Artiste torturé s’il en est, Nick Cave est l’héritier de cette lignée de songwriters hantés dont sont issus David Bowie et Leonard Cohen. Explorant comme personne le thème du deuil, qu’il côtoie malheureusement de près, il revient avec un nouvel album, Wild Gold. À cette occasion, l’Australien renoue avec une logique de groupe après une période de sorties plus minimalistes. Il revient armé d’un sentiment nouveau : l’optimisme.
Vous n’aurez pas (uniquement) ma peine
Pour comprendre la portée de l’œuvre de Cave depuis Skeleton Tree (2016), il faut en connaître le contexte. Ses livraisons doivent ainsi être appréhendées au travers de la mort tragique de deux de ses fils. “Après cela, plus rien ne fait vraiment mal“, souffle l’artiste sur “Final Rescue Attempt”. Mais au lieu de se renfermer sur lui-même, Cave a réussi à absorber le chagrin et à redonner espoir. Cet album est celui d’un survivant, qui a pris la décision radicale de revenir vers la lumière. Les aficionados de complaintes déchirantes à la “Mercy Seat” doivent donc se résoudre à chercher d’autres grilles de lecture. On leur conseillera d’entrer par “Final Rescue Attempt”, dont la première partie arpente les sentiers familiers d’un piano/voix brumeux. Une ouverture s’effaçant par la suite au profit de chœurs lumineux, prolongeant la chaleur mystique entrevue sur le morceau précédent.
Ce dernier, “Joy,” est le pivot de l’ensemble. Le chanteur y évoque une apparition nocturne : “J’ai crié tout autour de moi et j’ai dit : “Ayez pitié de moi, s’il vous plaît.”” C’est la gorge nouée que nous découvrons le chagrin mis à nu d’un homme qu’on imagine à genoux, faisant face à ses hantises dans une lumière éclatante. Quelque part entre la réalité et des cieux dessinant des ombres. “Un fantôme dans des baskets géantes, riant, des étoiles autour de sa tête… un garçon enflammé.” Ce garçon incandescent est l’un de ses fils, dont l’artiste relaie les mots : “Nous avons tous eu trop de chagrin, maintenant est le temps de la joie.” Le reflet du sentiment d’un homme éprouvé, qui se force à regarder le soleil afin d’en goûter chaque rayon.
La chanson sur son ancienne collaboratrice, Anita Lane, s’inscrit complètement dans ce parti pris. Parsemée de doux sifflements, “O Wow O Wow (How Wonderful She Is)” célèbre cette ancienne compagne, en y intégrant un enregistrement téléphonique dans lequel Lane relate les bons moments partagés. Ou comment honorer la vie plutôt que le deuil.
Majestueux, déchirant et résilient
Prenant le contrepied des dernières sorties mélancoliques, la richesse du son des Bad Seeds fonctionne, à nouveau, à plein régime. Le disque a été conçu avec l’intention de réintroduire cette instrumentation riche et stratifiée du groupe, qui avait été reléguée au second plan dans les projets récents. Le line up se signale également par la présence de Colin Greenwood, bassiste de Radiohead, qui est crédité sur ce projet.
Un classique du son de Cave revient également sur ce Wild Gold, avec ces chœurs gospel complétant régulièrement sa voix de baryton. Ce style provoque souvent le sentiment que ce conteur hors pair adresse ses paroles depuis l’estrade d’une église. S’appuyant sur des images mystiques, le champ lexical de la rédemption et du cathartique est une nouvelle fois convoqué. La bien nommée “Conversion” commence ainsi par un contraste entre la voix sombre et la légèreté des instruments, avant d’être rejoint par un gospel tonitruant. Cette seconde partie libère alors le grandiose du bruit et de la fureur, jusqu’aux “you’re beautiful“, assénés plus que chantés.
On pourra toutefois regretter par moments ce côté démesuré, faisant perdre du dynamisme à certains morceaux. Néanmoins, difficile de vraiment lui en tenir rigueur tant la démarche vibre d’une implication émotionnelle de quasiment tous les instants. La cerise sur le gâteau d’un ensemble déversant une irrépressible créativité tout au long de ses dix morceaux.
Plus que de nombreuses descriptions techniques sur le son de cet album, l’image la plus juste semble être celle d’un déferlement pur d’émotions. Il y a tant de choses à aimer de cette ambiance expansive, s’autorisant des crochets introspectifs. Le dégoût a disparu du discours, laissant davantage de place à la lumière et à la transcendance. À soixante-six ans, Nick Cave fait plus qu’éblouir. Il inspire le respect.
Informations
Label : PIAS
Date de sortie : 30/08/2024
Site web : www.nickcave.com
Notre sélection
- Conversion
- Final Rescue Attempt
- Joy
Note RUL
4/5