Après deux albums peu inspirés, Morrissey retrouve de sa voix et de sa superbe.
Morrissey n’est pas du genre à se taire, il ne l’a jamais été. D’où le titre évocateur de ce nouveau disque : loin d’être un chien en laisse, le Mancunien n’a pas sa langue dans sa poche et ne se laisse pas dicter ses choix de vie. L’affirmation sous-jacente du nom de l’album est le droit de Morrissey de s’exprimer comme bon lui semble. Son soutien aux causes politiques de droite a créé des tensions avec les fans idéalistes des Smiths, en tant que champions libéraux des opprimés. Pourtant, une série de provocations politiquement incorrectes existe dans l’œuvre de Morrissey depuis ses débuts. Ce qui aurait pu sembler iconoclaste chez un jeune homme est devenu incontestablement misanthropique pour un artiste mature, et une part grandissante du personnage.
Who let the dog out?
Délaissons la personnalité publique pour l’artiste : toujours aussi révolté contre la chasse et la maltraitance des animaux (“Love Is On Its Way Out”) ou prompt à dénoncer et critiquer la société (“What Kind Of People Live In These Houses”), le Charming Man à la Pompadour argentée nous propose un disque varié et solide. Justement, le premier morceau nous rappelle que même sans être d’accord avec le personnage, on ne peut qu’applaudir la rage avec laquelle il fait de la musique. Comme si sa vie en dépendait.
Il y a ici des chansons qui parlent de transsexualisme (“The Truth About Ruth”), de la chasteté (“Darling, I Hug A Pillow”), de l’homosexualité réprimée (“Bobby, Don’t You Think They Know?” avec la sublime voix de Thelma Houston); et thème cher à l’artiste, de la musique comme antidote à la dépression (“The Secret Of Music”). C’est un album plein de phrases tordues et romantiques, de rimes absurdes, de mélodies pop immédiates et d’opinions toujours aussi provocantes. Le son est impétueux, poli comme un diamant mettant en avant la voix magnifique de Morrissey. Plus le temps passe et plus son talent de crooner se développe et prend de l’espace sur les morceaux. Survolant les titres avec aisance, le timbre inimitable du natif de Manchester reste la pierre angulaire de l’ensemble.
Saluons le travail du producteur Joe Chiccarelli (avec qui Morrissey travaille depuis 2015), composant pour ce disque un foisonnement de sons et d’influences variées : électro pop, synthétiseurs semblant tout droit sortis des albums des Smiths ou de Yes, rock gothique (avec très peu de guitares, quel dommage !) ou éléments baroques séant parfaitement à la fantaisie de l’interprète qui y ajoute une touche sombre et délicate.
Une fin d’album (presque) à bout de souffle
A compter de la sublime et mélancolique ballade irlandaise “Once I Saw The River Clean”, l’album ralentit le rythme quitte à perdre en dynamisme. “The Secret Of Music” et son côté plus expérimental ne plaira sans doute pas à tout le monde, et on peut se demander si sa place est bien sur ce disque. Voyons les choses sous un autre angle : potentiellement une fin d’album poussive, mais surtout plus introspective. La poésie et la justesse de l’artiste sont présents, impliquant forcément un léger ralentissement du rythme. Prenons notre temps, et posons nous pendant ces dernières minutes languissantes. Toujours aussi mélancolique et poignant.
Probablement pas le plus bel album ni le meilleur de Morrissey. Il convient malgré tout de souligner qu’il continue de repousser les limites de style et d’époque, tout en grâce et élégance presque surannée. Un disque ayant toute sa place dans la discographie complexe du plus charmant des Gentlemen anglais. En attendant de pouvoir un jour déguster l’album ultime, le Graal, celui qui pourra détrôner ou ressusciter la magie évaporée des Smiths. Ou tout simplement de “Viva Hate”, disque cher au cœur de très nombreux fans.
Sauf que ce serait mal connaître et comprendre l’artiste. Morrissey ne donnera jamais aux fans ce qu’ils souhaitent. Il leur offrira ce qu’il a envie de nous offrir, comme une offrande jetée en pâture à des impies. Il faut s’y résigner et profiter de chaque album de l’Anglais, comme si c’était le dernier.
Informations
Label : BMG
Date de sortie : 20/03/2020
Site web : www.morrisseyofficial.com
Notre sélection
- Once I Saw The River Clean
- Jim Jim Falls
- I’m Not A Dog On A Chain
Note RUL
4/5