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Nothing More – CARNAL

Quelques mois après avoir retourné le Trabendo, Nothing More nous partage sa plus récente création : place à CARNAL, un cinquième album studio à fort caractère, reprenant les codes habituels de son metal alternatif aussi heavy que mélodique tout en proposant quelques sonorités novatrices.

Heavy pop

On retrouve dans CARNAL la marque de fabrique de Nothing More : ultra-saturation et lourdeur des riffs, explosivité des parties de batterie, cris époumonés et mélodies épiques, le tout lié par des sections plus atmosphériques dont les extraits parlés apportent une ambiance presque mystique à la façon de STARSET. L’intro éponyme “| CARNAL |” s’achève sur un ton dramatique : “Carnal nature” annonce une voix robotique avant que ne s’impose à nos oreilles un premier riff si typique du metal de Nothing More, peu gourmand en notes, se satisfaisant d’un accordage grave et d’un rythme saccadé, tirant sur des sonorités à la TesseracT. “HOUSE ON SAND”, sortie en single, est l’une des plus belles réussites du disque, puisqu’elle allie à son riff ravageur un refrain très mélodique comme Jonny Hawkins a l’habitude d’en chanter. Il tend d’ailleurs le micro à Eric Vanlerberghe, l’un des deux chanteurs du groupe de metalcore I Prevail, qui vient complètement libérer l’énergie destructrice de la chanson de son chant screamé imposant. Le tout est accompagné d’un breakdown qui parvient à pousser le curseur du heavy encore plus loin.

D’autres morceaux de l’album s’inscrivent assez clairement dans l’identité musicale que s’est forgée le groupe au fil des années et font directement écho au style de SPIRITS, sorti en 2022. C’est le cas de “IF IT DOESN’T HURT”, “ANGEL SONG” proposant une approche un peu plus groovy, “EXISTENTIAL DREAD”, “STUCK”, et “RUN FOR YOUR LIFE”. Quasi-systématiquement, les étapes-clés de la recette sont respectées : un riff introductif très direct répété ensuite à chaque fin de refrain, lesquels sont portés par des mélodies vocales pop et entêtantes contrastant efficacement avec la brutalité et la sobriété des guitares; un pont servant d’apogée en termes d’intensité et de lourdeur, ponctué de cris gutturaux et laissant parfois la place à un solo de guitare (“ANGEL SONG”, “IF IT DOESN’T HURT”) et à des parties de batterie en halftime nous injectant une dose supplémentaire de satisfaction tout en nous poussant au headbang. Bien que suivant un schéma assez similaire, chaque chanson de cette facette heavy de l’ensemble s’habille de quelques accessoires supplémentaires. “IF IT DOESN’T HURT” se dote d’un pont surpuissant avec ses à-coups dramatiques et ses mini-sections de chorale rappelant les expérimentations d’Awolnation. Les tonalités épiques de “ANGEL SONG” sont justifiées par la présence de David Draiman (chanteur du groupe Disturbed). Sur “EXISTENTIAL DREAD”, les ajouts électro rappellent cette fois-ci l’univers musical de Bring Me The Horizon, tandis que le pré-refrain et le refrain aux touches pop punk semblent tout droit sortis d’un album de Fall Out Boy. Le chanteur Sinizter propose ses meilleurs screams sur l’écrasante “STUCK”, et “RUN FOR YOUR LIFE” marie habilement un riff gras et grave et des percées de guitare stridentes tout en variant le niveau d’intensité et les sonorités. Au-delà des arrangements guitares/basse assurés par Mark Vollelunga et Daniel Oliver, il faut souligner le talent de Ben Anderson et ses parties de batterie débridées et celui de Jonny Hawkins qui n’en finit pas d’exceller tant dans le chant screamé que dans les envolées plus pop.

Sur ces quelques chansons, Nothing More se trouve là où on l’attend : à l’intersection entre un metal moderne et convulsif et des inspirations mélodiques très pop. Mais le quatuor dévoile aussi une autre facette de sa personnalité musicale, à la fois plus sensible et plus simple.

Retour à l’état sauvage

Le titre du disque, “CHARNEL” en français, est un bon révélateur des intentions de Nothing More pour cette nouvelle ère. Il contraste avec l’intitulé du précédent SPIRITS, qui avait pour ambition de disséquer la complexité humaine et proposait une approche presque philosophique des comportements humains. Sa sortie était d’ailleurs accompagnée du Spirits Test, sorte de test de personnalité adapté à l’univers de Nothing More. Sur CARNAL, moins d’analyses alliant psychologie et spiritualité. Le contenu thématique et instrumental se veut plus simple, plus terre-à-terre, plus cru.

Cette approche introspective plus accessible se traduit dans la composition et les arrangements instrumentaux. Le milieu de l’album voit s’enchaîner une succession de chansons s’éloignant des territoires metalleux que Nothing More maîtrise pourtant si bien, pour se concentrer sur sa capacité à produire des hymnes de stade dans une tonalité plutôt alt rock. C’est “FREEFALL” qui entame en premier ce virage, avec ses “ohoho” un poil clichés. Mais elle est quand même armée d’un riff efficace et sa progression épique en fait une sorte de complainte puissante et cathartique. Tandis que “BLAME IT ON THE DRUGS” poursuit les expérimentations pop punk (on peut établir une comparaison avec le style de YUNGBLUD) et nous sert un breakdown en halftime aussi inattendu que goûtu, “DOWN THE RIVER” et “GIVE IT TIME” se rapprochent de la power ballade avec leurs mélodies emphatiques (celle de “DOWN THE RIVER” est particulièrement réussie) et leurs paroles presque trop simplistes. Les arrangements reposent surtout sur une sorte de masse instrumentale compacte servant de toile de fond. Une toile unie, épaisse, dépourvue de la moindre excentricité. Une simplicité efficace accompagnant un désir de retour aux sources mettant à l’honneur les sentiments humains les plus primaires, mais un poil moins convaincante que les morceaux plus heavy.

Compté injustement comme un interlude, il reste un OVNI à étudier sur CARNAL : il s’agit de la magnifique “| HEART |”, dont la direction artistique détonne assez clairement avec le reste de l’ensemble, voire la discographie de Nothing More. Ce crescendo alimenté par une voix parlée et une instrumentation mystérieuse se solde par une explosion de couleurs en milieu de chanson, une sorte de chaos harmonieux convoquant miraculeusement des sonorités sombres et lumineuses, lourdes et éthérées. En baissant un peu le niveau de distorsion, on croirait presque reconnaître les merveilles atmosphériques de M83. À la fois douce et violente, la poétique “| HEART |” est pleine de paradoxes, ajoutant un peu de complexité à un disque qui se complaît parfois dans la facilité.

Enfin, les interludes servent de liant entre toutes ces différentes ambiances. Loin d’être anecdotiques, leur présence apporte une grande fluidité à un album où semblent se détacher des inspirations et des intentions assez éloignées. “| HEAD |” et “| SIGHT |” s’approprient des sonorités électro (frôlant parfois le dubstep) et laissent leur place à un narrateur qui accompagne l’écoute de l’album du début à la fin : on le retrouve aussi sur “| CARNAL |”, “EXISTENTIAL DREAD”, “| HEART |” et “| SOUND |” (l’outro). Que raconte cet interlocuteur omniprésent qui parle sur un ton de conférencier ? En réalité, ce personnage récurrent dans les sorties de Nothing More n’est autre qu’Alan Watts, philosophe et écrivain britannique du XXe siècle spécialiste de la spiritualité et des religions, auquel le groupe emprunte régulièrement des extraits de discours pour alimenter les thèmes qu’il aborde : “If you want life, don’t cling to it / Let go” (“| CARNAL |”), “But you will not be afraid of fear / Fear will pass over your mind like a black cloud will be reflected in the mirror” (“| HEAD |”). Le message principal semble s’inscrire dans une mentalité “Carpe diem“, consistant à prendre la vie telle qu’elle est et à se laisser porter par son courant. Mais en termes de simplicité, c’est raté avec “| SIGHT |”, qui opère une inversion de la dynamique causes/conséquences en relation avec le temps qui passe (le présent ne serait pas le produit du passé, mais le passé du présent). Et pour terminer en toute sobriété : “This is where the creation begins / And you’re doing it and won’t admit it / Because of course you’re all God in disguise / Jesus found that out and they crucified him for saying so“. Vous avez quatre heures.

Quelques semaines après l’excellent POST HUMAN: NeX GEn de Bring Me The Horizon, c’est au tour de Nothing More d’alimenter les sorties metal de l’année. Et on n’est pas déçus. Si l’album pourrait aller plus loin dans ses innovations et sortir un poil plus de sa zone de confort, on retient finalement les fondamentaux de la musique de Nothing More : une faculté hallucinante à faire coexister d’incroyables refrains portés par des mélodies pop et des riffs délicieusement dévastateurs. Pas étonnant que leur réputation live les précède.

Informations

Label : Better Noise Music
Date de sortie : 28/06/2024
Site web : nothingmore.net

Notre sélection

  • | HEART |
  • HOUSE ON SAND
  • IF IT DOESN’T HURT

Note RUL

 4/5

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