Dans un monde où tout s’accélère, où l’instant présent est vidé de son sens avant même d’être vécu, BRUIT ≤ s’impose comme un îlot de résistance. Le quatuor toulousain revient avec The Age Of Ephemerality, un manifeste instrumental à la croisée du post rock, du néo-classique et de l’ambient. Fruit d’une retraite en altitude, enregistré entre quatre lieux et capturé sur des dispositifs analogiques autant qu’électroniques, cet album explore les cicatrices laissées par une civilisation envoûtée par ses propres chimères technologiques. Ici, pas de compromis : ni sur le fond, viscéralement politique, ni sur la forme, audacieuse et radicale. Cinq morceaux, quarante minutes, une collision lente mais inexorable entre l’âme humaine et la machine.
La musique comme dernier rempart contre l’aliénation
Avec The Age Of Ephemerality, BRUIT ≤ donne corps à un constat implacable : “La course au progrès est une fuite en avant où chaque instant est déjà obsolète avant d’être vécu“. Dès “Ephemeral”, le groupe pose les bases d’une esthétique du vertige, où cordes frottées, nappes modulaires et drones organiques se répondent dans un équilibre fragile. La production mêle prises sur bande, captations d’orgues centenaires et enregistrements live. Elle refuse toute aseptisation numérique pour restituer le souffle du réel, son imperfection vibrante. La beauté y est saisissante, mais toujours menacée, comme un souvenir voué à s’effacer.
À travers ces textures mouvantes, BRUIT ≤ interroge notre rapport au temps, à l’identité, à la mémoire. “Data”, avec sa batterie motorique parasitée par des glitchs électroniques, devient l’illustration sonore d’une humanité prisonnière de ses propres réseaux. Comme le souligne le groupe, “notre libre arbitre, notre humeur, notre sexualité, nos choix politiques, toute notre existence est aliénée par ces lignes de code“. Chaque mesure, chaque crescendo, semble vouloir s’échapper de cette gangue algorithmique, lutter pour retrouver une étincelle d’imprévisibilité, une parcelle d’humanité.
Une collision sonore au service d’un manifeste politique
Au centre du disque, “Progress / Regress” et “Technoslavery / Vandalism” articulent la tension fondamentale de l’œuvre. Ce que l’on nous présente comme un progrès n’est souvent qu’une régression maquillée, un perfectionnement de l’aliénation. Les crescendos orchestraux se font plus sombres, les textures plus abrasives. Un peu comme si le disque lui-même luttait contre sa propre fin programmée. BRUIT ≤ ne propose aucune échappatoire facile. Sa musique est une plongée consciente dans l’abîme, un refus de détourner les yeux.
Sur “Technoslavery / Vandalism”, l’album atteint une intensité brute où chaque instrument semble prêt à imploser. C’est l’illustration sonore de leur concept. “Les derniers vestiges de notre libre arbitre semblent se trouver dans le choix entre vandalisme et esclavage technologique.” Enfin, “The Intoxication Of Power” ferme la marche avec une majesté sombre. Une ponctuation de dissonances et d’orages sonores, sur fond de citation orwellienne : “La guerre c’est la paix. La liberté c’est l’esclavage. L’ignorance c’est la force.” Comme un glas pour une époque qui confond progrès technique et effondrement existentiel.
The Age Of Ephemerality est une expérience, une déclaration politique et poétique. Une œuvre totale qui convoque aussi bien le désespoir que la beauté sauvage du vivant en voie d’extinction.
Informations
Label : Pelagic Records
Date de sortie : 25/04/2025
Site web : www.rockurlife.net
Notre sélection
- The Intoxication Of Power
- Technoslavery / Vandalism
- Ephemeral
Note RUL
4,5/5