Véritable madeleine de Proust pour toute une génération de trentenaires, Sum 41 a rappelé à tous le temps qui passe en révélant sa décision d’arrêter à l’issue de cet ultime enregistrement. Ces piliers de la scène ont choisi de tirer leur révérence en scindant leur dernière livraison en deux parties, HEAVEN et HELL. La première revient à leurs premiers amours pop punk, tandis que la seconde tend vers des sonorités plus metal. Pour son chant du cygne, le groupe nous emmènera-t-il au septième ciel ?
L’eau mouille, le feu brûle, les Sum 41 sont catchy
Disons-le tout de suite, la décision de finir sur un double album a pu faire naître quelques inquiétudes, tant les exemples de réussites sont rares. L’occasion de se remémorer que l’excellent Opposites (2013) de Biffy Clyro a déjà onze ans. Toujours ce temps qui passe… Pourtant, malgré les années, la première partie du disque réussit à nous ramener à l’âge d’or du Warped Tour et de Tony Hawk’s Pro Skater. Le sourire vient instantanément en retrouvant le débit mitraillette de “Waiting On A Twist Of Fate”. Il est assez fou de se rendre compte que la voix de Deryck Whibley, quarante-quatre ans désormais, est restée intacte. Sa capacité à élaborer des hymnes imparables aussi. Ainsi, comment ne pas succomber à la doublette “Landmines” / “I Can’t Wait”, taillée dans l’étoffe des tubes instantanés qui ont fait leur réputation. Accrocheuse à souhait, cette “Face A” est plus globalement l’occasion de célébrer toute une scène.
Cette première partie est ainsi truffée de l’influence de leurs contemporains. “Future Primitive” semble tirée du catalogue de The Offspring quand la survitaminée “Johnny Libertine” (portée par une batterie épileptique) salue blink-182 au détour de quelques saccades rafraîchissantes. On ne peut s’empêcher de remarquer que l’influence fonctionne dans les deux sens, les couplets de “Time Won’t Wait” ou de “Dopamine” rappellent ce qu’un Machine Gun Kelly doit aux Canadiens. Cette dernière illustre le subtil compromis d’une énergie imprégnée d’une dose de mélancolie qui a fait le sel de Chuck (2004).
HEAVEN se clôture sur la power ballade “Radio Silence”, qui s’en tire très honorablement dans un registre dans lequel la bande a livré quelques pépites (“Pieces”, “With Me” ou la récente “Never There”). Il ne manque finalement à ce retour aux sources que la contribution vocale des autres membres, qui apportait un supplément de fougue à un “Fat Lip”. Histoire de chipoter donc, tant ce versant du disque réussit un sans-faute.
All killer, few filler
La formation a eu l’occasion de répéter à plusieurs reprises son amour du metal. Son guitariste soliste, Dave Baksh, a notamment quitté le groupe pour explorer davantage ce côté hardcore, avant de revenir en 2015. Cette expérience a indéniablement marqué les livraisons suivantes, 13 Voices Order (2016) et Order In Decline (2019), qui ont montré une facette plus sombre et musclée du son.
C’est précisément cet aspect qui est mis à l’honneur sur HELL. Les musiciens impriment un train d’enfer, emmené par une performance assez phénoménale de Frank Zummo derrière les fûts. De “Rise Up” à “I Don’t Need Anyone”, le rythme est frénétique. Parfois trop. En effet, ce côté mur du son peut par moment pécher par manque de subtilité.
Heureusement, le groupe profite du dernier quart de l’ensemble pour rappeler qu’il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il décide d’injecter de la nuance. La metalcore “Over The Edge” alterne ainsi entre passages en force et virages salutaires, sur un titre évoquant Bring Me The Horizon, époque Sempiternal (2013). Mais c’est finalement “You Wanted War” et sa voix doublée qui tire tout particulièrement son épingle du jeu. Puisant dans une tonalité plus basse, ce banger bénéficie de riffs heavy en diable menant à un pont d’une hargne jubilatoire. L’occasion de saluer la virtuosité de Baksh, qui saupoudre l’album de solos astucieux à couper le souffle.
Sympathy for the devil
Si cet ultime projet est l’occasion de balayer toutes les ères du quintette, ce dernier a décidé d’immortaliser un exercice dans lequel il excelle : celui des reprises. Après avoir marqué les esprits à ses débuts avec sa mythique reprise de “Walk This Way”, il dépoussière cette fois le “Paint It Black” de The Rolling Stones. Une prestation up-tempo aussi réussie qu’inattendue.
Bien que retardée par ce format copieux de vingt morceaux, la fin arrive inéluctablement. “How The End Begins” fait donc office de conclusion à la hauteur de l’événement. Son riff façon Linkin Park lui confère l’épique des B.O. des films d’action à la Transformers, tandis que les paroles émouvantes s’infiltrent dans notre subconscient. “Maintenant c’est la fin, nous ne pouvons rien y faire / Pourquoi rien de bon ne dure jamais / J’ai donné tout ce que je pouvais donner, seulement pour me demander si c’est comme ça que la fin commence“.
Loin d’être l’œuvre d’une formation en bout de course, cette ultime livraison est un formidable témoignage de son ADN. Si l’on est davantage conquis par la partie pop punk, les Canadiens ont su rester fidèles à cette dualité faisant leur singularité. La promesse est tenue de fort belle manière, permettant à Sum 41 de clôturer une page de nos vies la tête haute et avec une belle sérénité. La boucle sera définitivement bouclée le 23 novembre à Paris, où le groupe a insisté pour finir sa tournée européenne. Ne restera qu’une certitude : si Deryck Whibley s’apprête à publier ses mémoires, lui et ses comparses ont irrémédiablement marqué les nôtres. Bravo et merci pour tout, messieurs.
Informations
Label : BMG
Date de sortie : 29/03/2024
Site web : www.sum41.com/
Notre sélection
- Dopamine
- Futur Primitive
- You Wanted War
Note RUL
4/5