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Childish Gambino – Atavista

Quatre ans après son dernier album, l’artiste multi-talents Childish Gambino revient avec un cinquième album et un gros air de déjà-vu.

From 3.15.20 to Atavista

L’histoire d’Atavista est intimement liée à celle du précédent disque, sorti en pleine pandémie, un dimanche de mars 2020. Sans annonce, sans artifice, 3.15.20 avait d’abord été diffusé en continu lors d’un stream sur le site donaldgloverpresents.com. Douze heures après, la diffusion s’arrêtait net. Sur Internet, en particulier sur Reddit et Twitter, la spéculation des fans allait bon train.

Une semaine plus tard, 3.15.20 arrivait sur les plateformes officielles. Un titre impersonnel qui n’évoque que la date de sa première diffusion, une pochette immaculée, elle aussi impersonnelle. Comme si l’album avait été jeté en pâture aux auditeurs sans grande réflexion. Les titres des morceaux, à deux exceptions près, jouent sur le même tableau. Ceux-ci correspondent à l’horodatage de leur apparition sur l’album (“32.22” commence à trente-deux minutes et vingt-deux secondes, par exemple).

La sortie laisse un goût d’inachevé dans la bouche de nombreux fans. Certains se demandent à quoi cela rime, eux pourtant habitués aux mystères auxquels s’adonne Donald Glover à chaque sortie d’album. On repense par exemple aux indices cachés dans le code de son site Internet peu avant l’arrivée de Because The Internet en 2013. Mais en dehors de cette sortie inattendue, rien d’autre ne vient, l’artiste étant occupé avec ses projets hollywoodiens.

3.15.20 : Le remake

Quatre ans plus tard, la rumeur enfle. Les comptes Instagram de Donald Glover et de Childish Gambino (qui sont la même personne, il est toujours bon de le rappeler), s’activent. Atavista est mentionné. Un mot qui était à l’origine le titre donné à la chanson qui servait d’introduction à sa tournée This Is America. Un tracklisting avec des titres de morceaux, certains déjà connus des fans depuis plus de cinq ans, fait son apparition. Un disque s’apprêterait-il à sortir ?

La réponse est oui. Après presque un mois de spéculation, l’intéressé vend finalement la mèche lors d’une interview diffusée sur sa Gilga Radio. D’abord en direct sur Instagram, puis retransmise pendant une semaine sur un site dédié. Oui, Childish Gambino est bel et bien de retour. Et avec non pas un, mais bien deux albums (le second étant, selon lui, l’album final de l’artiste). C’est donc le premier de ce diptyque qui nous intéresse ici car, comme il le confirmera dans cette même interview, il s’agit de la version finale de 3.15.20.

Une version mixée et masterisée, avec un vrai nom, des titres de morceaux et une pochette, et même une sortie vinyle ! Il raconte avoir décidé de publier 3.15.20 parce qu’il “traversait beaucoup de choses” et qu’il pensait que “tout le monde allait mourir” au début de la pandémie. Mais entre aujourd’hui et 2020, l’album a été bouclé. Nous voilà donc le 13/05/2024 et Atavista, tel qu’il avait été envisagé il y a plus de quatre ans, voit enfin le jour.

On prend les mêmes et on recommence

Sans surprise, l’ensemble est quasiment similaire à sa version d’il y a quatre ans. Cela va même jusqu’à reprendre une pochette similaire, d’un blanc cassé très impersonnel. La seule différence étant que le nom de l’album apparaît en toutes lettres dessus. Les titres des morceaux sont, en revanche, des vrais titres et non plus de l’horodatage bête et méchant.

Les morceaux en eux-mêmes n’ont pas changé sur le plan de l’écriture, mais la production est plus claire, le mix est plus lisible. En témoignent certaines pistes vocales, désormais rendues plus claires. En particulier le featuring d’Ariana Grande sur “Time”, qui était auparavant un peu plus confus à l’écoute.

Enfin… Presque

Autre victoire, surtout pour les fans qui l’attendaient depuis cinq ans : la présence de l’excellent “Human Sacrifice”. Un morceau gospel, funk totalement cathartique dans lequel Glover donne l’impression d’être le prêcheur d’une messe planétaire. La nouvelle introduction, “Atavista”, est également une nouveauté plaisante, très pop et parfaite pour l’été. Malheureusement, elle n’arrive pas à la cheville du morceau que l’artiste jouait en introduction de ses concerts en 2018/2019. “Sweet Thang” et “Little Foot Big Foot” gagnent quant à elles deux invités qui viennent élever un peu plus ces chansons.

Tous les changements ne sont donc pas forcément pour le meilleur. Si l’on gagne deux nouveaux morceaux, on en perd aussi quelques-uns en cours de route. L’ancienne introduction de l’album “0.00” (autrement connue sous le nom de “We Are”) et “32.22” (“Warlords”) sont finalement coupées au montage. De même pour “Why Go To The Party”, qui voit sa durée maintenant amputée de près d’une minute trente alors qu’elle aurait pu rester intacte ou tout simplement être intégrée à “Human Sacrifice”.

Les transitions pâtissent aussi de ce lifting musical. Pour la plupart, la coupe était tout de même nécessaire, tant certaines fins de chansons de 3.15.20 s’éternisaient trop. Mais le bât blesse sur la transition entre “Psilocybae (Millenial Love)” et “To Be Hunted”. La fin de la première annonce clairement une montée de tension dont on attend la résolution au prochain morceau. Pas de bol, celle-ci ne se fait plus et c’est quand même bien dommage.

On constate aussi, à notre grand malheur, que la version finale de “Algorhythm” perd toujours son final génial. Final que le chanteur avait joué systématiquement lors de sa tournée. Il faudra se contenter de cette coupure abrupte (déjà présente sur 3.15.20) mais qui colle à l’ensemble du projet.

Continuité

L’album, ainsi que sa version “bêta“, jouent le rôle de pont entre toutes les différentes influences musicales de Childish Gambino. L’Américain ayant d’abord commencé sa carrière dans le rap avec plusieurs mixtapes puis un premier album, Camp (2011). Des premiers projets qui signent d’ailleurs les débuts de la collaboration entre l’acteur et Ludwig Göransson, qui co-produit et co-écrit la majorité des titres de Gambino. Viendra Because The Internet (2013), son disque magnum, puis l’EP très pop Kauai (2014) avant de passer au funk et à la soul sur le dernier “vrai” disque : Awaken, My Love!. Autrement dit, Donald Glover ne s’est jamais cantonné à un seul style.

C’est ce que l’on retrouve sur Atavista, qui sonne comme le melting-pot ultime de ces influences et de ces projets précédents. “Atavista” et “To Be Hunted” sont des chansons pop résolument modernes, très efficaces, sur lesquelles Glover donne de son falsetto impressionnant. “Psilocybae (Millenial Love)” aurait même pu paraître sur Kauai.

À côté, il y a les morceaux plus proches du rap, mais avec cette sensibilité très électro que l’on entendait déjà sur Camp (“Algorhythm”, “Final Church”), tandis que d’autres restent dans la continuité de la soul et du funk du disque précédent (“Little Foot Big Foot”, “Human Sacrifice”). On note même quelques ressemblances thématiques et musicales entre les deux morceaux de fin de cet album et ceux de Awaken, My Love!.

“ima fix Wolves”

En “corrigeant” son album quatre ans après et en ajoutant un morceau très demandé, Childish Gambino fait des heureux. D’autres le sont un peu moins. En sortant cette version finale du disque, l’artiste a aussi fait le choix de retirer l’original des plateformes de streaming. Certains morceaux y figurant n’apparaissent pas sur Atavista (“32.22”, par exemple). Le stream complet de l’album reste disponible sur YouTube (jusqu’à quand ?), mais il est impossible de l’écouter sur les plateformes comme Spotify, Tidal ou Apple Music. À moins d’avoir acheté l’album en dématérialisé, car évidemment, l’idée de propriété du contenu sur ce genre de plateformes n’existe pas, à l’inverse des médias physiques (CD, vinyle).

Bien sûr, les artistes ont, en principe et dans le meilleur des mondes, un droit de regard total sur ce qu’ils choisissent de dévoiler. Alors quoi de plus normal que de voir des morceaux corrigés sur les plateformes bien après la sortie initiale ? On se souvient de la sortie chaotique au possible de The Life Of Pablo de Kanye West en 2016, qui avait vu l’Américain mettre à jour des chansons (et même le tracklisting) quelques jours après la sortie officielle. Le morceau “Wolves” en avait particulièrement pâti et c’en est même devenu un mème.

Cependant, faire disparaître des plateformes de streaming des morceaux qui ont désormais quatre ans est aussi un préjudice pour les fans. Même si ce sont des versions incomplètes, qui ne seraient pas sorties en temps normal. Et malgré les explications de Donald Glover sur ce côté inachevé de l’album, pendant quatre ans, il a été considéré comme un disque à part entière. C’est d’autant plus vrai que 3.15.20 a été l’album de la pandémie pour beaucoup et en a aidé plus d’un à traverser cette période tourmentée.

Final Church

Atavista possède l’impact que 3.15.20 n’avait pas. Le second avait reçu un accueil mitigé, sans annonce en grande pompe et sans promotion derrière. Le premier a bénéficié de quatre ans de décantation et de près de deux mois de teasing qui ont fait monter la hype chez les fans. Le résultat est un album paradoxal, si familier mais avec de nouvelles nuances. Peut-être pas aussi cathartique et fougueux que Because The Internet, tout comme son prédécesseur, mais peut-être encore un peu plus sincère, personnel et tout aussi excellent.

Informations

Label : RCA Records
Date de sortie : 13/05/2024
Site web : childishgambino.com

Notre sélection

  • Human Sacrifice
  • Algorhythm
  • Final Church

Note RUL

 3,5/5

Ecouter l’album

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Corentin Vilsalmon
J'aime la musique, j'aime écrire, pourquoi ne pas allier les deux ?