Vingt-cinq ans que Roger Waters n’avait rien produit. Et le revoilà, à soixante-quatorze ans. Signe que l’heure est grave. C’est après s’être “amusé de la mort” en 1992, que le fondateur de Pink Floyd refait surface avec un album des plus engagés, dont le titre pose une question d’actualité : “Is This The Life We Really Want?”.
À l’heure de la mondialisation, de l’essor de la finance, de la fatigue chronique générée par notre rythme de vie effrénée allant de pair avec l’augmentation du temps de travail, de la déforestation, des génocides des uns au nom de l’enrichissement des autres, Roger Waters pose une question claire : est-ce vraiment ça la vie que nous voulons (mener) ? Question rhétorique qui, un peu comme “Where’s The Revolution” de Depeche Mode, semble s’adresser à l’espèce humaine dans son entièreté, “We”. Avec le sous-entendu que nous sommes tellement capables de mieux que ce que nous sommes en train de faire.
Afin de démontrer que non, ce n’est pas ça qu’il attend de la vie, le musicien – dont les convictions politiques s’opposent fermement au gouvernement Trump – s’est entouré des meilleurs : c’est Nigel Godrich (Radiohead) qui s’est chargé des arrangements et de la production, Gus Seyffert et Jonathon Wilson se partagent la guitare et s’accordent à Roger Manning et à Lee Padroni pour ce qui est des claviers, signature des Floyd. C’est Joey Waronker que l’on retrouve à la batterie, sans oublier Jessica Wolfe, Holly Proctor et Lucius aux chœurs.
Côté composition, l’album fait état d’une richesse toujours aussi flamboyante et quasi religieuse, aussi multi-instrumentale que polyphonique, avec silence, envolées lyriques, variation de rythme et son lot de bruitage : on entend la radio sur “The Last Refugee”, un titre qui fait état de notre monde dans un futur post-apocalyptique; un chien qui aboie sur “Smell The Roses” et une explosion dans “Déjà Vu”.
Le texte est particulièrement dénonciateur de l’hégémonie monétaire mondiale, génératrice de conflits ainsi que de ses effets sur l’économie, mais aussi le moral, voire la survie des populations. “Déjà Vu”, dont le titre en français dans le texte renvoie à l’impression de déjà-vu, nous invite par exemple à réfléchir sur l’aspect cyclique de l’histoire de l’humanité, tandis que “Smell The Roses” est une métaphore opposant la sincérité et la pureté de l’enfance et de l’amour à la soif de pouvoir et d’argent qui corrompent le cœur des hommes.
De nombreuses références également dans ce disque, à la fois clin d’œil aux Pink Floyd et incitation à la réflexion. Comme par exemple l’utilisation du sample de l’aboiement d’un chien, emprunté à “Dogs” (1977), un morceau vraiment très engagé pour l’époque déjà. Peut-être une manière pour Monsieur Waters de nous dire que les choses ne se sont pas améliorées. Cette piste résonne aussi particulièrement avec le célèbre “Money” (1973), qui faisait état de l’accumulation aussi frénétique qu’insensée de monnaie.
L’artwork de la pochette ressemble à un dossier de la C.I.A. ou du F.B.I. classé top secret qui aurait été caviardé afin de rendre illisible les trois-quarts du contenu, ne laissant apparaître successivement que les mots composant le nom de l’essai. À l’air de Facebook et de la collecte d’information rendue légale aux Etats-Unis sous prétexte de terrorisme, une telle couverture réaffirme non seulement le droit à la vie privée, mais également la conviction profonde que la censure s’applique encore et toujours, notamment via les médias.
Du rock progressif riche comme on n’en fait plus, par définition subversif, à la hauteur de celui des Floyd, avec un Roger Waters conscient du pouvoir réflectif apporté par l’art et de la portée de son message, véhiculé par cet indomptable moyen de transmission qu’est la musique.
Informations
Label : Sony Music / Columbia
Date de sortie : 02/06/2017
Site web : rogerwaters.com
Notre sélection
- Smell The Roses
- Déjà Vu
- The Last Refugee
Note RUL
4.5/5