Début mai, Friday Pilots Club sortait son tout premier album, Nowhere. Au programme ? Une injection intraveineuse d’énergie, un tourbillon de sensations et de sonorités, un disque à forte personnalité mêlant rock, groove et poésie.
Intensément groovy
Vous avez envie de danser ? De pleurer ? De vous vider les poumons sur un air hymnique ? Malgré ses trente-cinq minutes, Nowhere offre une large panoplie d’ambiances dans lesquelles se plonger. Au menu, des propositions d’arrangements mêlant guitares et basse funky, synthés dansants, batterie effrénée et chant puissant et passionné. Même si cet album se dote d’une identité bien à lui, il se place dans la continuité de la courte mais éclectique discographie du groupe originaire de Chicago : des couplets “moody“, des refrains qui claquent, des riffs entêtants et une énergie débordante.
Dès la première chanson, “Nowhere”, Caleb Hiltunen (chant), armé d’un mégaphone, nous envoie en pleine face un couplet agité pour saisir notre attention au plus vite. La première partie de l’album se compose des singles déjà sortis, tous plus entraînants les uns que les autres : “Nowhere”, “We Don’t Wanna Talk”, “Spectator”, “Vampire Disco”. Cette dernière porte particulièrement bien son nom, tant elle nous donne envie de rejoindre une piste de danse et de se laisser emporter par son combo guitares/synthés très énergique. Sur “Spectator”, c’est la mélodie vocale du refrain assortie aux à-coups portés par les instruments qui nous fait bouger. Sur “We Don’t Wanna Talk” et “Outta My Body” (qui arrive plus tard), la basse onctueuse des couplets octroie aux morceaux une ambiance indéniablement “cool“. Bref, que des potentiels tubes d’été sonnant à la fois légers et heavy, soutenus par une qualité de production absolument irréprochable. Même certains morceaux plus pop et/ou mélancoliques (“Ultraviolet (Obsession)”, “Nothing Or Forever”, “Trading Punches”) conservent cet élément dynamique qui leur permet de ne pas être noyés dans l’atmosphère disco-funk irrésistible qui domine.
Dans la veine d’une “IDWBS” ou d’une “Sleeping On The Ceiling”, Friday Pilots Club a aussi laissé sa rage rock s’exprimer plus frontalement. Surtout sur l’enivrante “Nosedive”, dont la nervosité des refrains fait l’effet d’un coup de poing en pleine face, avec un chant qui délaisse la mélodie au profit d’interpellations saccadées. Dans une moindre mesure, “Nowhere” remplit aussi ce rôle plus heavy avec ses sonorités étonnantes, comme s’ils avaient enregistré un cri de détresse auquel ils auraient ajouté tous les effets de saturation possibles. Dans ces deux chansons, la batterie d’Eric Doar joue un rôle de premier plan, particulièrement sur le deuxième couplet de “Nosedive”, où elle permet de maintenir l’intensité du refrain qui s’achève juste. Le morceau se termine par un ultime refrain complètement débridé, avec des percées stridentes des guitares, décuplant l’effet de puissance.
De façon générale, aucun instrument n’est délaissé. L’efficacité des guitares rythmiques (James Kourafas, Sean Burke) ne flétrit jamais, et sert de noyau dur à presque tous les morceaux. La basse (Drew Polovick) porte la plupart des couplets, et les quelques (courts) solos de guitare (Sean Burke) repérables sur “We Don’t Wanna Talk” ou “Nosedive” enrichissent l’atmosphère que chaque chanson développe avec maîtrise et simplicité.
Patchwork d’émotions
Nowhere, c’est certes trente-cinq minutes entêtantes et remuantes, mais ‘’est aussi un beau recueil de poésie peignant avec habileté le tableau à la fois simple et complexe des émotions humaines.
Tout d’abord, le disque permet quelques moments de respiration au milieu de ses sonorités certes rock, mais aussi boule à facettes. Lorsque Friday Pilots Club décide de tendre vers la ballade, la qualité des arrangements et des mélodies permet à des chansons plus intimistes comme “Coffin” et “Favorite Part” (et même l’interlude “Atlas”) de trouver toute leur place sur l’album, apportant un souffle d’air qui ne nuit pas à la cohérence de l’ensemble. Avec ces titres, les cinq Américains rappellent que leur discographie se compose aussi bien de riffs fédérateurs (“Better With”, “End Of It”, “PRBLM”) que de ballades larmoyantes aux progressions cathartiques (“Ms. Supernova”, “Glad To Be Here”, “Would You Mind”).
Au-delà des instrumentations et des mélodies, certains textes sont particulièrement inspirés et perçants. L’introspection troublante de “Spectator” en est un bel exemple. Caleb Hiltunen analyse sa propre expérience de la vie comme celle d’un “spectateur” tiers et apathique : “Spectator, mirror me / A best seller, first edition of a lip read“. Il converse avec cet autre lui qui semble dépourvu de la moindre émotion et qui l’a pris au piège (“I’m on the edge, I’m exactly where you want me to be“). Un exercice intéressant, puisque la gravité du thème est explorée au travers d’une lucidité froide mise au service d’une mélodie très catchy.
Plusieurs chansons traitent d’amour, comme c’est souvent le cas dans la musique de Friday Pilots Club. Elles adoptent néanmoins des angles suffisamment diversifiés et précis pour conserver un intérêt. Les effets positifs et négatifs de l’amour illimité sont mis à l’honneur dans “Coffin” et “Ultraviolet (Obsession)”, l’élan passionnel de cette dernière se voyant renforcé par un refrain texturé où les pistes se noient harmonieusement, plongeant les auditeurs dans une sorte d’allégresse chaotique et obsessionnelle. Les Américains explorent aussi ce thème à travers des paroles plus amusantes et/ou piquantes : “Nowhere” avec son pré-refrain aux allusions divines (“Mister Jesus, I found someone new / Swear to God she looks nothing like you“); “We Don’t Wanna Talk” qui s’amuse d’une forme de déni sentimental; ou encore “Vampire Disco”, possiblement le plus gros groove de l’album, qui se balade tranquillement sur un champ lexical mortuaire (“She’s a death wish” / “Backtrack ’til we’re dancing on the kill switch“). “Nothing Or Forever” est quant à elle un hymne pop, candide et plein de vie à l’amour, tandis que “Outta My Body” traite d’une affection plus physique.
Enfin, “Trading Punches” et “Favorite Part” se concentrent sur la notion d’inévitabilité du temps qui défile; la première évoquant une difficulté à passer les jours (“I feel I’m growing tired of tearing through my wasted time” / “Trading punches with the clock“), tandis que la seconde est présentée par le groupe comme une ode à l’amitié et à son caractère potentiellement temporaire (“Can we pause right here / It’s my favorite part / Just in case right now / Is the best that we are“). Ces différentes approches des émotions humaines sont d’autant plus touchantes qu’elles contrastent souvent avec une instrumentation décalée, et qu’elles ont droit à un jeu d’interprétation vocale très réussie. Alternant entre malice, mélancolie et colère, on perçoit presque les sourires et les larmes derrière le chant varié de Caleb Hiltunen, dont l’expressivité et certaines intonations rappellent les prouesses d’un Conor Mason (Nothing But Thieves).
Nowhere, c’est une explosion intense d’émotions et de sensations cuisinée à la sauce groovy, au croisement entre la pop mélodique et survitaminée de The Killers et les arrangements récents de Nothing But Thieves où se confondent guitares et synthés pour proposer des sonorités rétrofuturistes. Un cocktail dance/disco qui ne perd en rien de son authenticité, et qui laisse leur juste place aux instrumentations pop rock plus organiques. Bien que Friday Pilots Club puisse facilement être rattaché à une scène alternative intarissable mêlant les styles et les influences dans une perspective avant-gardiste, sa musique a suffisamment de caractère pour attirer et retenir notre attention.
Informations
Label :
Date de sortie : 09/05/2024
Site web : www.fridaypilotsclub.com
Notre sélection
- Nosedive
- Nowhere
- Vampire Disco
Note RUL
4,5/5