Chroniques

David Bowie – Blackstar

Etrange comme une oeuvre d’art peut subir un traitement différent en 24h seulement. “Blackstar” était parti pour être le 25ème album de David Bowie. Le deuxième en trois ans après plus de dix ans de silence. Un album en guise de 69ème cadeau d’anniversaire pour l’icône Bowie. Puis David s’en est allé. Et soudain tout change. On se pose cette question. D’abord comme un doux fantasme puis, de plus en plus fortement, elle devient une obsession, une évidence même : ne serait-ce pas le dernier cadeau que David Bowie souhaitait offrir au monde ? De son plein gré.

Il faudra du temps pour décortiquer le moindre élément de cette oeuvre dense et riche. Une oeuvre encore plus emblématique tant la rythmique de sa sortie est mystique. David Bowie n’a jamais suivi la mode. Il est de ces génies qui imposent leur vision au monde entier. Ainsi, à l’écoute de “Blackstar”, on peut mesurer pleinement cet adage, cette devise même. La chanson titre tout d’abord, longue messe noire qui débute par un beat quasi électro et qui amène la voix transformée de Bowie sur des arpèges en mineur. Le tout formant un mantra aux relents orientaux, mais définitivement maléfiques. Le morceau, long de dix minutes, ouvre ce disque et nous donne une indication primordiale sur son contenu : David Bowie revient sur qui il est, avec le recul du sage. Le recul de celui qui sait venir sa fin, artistique et humaine. Mais après tout, une étoile noire ne meurt jamais.

Le légendaire producteur de David Bowie, Tony Visconti, avait déclaré que David souhaitait faire un album avec des musiciens de jazz qui ne joueraient pas de jazz. Et c’est le sentiment qui nous habite tout du long de l’ensemble. Une rythmique rock peut être mélangée à des éléments free jazz (‘”Tis A Pity She Was A Whore”), une chanson pop contient des éléments noise (“Lazarus”) et le tout s’accorde avec une maestria, une urgence que l’on ne pourrait soupçonner chez un artiste ayant eu sa vie. Mais justement, David se sait en fin de parcours, alors il peut se permettre d’expérimenter et de rendre le résultat génial, il doit même créer une dernière fois une oeuvre qui le résumera bien après sa mort : l’avant garde même. Il peut même incorporer des éléments hip hop dans sa musique (“Girl Loves Me”), et dans la logique de l’opus, on en vient rapidement à la conclusion qu’il n’y avait pas d’autres chemins possibles à emprunter.

Cet essai de David Bowie, cet ultime effort studio du “Thin White Duke” s’appréhende dans son intégralité. Il va falloir de nombreuses écoutes pour déterminer sa valeur en terme de testament, de nombreuses écoutes pour digérer la densité d’un tel disque. Habité, hanté même, David nous observe du haut de son perchoir céleste, sourire en coin, fait le bilan de sa vie et donne des pistes sur ce qui va suivre, comme il l’a fait tout au long de sa carrière. C’est un album hors norme, un chef d’oeuvre qui n’a pas besoin de la mort de son maître pour bénéficier de ce titre. Cet événement en devient pourtant une clé, fournie par son maître, on peut l’affirmer, comme c’était prévu depuis le début. Il est indéniable qu’à l’écoute de ces sept titres, la mort de David Bowie est l’ultime donnée pour pouvoir déchiffrer une oeuvre d’une telle richesse.

David Bowie a toujours été en avance sur son temps. Avec “Blackstar”, il a l’arrogance et la classe de devancer la Mort, Elle-même, et de la défier dans un dernier sursaut qui donnera bien du grain à moudre pour des décennies encore. Après Ziggy Stardust, après la trilogie berlinoise, David Bowie ajoute une ultime ligne à son CV, une ultime oeuvre sur laquelle le monde entier se penchera pendant de longues années encore. Longues car orphelines de Bowie. Mais la seule tristesse qu’il y a à tirer de ce disque, de cette mort, est qu’il laisse derrière lui un paysage musical incapable de tant d’audace et de génie. Bon vent l’Artiste.

Informations

Label : Sony Music / Columbia
Date de sortie : 08/01/2016
Site web : www.davidbowie.com

Notre sélection

  • Blackstar
  • Lazarus
  • Dollar Days

Note RUL

4.5/5

Ecouter l’album

Nathan Le Solliec
LE MONDE OU RIEN