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Dark Tranquility – Endtime Signals

Les adeptes du death metal mélodique emblématique de Dark Tranquillity ne devraient être ni surpris ni déçus : avec Endtime Signals, le groupe suédois issu de la mythique scène de Göteborg fait une nouvelle démonstration de force et de constance, prouvant que même après douze albums, la recette est renouvelable à l’infini.

Douce violence

Quand on fait partie des pionniers de la scène metal de Göteborg, aujourd’hui considérée comme un berceau du metal suédois, il semble qu’en découlent un nom et une réputation à maintenir. La longévité du groupe n’était pourtant pas forcément assurée, puisque celui-ci a connu de nombreux réarrangements : des effectifs initiaux, ne persiste que la mythique voix de Mikael Stanne.

Pourtant, la marque musicale de Dark Tranquillity ne flétrit pas. Si son metal a voyagé et pioché chez différentes sous-catégories du genre, en commençant par le thrash, en tirant parfois sur le progressif et le post, c’est bien sa générosité mélodique et sa brutalité glaciale qui forment ce son si sec et délicat à la fois. Endtime Signals n’y fait pas exception : s’enchaînent et s’épousent des guitares rythmiques effrénées et agressives (“Unforgivable”, “Drowned Out Voices”, “Enforced Perspective”, “A Bleaker Sun”) et des refrains qui prennent leur temps, soutenus par des guitares solistes occupant un rôle à la fois mélodique et atmosphérique, flottant sur une masse sombre et destructrice qu’elles s’efforcent d’alléger. La batterie impressionne par son exaltante liberté, parvenant à la fois à libérer et canaliser l’énergie de chaque morceau, structurant ses contrastes et ses percées d’énergie. Particulièrement, l’usage du halftime sur les refrains pour marquer une transition avec les introductions souvent très rapides (“Unforgivable”, “Drowned Out Voices”, “The Last Imagination”, “A Bleaker Sun”) réussit son effet émotionnel et accroît la tonalité épique de l’ensemble. Enfin, le disque déroule le tapis rouge aux superbes solos de guitare de Johan Reinholdz (mention à celui de “Not Nothing”, peut-être le meilleur de l’ensemble).

Ainsi, la plupart des chansons se construisent selon un modèle facilement identifiable, mêlant les expressions les plus agressives aux complaintes les plus mélodramatiques. Le résultat est celui d’un disque homogène en couleurs et en qualité, avec quelques temps forts, notamment la formidable “Unforgivable”, sortie en single, qui arrive presque trop tôt sur le tracklisting, tant elle pousse à la quasi-perfection toutes les forces stylistiques de Dark Tranquillity. S’échappant de cette schizophrénie musicale majestueuse, “Enforced Perspective” s’assume comme le marathon du disque, libérée de tout effort de contraste. De l’autre côté du spectre, “One Of Us Is Gone” et “False Reflection” endossent un rôle de ballade portée par les claviers, délicates dans leur progression, leur arrangement et les émotions véhiculées.

L’art du contraste

Bien que facilement identifiable, la force créative de Dark Tranquillity n’en demeure pas moins complexe. C’est dans le contraste qu’elle tire son originalité et son pouvoir d’attraction. Contraste dans les successions de sections instrumentales : multiplicité des tempos et versatilité des parties de batterie, sensibilité des guitares, irruption d’un chant clean au milieu d’un growl majoritaire, comme sur “Not Nothing” et “Wayward Eyes”. Mais aussi, dans le récit proposé, porté par des paroles souvent inspirées (quoique un poil répétitives), piochant dans l’épique autant que dans le philosophique.

Mikael Stanne dépeint le portrait d’une humanité volontaire mais condamnée, et si la tonalité générale est plutôt porteuse d’espoir en début d’album (“Shivers And Voids”, “Unforgivable”), le volontarisme et l’instinct de survie humains semblent rapidement dépassés par la victoire du déterminisme, à l’approche d’une sorte d’apocalypse finale (on retrouve bien ici le message délivré par le titre Endtime Signals). Stanne joue particulièrement avec les notions d’irréversibilité, de relativisme et d’aveuglement : est plusieurs fois mise en scène notre propre insignifiance, malgré nos efforts visant à donner un sens épique à notre existence (“Not Nothing”, “The Last Imagination”). Dans “Enforced Perspective”, c’est une meilleure prise en compte des ordres de grandeur qui permet de réduire la focale et d’admettre la banalité de l’espèce humaine. Cette incapacité à se voir à notre juste place est expliquée par notre aveuglement et la surestimation de nos capacités : “Wayward Eyes” rappelle que nous tâtonnons dans le noir en essayant d’aller trop loin, tandis que “A Bleaker Sun” et “False Reflection” plaident pour une plus grande introspection permettant de mieux nous connaître. Pourtant, “Neuronal Fire” rappelle que notre réflexivité et notre intelligence sont une malédiction qui nous condamne à la souffrance.

Au milieu de l’exposition dramatique de l’approche de notre fin, deux chansons s’écartent légèrement de la dissertation métaphysique : “Drowned Out Voices”, davantage politique que philosophique, explore le thème de la désinformation et de la manipulation, menant à un état de défiance générale rendant l’union impossible. De son côté, “One Of Us Is Gone” est un hommage au guitariste Fredrik Johansson, décédé en janvier 2022, membre du groupe entre 1993 et 1999.

Si au cours de sa longue carrière, Dark Tranquillity a parfois contrarié une frange de son public en s’adonnant à des expérimentations d’ambiance et de style, il est rare de rencontrer un groupe d’une telle longévité, à ce point remanié, qui demeure si fidèle à ses origines. Plus compact et brut que son prédécesseur Moment (2020), Endtime Signals s’inscrit dans la lignée d’une discographie homogène, mais jamais ennuyeuse.

Informations

Label : Century Media Records
Date de sortie : 16/08/2024
Site web : www.darktranquillity.com

Notre sélection

  • Unforgivable
  • Not Nothing
  • A Bleaker Sun

Note RUL

 3,5/5

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