Si on prend la douceur des mélodies des scarabées de Liverpool pour la mixer avec les lignes de basses imposantes du pachyderme du slap de Californie, le résultat en terme de bestiaire est approximativement un scarabée rhinocéros géant. En terme de musique, la collaboration entre Sean Lennon et Les Claypool coule de source, les deux hommes enchaînant depuis plusieurs années les projets entre groupes respectifs, carrières solo, et collaborations récréatives. En remettant le couvert sous le nom The Claypool Lennon Delirium, ils accouchent deux ans plus tard d’un album bien plus psychédelique que le premier. Accrochez-vous, les deux musiciens étendent leurs univers jusqu’à “South Of Reality”.
Ayant le sens du détail jusqu’à la pochette qui rappelle le trio initial du Monsieur Loyal à la quatre cordes, la première minute de “Little Fishes” commence en douceur sur un délire cosmique narré par Claypool sur une basse ronde et dominante accompagnée par des notes de clavecins. Mais la menace se profile avec un groove plus agressif, une guitare interstellaire, et la voix de Sean s’ajoutant à l’équation. Une des alchimies les plus importantes et les mieux balancées du projet est la variation entre la voix angélique du fils Lennon et celle diaboliquement nasale du bassiste de Primus, formant un équilibre les plaçant aux moments les plus appropriés. Les privilégie les introductions ainsi que les fantômes des contes enfantins, comme celui de Kenneth Grahame et de son vent dans les saules avec “Toady Man’s Hour”, tandis que Sean s’occupe du fil rouge avec le récit de Jack Parsons, pionnier de la propulsion spatiale ayant flirté avec les doctrines d’Aleister Crowley. De quoi alimenter la vitrine des deux hommes pour nous inviter à un voyage sans précédent.
La chanson en deux mouvements sur Parsons, sobrement nommée “Blood And Rockets: Movement I, Saga Of Jack Parsons – Movement II, Too The Moon”, est le single de l’album de par son importance dans la cohérence de l’ensemble. Représentative de la durée de la majorité des morceaux, de l’humour à froid du tandem, ainsi que des influences allant de King Crimson à Pink Floyd, c’est avant tout le titre qui nous fait rentrer dans le vif du sujet. Le duo fait évoluer sa musique constamment sans tomber dans l’hommage tout en livrant une oeuvre immersive à part entière. Là où il est possible de perdre pied avec la réalité, notre attention ne faiblit à aucun instant dans ce chaos maîtrisé. Nous continuons notre ascension dans cet univers autonome qui se permet de se citer avec des personnages récurrents comme “Cricket Chronicles Revisited: Part I, Ask Your Doctor / Part II, Psyde Effects”, sans nous soucier du moment où tout cela va s’arrêter.
La production ne laisse aucun élément au hasard pour faire retentir l’espace, Claypool faisant appel à des collaborateurs de longue date comme le batteur Paulo Baldi et l’ingénieur du son Stephen Marcussen. En ce qui concerne les deux multi-instrumentistes, ils se répondent comme si cela faisait des décennies qu’ils collaborent. Là où la basse est reine, le jeu de six cordes de Lennon n’est jamais négligé, incombant à chaque titre une personnalité qui lui est propre, du plongeon dans l’inconnu à la critique sociale en citant les méfaits de Tinder et les télévangélistes votant Trump. Ce mariage mêlant psychédélisme au rock progressif peut se répéter sans ennuyer l’auditeur tant la folie du duo n’a d’égal que leur talent de composition.
Le point positif de “South Of Reality” demeure dans la surprise, là où beaucoup vont penser savoir vers quel ton le disque tend. Oubliez les années 90 de Primus, la quête identitaire ancestrale de Sean, et laissez-vous emporter par la grande aventure. La seule chose que nous ne pouvons explorer, c’est l’univers parallèle où Les Claypool est devenu le bassiste de Metallica.
Informations
Label : ATO Records
Date de sortie : 22/02/19
Site web : facebook.com/theclaypoollennondelirium
Notre sélection
- Little Fishes
- South Of Reality
- Amethyst Realm
Note RUL
4,5/5