Alors oui, la chronique d’un album de Lady Gaga, glissée entre une interview de Pierce The Veil et une review d’un concert d’Airbourne peut avoir l’air tout aussi incongrue que votre grand-mère en première ligne d’un wall of death. Mais à une époque où la notion de genre s’évapore peu à peu, où il est de plus en plus probable de croiser Kendrick Lamar et David Bowie dans la même playlist, et où le groupe triomphant de l’année, Twenty One Pilots, squatte à parts égales les ondes de OÜI FM, de NRJ et de Skyrock, s’arrêter à des labels semble terriblement désuet.
D’ailleurs, réussir à coller une étiquette sur le cinquième album de Lady Gaga, “Joanne”, se révèle être une mission assez complexe. Country ? Folk ? Dépouillé ? Sobre ? Authentique ? Bref, les derniers adjectifs qu’on penserait à associer à la Mother Monster.
Car, finis les costumes alambiqués, les maquillages bigarrés et les coupes de cheveux excentriques, la chanteuse de trente ans a rangé ses talons de trente centimètres au placard pour en ressortir de poussiéreuses boots usées et un vieux denim déchiré. En prenant le contrepieds de son dernier album solo, “Artpop” (2013), un opus électro pop brouillon surproduit et surmédiatisé au succès mesuré, la New-Yorkaise se défait de tous ses artifices pour proposer quelque chose de plus personnel, plus brut. Ce retour à de la musique, et à un esthétique, plus sobre, elle l’avait déjà amorcé en collaborant avec le crooner et figure emblématique du jazz, Tony Bennett, sur l’album “Cheek to Cheek” (2014).
Et, sachant cette fois encore bien s’entourer, quand elle s’aventure sur les routes sinueuses de la country, du folk et du rock, la chanteuse embarque avec elle une pléiade de références en guise de songwriters, de musiciens, et de co-producteurs (elle a co-produit elle-même tous les titres). La liste, pêle-mêle et non exhaustive : Mark Ronson, Josh Homme (Queens Of The Stone Age), Florence Welch (Florence + The Machine), Beck, Father John Misty, Kevin Parker (Tame Impala), Matt Helders (Arctic Monkeys), Este Haim (Haim) et Sean Lennon (fils de vous-savez-qui). Rien que ça.
Le résultat de cette collaboration entre l’icône de la pop et cette dream team éclectique ? Un disque varié, rafraichissant et libérateur, qui la voit se pointer là où on ne l’attend précisément pas, et qui souligne surtout sa maitrise vocale bluffante et son timbre unique. Si ses excentricités et son personnage ultra calculé, avaient tendance à reléguer au second plan son talent indéniable, “Joanne” vient corriger ça. Grondant plus fort que jamais entre guitares et piano, sa voix est à l’apogée de sa puissance, délestée des beats électro taillés pour le dancefloor, des synthétiseurs et de l’autotune qui avaient tendance à la noyer. Grâce à une production propre et épurée, sa voix ressort comme son principal atout.
Les morceaux les plus dépouillés en sont les premiers bénéficiaires, et les plus réussis. La ballade éponyme, “Joanne”, son deuxième prénom, mais aussi celui de sa tante, est un hommage touchant à cette figure importante pour la chanteuse, décédée à dix-neuf ans. Fait d’arpège acoustique et de refrains suppliants, le titre est particulièrement touchant, sans jamais tomber dans la complainte, tout comme “Million Reasons”, deuxième bijou de l’ensemble, dans laquelle Gaga évoque de manière plus dramatique une histoire d’amour esquintée. Cette puissance vocale se retrouve aussi sur les pistes plus rythmées, comme “A-YO”, morceau country au riff funky tout droit sorti d’une comédie musicale, “John Wayne”, qui voit Gaga se transformer en cowgirl de Nashville, portée par une batterie funk, ou encore “Dancin’ In Circles”, une collaboration avec Beck, qui rappelle nettement No Doubt.
Des morceaux funs, dansants et bien ficelés, oui, mais pas de tube en puissance. Co-écrit par Kevin Parker, le premier single, “Perfect Illusion”, le titre le plus pop de “Joanne”, parvient à être strident et terne à la fois, trop répétitif et pas du tout représentatif de l’opus. La piste d’ouverture, l’autobiographique “Diamond Heart”, portée par les riffs de Josh Homme, est ce qui se rapproche le plus d’un tube, avec sa pure énergie rock, explosive sur le refrain.
La fin de l’essai s’éloigne encore plus des sonorités pop auxquelles Gaga nous a habitués. Dans le registre folk/country, “Sinner’s Prayer” instaure une ambiance western, et change la chanteuse en storytelleuse, sous la plume de Father John Misty. On le retrouve sur l’ode à la paix et au vivre ensemble, naïf mais chaleureux, “Come To Mama”, titre qui, à grand coup de saxophone et des chœurs harmonieux, rappelle la soul des années 60. Cette influence Motown s’entend aussi sur “Hey Girl”, sur lequel Gaga fait équipe avec Florence Welch. Si cet hymne à la solidarité féminine soul-funk est plutôt charmant, l’association de ces deux immenses voix ne s’avère pas aussi savoureux que sur le papier.
Débarrassée de ses gimmicks habituels, Lady Gaga apparaît plus vulnérable et sincère que jamais. En dehors du plus engagé “Angel Down”, qui parle de la mort de Trayvon Martin, les textes sont personnels, évoquant ses proches, sa relation aux hommes, son passé. En plus de lui permettre de déployer sa puissance vocale, la production, tout en subtilité, lui permet de montrer sa force affective et son audace. Car pour quelqu’un qui est habitué aux plus frappants des artifices, retirer son masque et apparaître tel quel est probablement ce qu’il y a de plus audacieux.
Reste à savoir si c’est la véritable Stefani Germanotta (son vrai nom) qui se livre, ou si cette troubadouresse rockeuse n’est qu’un énième costume à ajouter à sa collection. En tout cas, si ce changement de direction, d’un podium à paillettes vers des routes poussiéreuses, n’est qu’un détour passager, il reste un détour très réussi. Et prendre le risque de dérouter ses fans en s’hasardant dans le folk et la country quand on a l’habitude de dominer les charts du monde de la pop, c’est d’une audace outrageusement rock n’roll.
Informations
Label : Universal Music / Polydor
Date de sortie : 21/10/2016
Site web : www.ladygaga.com
Notre sélection
- Joanne
- Millions Reasons
- Dancin’ In Circles
Note RUL
4/5