Et de huit. Pour son dernier album studio, le quatuor britannique mené par Sergio Pizzorno est allé droit au but : avec ses vingt-huit minutes aussi colorées que sa pochette, Happenings fait dans la simplicité et l’efficacité, et ne fait aucun détour pour nous faire danser comme Kasabian sait si bien le faire.
Festival d’influences
Peu de groupes allient rock, pop et électro comme le fait Kasabian. Bien que les croisements de genres soient monnaie courante dans l’alt rock, la méthode Kasabian résiste aussi bien au temps qu’aux comparaisons. Si le groupe était annoncé à ses débuts comme le digne successeur d’Oasis, sa musique a emprunté des chemins plus vastes que la britpop et n’a jamais cessé d’afficher un caractère bien trempé qui la rend indémodable et redoutablement attractive.
Là où The Alchemist’s Euphoria (2022) avait opéré un virage électro/lo-fi plus assumé, Happenings rééquilibre les forces et évoque plus directement la signature musicale traditionnelle de Kasabian, sans pour autant délaisser quelques expérimentations moins organiques. Comme un symbole, “Hell Of It” démarre sur un riff de guitare saturé avant d’être complètement prise d’assaut par des synthés insolents et une production générale qui nous amène vers des ambiances de boîte de nuit underground. Ses paroles insouciantes rappellent bien cet esprit adolescent et festif : “Why you gotta ask me ’bout it? / I do it for the thrill of it“. Mais tous les styles ont droit à leur(s) moment(s) sur Happenings, et c’est là la force d’un album que la très courte durée aurait pu rendre insignifiant.
“Italian Horror” est portée par une basse rebondissante, une guitare acoustique et des “oh-oh” qui en font une candidate à l’élection de la chanson la plus intensément pop du disque, tout comme “Darkest Lullaby” et ses violons très ABBA. Mais c’est sans doute “Algorithms”, la clôture, qui remporte le trophée. Véritable hymne alliant nostalgie et fête, elle se dote également de “oh-oh” indéniablement catchy, mais aussi de mélodies vocales fédératrices. En parfaite cohérence avec les paroles dénonçant une prise de contrôle des algorithmes (les membres de Kasabian auraient-ils discuté avec Matt Bellamy (Muse) récemment ?), l’arrangement délaisse les expérimentations électro pour se concentrer sur l’essentiel de la recette pop rock que le groupe maîtrise à la perfection. Et là où ils sont très forts, c’est que même dans cette simplicité tirant sur la facilité, Kasabian parvient quasi-systématiquement à procurer l’effet désiré, et nous embarque sans trop d’effort.
Si l’addictive “Hell Of It” symbolise l’électro lo-fi et provocateur de Kasabian, l’excellent single “Call” se charge de la facette électro festive. Si bien qu’imaginer la version live, connaissant le talent scénique de ses compositeurs, suffit à faire grimper l’adrénaline. Le riff est tellement dansant qu’il est presque pénible de se retenir de hocher de la tête et de balancer les épaules. En tout cas, “Call” a le potentiel de s’inscrire dans la lignée des tubes les plus remuants du groupe.
Finalement, c’est la face plus franchement rock de Kasabian qui est la moins représentée dans Happenings. Seule “How Far Will You Go” assume clairement la saturation et la frénésie, à contre-courant d’un disque qui se veut plutôt léger.
Bien entendu, bien que certaines influences soient particulièrement identifiables, plusieurs morceaux de l’ensemble marient les styles. Par exemple, “G.O.A.T”, qui démarre simplement sur une lourde basse et se termine sur une ascension clairement électro et une explosion qui laisse autant de place aux synthés qu’à un solo de guitare.
“We’re not here for a long time, just here for a good time”
Issues de “Algorithms”, ces paroles résument parfaitement la personnalité de Happenings. Sans tomber dans un trop grand confort, Kasabian exploite avec justesse et caractère les sonorités qu’il maîtrise le mieux dans un esprit plus nonchalant que ses prédécesseurs, particulièrement The Alchemist’s Euphoria qui se voulait plus sombre et plus sérieux. Du point de vue des arrangements, ce flegme se traduit par des lignes de basse toujours aussi présentes dans la musique de Kasabian, mais plus groovy que heavy; des guitares aériennes plutôt que des riffs, tandis que ce sont les synthés, parfois flottants, parfois bien gras, qui assurent les principales pistes saturées du disque (“Bird In A Cage”). “Coming Back To Me Good” impose un air d’été empli de fraîcheur sans tomber dans le stéréotype des tubes vacanciers. La joie contagieuse qu’elle libère et les petits leads de guitare qui survolent l’ensemble rappellent des sonorités à la Two Door Cinema Club, tandis que “Algorithms” ressemble à du Wallows en plus dense.
Mais c’est peut-être dans cette identité ensoleillée que réside la principale faiblesse de Happenings : au-delà de ses titres les plus dansants, Kasabian nous a aussi habitués à des mélodies hymniques sur lesquelles s’époumoner et à des riffs ravageurs (“Underdog”, “Stevie”, “III Ray (The King)”, “Comeback Kid”). Il y aurait eu la place sur Happenings pour une ou deux chansons plus emphatiques, plus dramatiques, même si ce n’était visiblement pas la direction artistique souhaitée. Pour le côté plus mélancolique, on a quand même la très belle progression de “Passengers” qui permet une véritable variation émotionnelle.
Chaque sortie de Kasabian est excitante, parce que les albums se suivent mais ne se ressemblent pas. C’est le moins qu’on puisse dire de Happenings, qui prend le contre-pied de The Alchemist’s Euphoria, sans affecter la qualité d’écriture. Si les albums d’été pleuvent, Happenings est bien parti pour être la bande-son de la saison.
Informations
Label : Sony Music
Date de sortie : 05/07/2024
Site web : www.kasabian.co.uk
Notre sélection
- Hell Of It
- Call
- Passengers
Note RUL
3,5/5