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Taylor Swift – THE TORTURED POETS DEPARTMENT

S’il y a bien une artiste qui incarne la démesure, c’est bien Taylor Swift. Celle dont la seule présence suffit à générer croissance économique et tremblement de terre est parvenue à atteindre un niveau de popularité mondiale rarement vu. Devenue omniprésente culturellement, l’auteure marque une pause dans la réédition de ses précédents albums pour nous revenir avec trente-et-une (!) compositions originales. Mais le résultat est-il à la hauteur de cette ambition ?

Encéphalogramme plat  

Alors que l’artiste avait réussi à obtenir une certaine unanimité critique pour la doublette folklore / evermore (2020) et s’était rappelée aux bons souvenirs des amateurs de pop rock via la réédition de Speak Now (Taylor’s Version) l’année dernière, ce disque choisit de creuser le sillon du pourtant peu inspiré Midnights (2022). À nouveau accompagnée par le tandem Jack Antonoff / Aaron Dessner, la jeune femme explore davantage la pop brumeuse qui lui a valu un Grammy (ce qui en dit d’ailleurs beaucoup sur le degré de crédibilité actuelle de l’organisation).

Hélas, on retombe assez facilement dans les travers de la sortie précédente. Quelques flashs sont agréables mais noyés sous un flot de mélodies que les plus indulgents qualifieront d’ennuyeuses de minimalistes. Les voix doublées, le rythme monocorde, les percussions insipides… Tout ici nous donne la sensation d’être coincé dans une boucle temporelle de synthpop cotonneuse dépourvue d’aspérité. Et ce n’est pas la partie bonus, intitulée THE ANTHOLOGY, qui apportera un supplément d’âme. Décevant tant ce trio créatif nous avait habitués à mieux.

The Machine Against The Rage

Intrigante sur le papier, la collaboration avec Post Malone illustre cette filiation avec Midnights. Vous vous souvenez du duo avec Lana Del Rey ? Le titre d’ouverture “Fortnight” retombe dans les mêmes travers, réduisant le rappeur au rang de simple choriste. En revanche, la personne ayant suggéré la participation de Florence + The Machine mérite une statue pour nous sortir de notre léthargie à mi-parcours. Florence Welsh injecte enfin du caractère via “Florida!!!” (évoquant l’endroit du premier concert post-rupture de Taylor). Un échange d’autant plus remarquable que l’exercice du duo réduisait jusqu’à présent les acolytes de la Miss Americana au rang de faire-valoir. Trois points d’exclamation mérités donc, au sein d’un ensemble qui manque cruellement d’intensité dans l’interprétation.

Ce constat est d’autant plus étonnant à l’écoute de “Who’s Afraid Of Little Old Me?”. Swift y réussit à nous communiquer rage et douceur, tranchant enfin avec le gris ambiant. Un des rares moments où la machine bien huilée n’étouffe pas les variations de rythme et la verve de l’artiste. La old school “Guilty As Sin?” rappelant son passé country ne nous fait pas tomber de notre chaise, mais a le mérite d’apporter un côté organique salvateur. De même, la simplicité piano-voix d’un “IomI” ou l’irrésistible montée de “The Smallest Man Who Ever Lived” catalysent davantage d’émotions sans les artifices entrevus précédemment.

Un bilan bien maigre pour un contenu fleuve de deux heures, qui réussit l’exploit de ne rien apporter à la discographie de l’Américaine. Alors qu’elle s’apprête à donner le coup d’envoi européen de son Eras Tour, il serait intéressant (voire éloquent) de recenser le nombre de ces nouvelles compositions qui se fraieraient une place dans la setlist idéale de ses fans.

(Belles) histoires sans fin

Lassé d’attendre un sursaut mélodique qui ne vient pas, on se réfugie alors dans l’élément central du succès de Swift : son songwriting inspiré. Et force est de constater que la promesse est tenue. On retrouve avec plaisir cette plume maniant aussi bien des saillies pleines d’esprit (“Tu n’es pas Dylan Thomas, je ne suis pas Patti Smith. Ce n’est pas le Chelsea Hotel, nous sommes deux idiots modernes“) que des traits d’humour humanisant (“Je cours criant, “mais papa, je l’aime, j’attends son enfant… Non, ce n’est pas vrai, mais tu devrais voir vos têtes !“).

Mieux, ce focus textuel permet de rehausser l’appréciation de certains titres. “I Can Do It With A Broken Heart” devient ainsi assez fascinant dans ses contrastes. De prime abord, on est surpris par la soudaine légèreté de la mélodie, allant même jusqu’à entendre quelques rires. Pourtant, l’analyse du texte montre le côté factice de ces derniers. La volonté de mettre la forme au service du fond renverse alors notre aversion initiale pour certains effets robotiques, finalement cohérents avec ce statut d’automate qu’impose l’exigence de perfection permanente pesant sur les popstars (“Je fais comme si c’était mon anniversaire tous les jours“, “Tous les morceaux de moi se sont brisés, alors que la foule scande “ENCORE !“). Une franchise à laquelle sont accoutumés ses fans, qui devraient être aux anges tant les clins d’œil sont légion. “So Long, London” referme ainsi la parenthèse entamée avec “London Boy” sur l’album Lover (2019), ode dédiée à Joe Alwyn avant son “Brexit” avec l’Anglais.

Ce dernier est d’ailleurs finalement moins égratigné que ne l’est Matty Healy. Sans s’approcher de l’iconique “Dear John”, l’acidité des flèches décochées à l’encontre du leader de The 1975 sur “The Smallest Man Who Ever Lived” donne une profondeur salutaire à ce morceau, commencé dans un soupir et achevé dans la colère. Si la jeune femme ne se prive jamais d’accabler ses ex indélicats, elle revendique également le droit de faire des erreurs (“Je vais vous dire quelque chose à propos de ma réputation, c’est à moi seul de la déshonorer“). Un droit qu’on lui accorde bien volontiers, tant l’authenticité de la démarche artistique réfute la thèse d’opportunisme mercantile.

Bien que la richesse des textes soit une nouvelle fois au rendez-vous, ils sont implacablement desservis par des arrangements sans saveurs. L’artiste semble avoir tari son inspiration mélodique puisée dans la synthpop minimaliste. “Une fois que nous avons raconté notre plus triste histoire, nous pouvons nous en libérer“, précise-t-elle en introduction. On ne peut donc qu’encourager son auteure à en faire de même avec ses sonorités actuelles, afin que la meilleure version de Taylor Swift ne soit pas une réédition.

Informations

Label : Universal Music / Island Def Jam
Date de sortie : 19/04/2024
Site web : www.taylorswift.com

Notre sélection

  • Florida!!! (feat. Florence + The Machine)
  • Who’s Afraid Of Little Old Me?
  • The Smallest Man Who Ever Lived

Note RUL

 2,5/5

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