Godspeed You! Black Emperor – Luciferian Towers

L’un des groupes maîtres de la scène post rock est de retour cette année avec son sixième album, deux petites années après le puissant “Asunder, Sweet And Other Distress”. Ce “Luciferian Towers” a été composé en rythme avec l’œuvre “monumental” de la troupe de danse canadienne The Holy Body Tattoo au cours de ces deux dernières années, portant sur l’isolement, l’oppression et la répétition que nous impose la vie urbaine moderne. Tout un programme, taillé pour le discours et la musique de Godspeed You! Black Emperor. Sans surprise, le groupe signe là une nouvelle réussite.

Dans ces quatre longs morceaux instrumentaux composés pour le mouvement des corps, il n’y a aucun sample de voix humaines, comme cela a souvent été le cas avec GY!BE. La musique se suffit toutefois amplement à elle-même. L’épique “Undoing A Luciferian Towers” ouvre le bal et l’atmosphère est d’emblée remplie d’une sourde tension. Au milieu de sonorités dronesques, quatre notes jouées par violons et guitares entremêlés résonnent comme une mise en garde, un appel urgent à agir. Contre qui ou contre quoi, le choix exact de la résistance nous est laissé, mais il est impossible de rester insensible à la force générée par les quelques instruments en jeu.

Plus que jamais, la musique des Canadiens met en relation des émotions et des sensations opposées, qui semblent lutter entre elles sans pouvoir arriver à se distinguer les unes des autres. A ce titre, de rares moments d’harmonie ressortent comme des signes d’espoirs, à l’image de cette mélodie embryonnaire, quoique solaire et prometteuse, qui finit par émerger d’un brouillard de son dans la première partie de “Bosses Hang”. Sans transition, “Fam/Famine” cristallise une nouvelle tension qui débouche sur une cacophonie de cuivres et sur la reprise pleinement développée de la mélodie de “Bosses Hang”, comme arrachée au bruit et au désordre. Tout au long de ces quarante-cinq minutes, l’auditeur oscille de cette manière, attiré par l’entrevue d’une délivrance qu’indique une poignée de notes claires, mais rattrapé par une rythmique lourde et oppressante. Et comme si les efforts des titres précédents avaient abouti, la longue progression tourmentée de “Anthem For No State” finit par trouver son achèvement dans une nouvelle mélodie libératrice où semblent enfin s’accorder violons, guitares, batteries et basses.

Comme à son habitude, la bande montréalaise ne fait pas dans la demi-mesure quand il s’agit de traduire musicalement des états d’esprit aussi forts que la résistance ou la revendication. Relativement court par rapport à la plupart de ses aînés qui dépassent l’heure d’enregistrement, mais encore plus dense et contrasté, “Luciferian Towers” rappelle à qui veut l’entendre que les Canadiens maîtrisent toujours aussi bien le langage évocateur et émotionnellement puissant du post rock, sans jamais tomber dans la répétition.