Et si on repartait à zéro ? Si on oubliait la machine marketing pour se concentrer sur la démarche artistique ? Tels les artifices des contes s’évanouissant aux douze coups de minuit, pourquoi ne pas délaisser les idées reçues pour apporter un regard neuf ?
Laissons donc derrière nous les excès des haters de principe ou des fans trop dévoués, les énièmes chorégraphies de “Shake It Off”, le conflit avec Kanye West, ou son statut de célébrité émettant le plus de CO2. Intéressons nous plutôt à l’empreinte musicale laissée par le dixième disque d’une artiste nommée Taylor Swift.
LÀ où on va, on n’a pas besoin de roots
Le fait qu’aucun single n’ait été dévoilé avant la sortie de Midnights plongeait l’auditeur dans un flou total quant à la direction musicale de cet album. Les basses de la chanson d’ouverture “Lavender Haze” annoncent la couleur d’entrée : fini les ambiances folks de folklore et evermore (2020) sortis en plein confinement, la jeune femme reprend les choses là où elles les avaient laissées sur Lover (2019). Les treize compositions font ainsi la part belle aux nappes de synthés et aux basses dubstep. Ici, pas de hits surpuissants destinés à squatter les ondes et les dancefloor, on reste dans la retenue d’une pop brumeuse, toute nocturne.
Et paradoxalement, le moment le plus attendu de ce disque, à savoir le duo avec Lana Del Rey, donne l’impression d’avoir davantage sa place sur ses sorties précédents. Cette collaboration nous laisse légèrement sur notre faim, car si l’on note une belle alchimie entre les deux stars, les voix se mêlent très (trop) facilement sans que l’apport de Lana ne s’avère réellement déterminant. On lui préfèrera la ballade “Sweet Nothing“, plus touchante et intimiste dans ses thèmes.
Un storytelling toujours au rendez-vous
Du point de vue de l’écriture, la Miss Americana continue de briller par sa capacité à raconter des histoires. L’héritage de la chanson numéro cinq, traditionnellement dédiée aux chansons les plus autobiographiques et personnelles de Taylor, remplit une fois de plus sa fonction avec “You’re On Your Own, Kid”. Ses accents des années 2000 sont l’écrin parfait pour se livrer sur des souvenirs doux-amers, sans que l’on sache si ses conseils s’adressent à son public où à la version jeune d’elle-même. (“J’ai donné mon sang, ma sueur et mes larmes pour cela/J’ai organisé des fêtes et affamé mon corps/Comme si j’allais être sauvée par un baiser parfait”).
Autre réussite, la conclusion “Mastermind” où la chanteuse se présente comme une “maitresse de la manipulation” digne de la série You, tout en mettant en lumière ses propres fragilités “Personne ne voulait jouer avec moi lorsque j’étais enfant/Du coup, je complote comme une criminelle depuis/ Pour faire en sorte que les gens m’aiment et que cela semble naturel“.
Sur “Vigilante Shit”, on pénètre chez Lorde pour l’un des moments les plus rafraichissant de l’ensemble. Instru minimaliste et tempo ralenti, ce morceau se démarque réellement du reste par son aspect venimeux, la voix de Taylor se faisant magistralement glaçante et implacable au moment de régler ses comptes. Une autre facette plus que bienvenue à ce moment du disque.
Une linéarité pénalisante
Car on touche là le gros point faible de cet album : sa linéarité. Si aucune chanson n’est mauvaise, tout glisse mais peu accroche véritablement à l’oreille. Le concept de “pont” y est quasiment absent, toutes les chansons nous emmènent d’un point A à un point B sans qu’on ne soit surpris par une quelconque rupture avec les couplets précédents. Et ce n’est pas la réédition contenant sept chansons bonus, sortie seulement trois heures après l’originale (!) qui vient inverser la tendance (à l’exception de la très belle “Bigger Than The Whole Sky”, lauréate de “la-chanson-qui-aurait dû être-sur-l’album ). Ajoutez à cela certains effets numériques venant gâcher de belles promesses (notamment sur “Labyrinth” transformant une ballade délicate tutoyant Wolf Alice en du M83, ou “Midnight Hours” et ses chœurs haut perchés) qui viennent tempérer l’enthousiasme.
Alors que Taylor Swift déclarait ressentir l’envie constante de se réinventer pour que le public ne se lasse pas, ce Midnights ne réussit que partiellement ce pari. Si ses facultés de songwriter sont intactes, elles sont finalement desservies par une production trop lisse et linéaire, s’essoufflant sur la durée. Si cela ne devrait pas l’empêcher de battre de nouveaux records de streaming, on espérera une prochaine livraison avec davantage de relief afin de rendre justice à ses remarquables capacités d’écriture.
Informations
Label : Universal Music / Island Def Jam
Date de sortie : 21/10/2022
Site web : www.taylorswift.com
Notre sélection
- You’re On Your Own, Kid
- Mastermind
- Sweet Nothing
Note RUL
3/5