comprend que le duo s’est justement durci et assombri. Dans le son, plus metal, mais aussi dans les rythmes, plus tranchés et alambiqués. Si on flirte parfois avec un post metal dont Alcest a toujours su se tenir à l’écart, le groupe n’a pas oublié ce qui fait l’essence de sa musique et c’est précisément là que l’intelligence se trouve.
L’alternance ombre et lumière, rythmes grandioses et arpèges cristallins, chœurs clairs et voix black, tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce single un hymne salutaire et cathartique. Cathartique, c’est d’ailleurs le mot employé par Neige, maître à penser du duo, pour caractériser l’écriture de cet album, né d’une souffrance peut-être nécessaire pour arriver à un tel résultat.
Une spiritualité sans genre ni frontière
Ce joyeux constat établi, une question émerge : l’ombre metal de Nuclear Blast plane-t-elle au-dessus des six titres qui composent “Spiritual Instinct” ? Une réponse est à nuancer. Sans renier son terreau parfois metal, Alcest explore de nouveaux horizons musicaux tout en gardant la quintessence d’une identité musicale qui s’élève au-dessus des genres.
Les claviers hypnotiques de “L’Ile Des Morts”, clin d’oeil aux tableaux du même nom du peintre Arnold Böcklin, ont beau laisser place à des riffs post metal, le morceau comporte les plus beaux aigus de Neige et des riffs d’une légèreté sans précédente.
Et c’est là que le duo frappe fort : les expérimentations ne se font pas qu’au niveau des instruments, le spectre vocal d’Alcest n’a jamais été aussi large et varié, là où son prédécesseur manquait parfois d’audace. Si “Les Jardins De Minuit” renoue avec l’ambiance nocturne de “Ecailles De Lune” (2010), mené par des blast beat et un chant black perçant et intense, le chant clair et les chœurs célestes auréolent le titre d’une grâce quasi divine. Grâce que l’on retrouve jusque dans les parties de batterie, toujours interprétées par Winterhalter.
Une prise de risque qui paie
Si “Les Voyages De L’Âme” (2012) ou même “Kodama” avaient, par rares moments, épuisé cette belle dualité qui a fait la légendaire marque de fabrique du groupe, elle est ici préservée avec une parcimonie qui laisse une juste place à la prise de risque.
Sur “Le Miroir”, poème de Charles Van Lerberghe, Neige livre un morceau déstabilisant car délibérément folklorique, avec guitare et flûte. “Sapphire”, l’un de plus beaux moments de l’album, renoue avec le langage non humain d’Alcest, baigné d’un shoegaze lumineux et d’une intensité qui monte jusqu’à exploser.
“L’Île Des Morts”, du haut de ses neuf minutes, est la parfaite symbiose de ces nombreux changements de rythmes, d’ambiances et d’expérimentations qui ne font jamais sombrer Alcest dans le trop ou le pas assez. Seul le final, “Spiritual Instinct”, n’honore pas la légèreté et la nitescence d’un “Délivrance” car moins original et touchant malgré une seconde moitié plus captivante.
Suffisamment metal pour rejoindre les rangs de Nuclear Blast, suffisamment aventurier et expérimental pour surprendre et suffisamment lui-même pour continuer à émouvoir, “Spiritual Instinct” est un disque de justesse et d’équilibre qui pourrait bien diviser les fans et en attirer de nouveaux.
Alors qu’on lui devait déjà d’avoir tracé, entre ombre et lumière, un large chemin que bien des groupes se sont empressés de suivre sans toutefois l’honorer, Alcest réussit l’exploit de repartir de ce chemin initial pour tracer une petite sente, à l’abri d’un style souvent tissé de redondances et de mauvaises copies. Une sente, qui, bien qu’un peu courte, débouche peut-être sur un nouveau refuge ou vers une nouvelle quête de spiritualité ?
Informations
Label : Nuclear Blast Records
Date de sortie : 25/10/2019
Site web : www.alcest-music.com
Notre sélection
- Protection
- L’île Des Morts
- Le Miroir
Note RUL
4,5/5
1 Commentaire
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Je suis fan de ce groupe depuis longtemps. Merci pour ce bel article qui reflète bien la richesse mélodique d’Alcest ! C’est un groupe qui génère une musique riche et sophistiquée qui m’enchante !