ChroniquesSlideshow

Leprous – Melodies Of Atonement

On ne les présente plus sur la scène metal prog actuelle : du haut de leurs huit albums, les Norvégiens de Leprous sont aussi bien une démonstration de constance que de caractère. Pourtant, même les plus grands rencontrent des moments de faiblesse; et si la carrière de Leprous a parfois fait l’objet de contestations tant les virages stylistiques ont souvent été serrés, Melodies Of Atonement franchit une nouvelle étape dans la controverse.

Les albums passent mais ne se ressemblent pas

Entre la brutalité tranchante de Tall Poppy Syndrome (2009) et la délicatesse progressive de Pitfalls (2019), difficile de croire que c’est bien le même groupe qui est à l’origine de ces deux fabuleuses productions. Certes, Leprous est passé par de nombreux remaniements, faisant d’Einar Solberg (chant) et de Tor Oddmund Suhrke (guitare) les deux seuls membres fondateurs restants; mais le grand écart est si important qu’au fil des ans, Leprous a perdu une partie de sa fanbase attachée à ses sonorités les plus heavy, au profit de nouveaux fans sensibles à sa versatilité et à l’adaptabilité de son lyrisme. Car s’il y a bien un élément qui permet de reconnaître un disque de Leprous parmi mille, quelle que soit la direction artistique empruntée, c’est la voix hors du commun d’Einar Solberg, avec ses aigus quasi-opératiques et sa force de projection titanesque.

Et sur Melodies Of Atonement, ce trait si singulier et précieux de la musique de Leprous est bien au rendez-vous. Ses cris déchirants et épiques ponctuent l’album de leur splendeur, que ce soit sur “My Specter”, curieux mélange entre les styles de The Congregation et Pitfalls, “Like A Sunken Ship” ou “I Hear The Sirens”. Malgré un énième virage à 180° par rapport à leur disque précédent, Aphelion (2021), d’autres indices confirment indéniablement l’identité des compositeurs : la centralité des harmonies et des chœurs, atteignant leur apogée sur “Faceless”; la grande liberté accordée à la batterie, principale actrice des variations d’intensité de chaque morceau, s’adonnant à des signatures rythmiques complexes et changeantes d’une section à l’autre; enfin, une appétence intarissable pour des structures imprévisibles, divisant chaque morceau en plusieurs actes, comme un récit théâtral. Les fondamentaux de la musique leprousienne sont donc au rendez-vous, mais doivent s’adapter à une nouvelle ambition artistique, très éloignée des productions passées. En début de promotion, le groupe lui-même avait annoncé un disque débarrassé des ajouts orchestraux progressivement incorporés à sa discographie au fil des albums, pour un retour à des sonorités plus brutes et heavy. Mais que celles et ceux qui s’attendaient à un Tall Poppy Syndrome ou un Coal bis, truffé de pépites metal à la “White” ou à la “Contaminate Me”, se détrompent : Leprous a emprunté un chemin encore différent, qu’il est difficile de relier aux promesses susmentionnées. “It’s a new sound. But it’s still Leprous“, avaient écrit les Norvégiens sur leurs réseaux sociaux en avril 2024 : en est-on si sûrs ?

“Melodies” of atonement…

Il est temps d’évoquer un autre critère de reconnaissabilité de la musique de Leprous : sa capacité à dégager des mélodies aussi émouvantes que cathartiques, qu’elles soient portées par le chant émancipé d’Einar Solberg (“Mb. Indifferentia”, “The Cloak”, “The Flood”, “From The Flame”, “Below”, “On Hold”, “Castaway Angels”) ou la puissance des progressions des riffs et solos de guitare (“Fate”, “Acquired Taste”, “Painful Detour”, “Down”, “On Hold” encore). Le lyrisme de Leprous est sans limite, et si certains pourraient trouver la combinaison de ces envolées grandioses et de cette voix théâtrale écœurante, celles et ceux qui y sont sensibles savent à quel point les Norvégiens se distinguent par leur faculté à marier la complexité du progressif et l’accessibilité d’une bonne mélodie. C’est exactement ce qui manque à Melodies Of Atonement pour en faire un disque à la hauteur de ses prédécesseurs.

En effet, il semblerait que Solberg et Co. aient opté pour un univers sombre, intimiste, éloigné des élans passionnels habituels. Pourquoi pas, après tout. Le problème, c’est que le résultat est décevant. D’abord, parce que le rendu final ne respecte pas vraiment les annonces du groupe : Melodies Of Atonement est un de ses albums les moins heavy, y compris de ces cinq dernières années. Pitfalls remporte peut-être la médaille, mais Aphelion proposait quelques passages franchement lourds, malgré ses arrangements orchestraux (“Nighttime Disguise”, par exemple). Ceux-ci ont effectivement quasiment disparu, bien qu’encore repérables sur “Silently Walking Alone” et “Atonement”. En revanche, Melodies Of Atonement laisse de la place à quelques sonorités électro. Le tournant heavy de “Like A Sunken Ship” est certes délectable, ainsi que le riff gras au milieu de “Faceless”. Mais on est loin de l’élégante agitation de Tall Poppy Syndrome et de Bilateral, ou même de Coal et The Congregation.

Le prog pour le prog

Ensuite, aucune innovation suffisamment intéressante ne permet de contrebalancer la perte mélodique. De ce point de vue, c’est l’héritage des cinq derniers albums, Malina en tête, qui prend un coup. Certes, Malina ressemblait à une compilation d’hymnes; mais quels hymnes ! De quoi rendre un Muse jaloux. Melodies Of Atonement est sa parfaite antithèse. Les phrases sont courtes, et c’est à leur répétition que tient le principal apport mélodique de certains morceaux. La première moitié de l’album compte quelques réussites, notamment les refrains de “Atonement” et de “My Specter”; mais celles-ci se font de plus en plus rares au fur et à mesure que défilent les chansons, à l’exception près de la clôture, “Unfree My Soul”.

D’un point de vue instrumental, à nouveau, les dix titres se ressemblent étrangement dans l’ambiance proposée : ils débutent souvent soit par une basse obscure, soit par une boucle électronique (celle de “I Hear The Sirens” évoque Radiohead). Les guitares et la batterie, trop souvent retenues, se mêlent progressivement à l’ensemble, avant de se retirer subitement. Les structures sont complexes, avec des enchaînements de sections imprévisibles et des variations d’intensité là où on ne les attend pas; mais ces alternances ne sont pas suffisamment puissantes pour être vraiment mémorables. Plusieurs passages nous laissent clairement sur notre faim, avec des montées de suspense à la résolution timide : le refrain de “Limbo” ne fait pas honneur à sa partie introductive à l’ambiance pressante; le milieu de “Faceless” promet une catharsis finale qui se satisfait finalement d’une chorale solennelle entonnant les fameux “Never walk alone / Never the unknown” ; même les dernières minutes de “Unfree My Soul” sont largement en deçà de ce à quoi les clôtures habituelles de Leprous nous ont habitués. Heureusement, la deuxième moitié irrévérencieuse de “Like A Sunken Ship”, la guitare inquiétante de “Atonement” évoquant l’identité magnétique de Pitfalls et la progression finale de “Self-Satisfied Lullaby” nous offrent quelques moments d’allégresse et de pure magie leprousienne.

En résumé, il semblerait que Leprous s’amuse à prendre le contrepied de ses réflexes passés, et privilégie ici des morceaux plus fermés, quitte à entacher l’ambiance générale d’une certaine monotonie et de teinter l’écoute d’un certain ennui puisque la transmission émotionnelle est considérablement amoindrie. Pourtant, Leprous a déjà démontré dans le passé sa capacité à signer des pépites très progressives; mais ici, presque tout ressemble à une version moins emballante de la glorieuse “The Sky Is Red” (Pitfalls).

En réalité, Melodies Of Atonement ne porte pas vraiment bien son nom. En tout cas pour la première partie. Concernant la deuxième, on ne sait pas quel mal les têtes pensantes de Leprous cherchent à expier, mais on espère que la dette a été payée. Alors, certes, Melodies Of Atonement reste un album riche et fin, méritant son écoute. Ce n’est qu’un bon disque au milieu de chefs-d’œuvre, justifiant le niveau d’exigence. Mais on préfère quand même tourner la page, et compter sur une setlist laissant la part belle aux splendeurs du passé le 17 janvier à la Salle Pleyel !

Informations

Label : InsideOut Music
Date de sortie : 30/08/2024
Site web : leprous.net

Notre sélection

  • Like A Sunken Ship
  • I Hear The Sirens
  • Atonement

Note RUL

 3/5

Ecouter l’album

Ecrire un commentaire