Déjà leur troisième en quatre ans : Mountainhead, long de cinquante-quatre minutes, est le septième album studio des Mancuniens Everything Everything, qu’on ne présente plus sur la scène art rock actuelle. Plus pop, plus simple, moins expérimental aussi, les Britanniques assument un disque plus accessible, au risque de contrarier la frange de leur public qui les apprécie pour leur extravagance. Alors, déni d’identité ou tournant réussi ?
Un concept vertigineux
Comme à son habitude, Everything Everything a produit un album concept, dont l’idée maîtresse est la suivante : une société ayant atteint le stade ultime du capitalisme, où tout est motivé par la recherche d’un succès qu’on ne saurait trop identifier. La métaphore ? Une montagne s’élevant de plus en plus haut au fur et à mesure que l’humanité creuse une immense fosse incarnant son propre effondrement – métaphore rendue très explicite à la fois par le titre et la pochette du disque. L’effet de symétrie proposé par l’image de la montagne est en ce sens très efficace. Les “mountainheads” ne savent même plus pourquoi ils travaillent, l’édification de cette montagne se muant progressivement en un objectif dénué de sens. Court la rumeur qu’au sommet de la montagne, trône un trésor, représentant l’aboutissement de la réussite; mais ce n’est en fait qu’un miroir, ne renvoyant que l’image de soi-même. Un “soi” déshumanisé, homogénéisé à l’échelle de la société, dépossédé de toute autre volonté que celle d’atteindre un Graal moderne complètement fantasmé.
Le concept se décline au fil des chansons, parfois de façon très explicite, parfois un peu moins. “Cold Reactor”, sortie en single l’année dernière, constitue le point d’entrée de l’imaginaire proposé, avec ses paroles très littérales assorties d’une jolie métaphore : “I love you like an atom bomb but I’ve become a cold reactor“. “The End Of The Contender” reprend l’idée d’une sorte de crise existentielle masculine dans le contexte actuel de déconstruction des normes patriarcales, où les hommes sont terrifiés à l’idée d’être oubliés, négligés. “City Song” met en scène des citadins aliénés, dépouillés d’une quelconque personnalité : “They didn’t know my name, I didn’t know my name / But the money came in“.
En résumé, l’ensemble nous dépeint le triste tableau d’un monde sans âme, où la réussite s’exprime surtout en des termes financiers, où la diversité humaine a été écrasée par une soif insatiable de progrès, sans que celui-ci ne veuille plus rien dire. Ironique et intéressant, pour un groupe dont l’album précédent avait pour thème l’intelligence artificielle, à laquelle ils ont d’ailleurs eu recours pour certaines phases de composition. Mountainhead se conclut sur le son d’un enfant qui rit, comme un rappel d’humanité au milieu de toute cette grisaille maussade.
Accessibilité ou paresse ?
Pour les habitués du groupe, Mountainhead risque de se positionner comme un disque clivant. En effet, Everything Everything s’est quelque peu éloigné de son identité art rock pour explorer des sonorités se rapprochant davantage de la synthpop. Une volonté complètement assumée et revendiquée par le quatuor, qui souhaitait se plonger dans la simplicité pop et offrir quelque chose de plus accessible. Everything Everything conserve toujours une originalité incontestable, et on retrouve dans Mountainhead de nombreux dénominateurs communs ayant forgé cette identité musicale si marquée : les aigus uniques au monde de Jonathan Higgs, ces mélodies vocales inattendues et parfois assez théâtrales (comme les parties très rapides de “The Mad Stone”, évoquant les expérimentations mi-parlées, mi-chantées de “Distant Past”), et ces sons de synthé si typiques et presque futuristes (“The Witness”).
Si les productions passées des Mancuniens provoquent chez certains de l’écœurement tant elles frôlent parfois l’intellectualisme, d’autres regretteront sans doute des arrangements plus ambitieux, auxquels nous étions habitués. Difficile de retrouver l’espièglerie des compositions de “Get To Heaven” où les tonalités épiques de “A Fever Dream”, où s’enchaînent des progressions ultra-mélodiques dépassant souvent les quatre minutes. Mountainhead concentre tout ce que le groupe a de plus pop et de plus frais, mais il lui manque cette excentricité musicale si attachante, qui fait la réputation de ses auteurs depuis maintenant quatorze ans. Jonathan Higgs a mentionné en interview des délais restreints pour l’écriture et la production. Volonté délibérée ou conséquence des bouleversements de calendrier des années post-COVID, ou les deux, libre à chacun d’avoir son interprétation.
Il y a une certaine ironie à constater qu’Everything Everything a produit son disque le plus radio friendly et accessible pour accompagner la critique d’une humanité aseptisée par le modèle capitaliste. Quoiqu’il en soit, l’album est bon, mais se positionne plutôt dans l’ombre d’une carrière remarquable.
Informations
Label : BMG
Date de sortie : 01/03/2024
Site web : everything-everything.co.uk
Notre sélection
- The Mad Stone
- Dagger’s Edge
- Cold Reactor
Note RUL
2,5/5