The Smile – Cutouts

Deux albums la même année ? Certes, c’est peu pour un groupe comme King Gizzard & The Lizard Wizard. Mais pour les deux tiers de Radiohead composant The Smile, un espace-temps aussi réduit est plutôt inhabituel. Succédant d’à peine huit mois à l’excellent Wall Of Eyes, Cutouts débarque dans les bacs avec une vague d’enthousiasme.

Are you experimental?

Né du désir de continuer à créer quand le monde semblait être sur pause, la parenthèse The Smile continue de plus belle. Toujours avec cette envie de se découvrir encore plus, Thom Yorke et Jonny Greenwood embarquent le batteur Tom Skinner dans une aventure où ses dons pour le jazz et la pop seront nécessaires. L’ensemble s’ouvre sur la ballade imprégnée de claviers, “Foreign Spies”. Chanson épurée avec une voix aérienne et des paroles énigmatiques, elle résonne pour laisser place à des instruments à vent. “Instant Psalm” ne se démarque pourtant du titre d’introduction que par une rythmique déstructurée par moments.

La cadence s’accélère alors avec “Zero Sum” et ses notes de guitare en cascade. Un titre enchanteur, entre une allure à se déhancher et ses rares notes d’humour pince-sans-rire. “Thinking all the ways the system will provide Windows 95“. Des harmonies qui flirtent avec l’électronique, des gammes empruntées à plusieurs continents, comme l’attestent “Colours Fly” et “No Words”, la dizaine de titres révèle bien d’agréables surprises. Le groupe nous entraîne des percussions au minimalisme dans un panel d’influences, avec cette envie de s’affranchir des conventions. Loin d’être déplaisant et dénué de qualités, il manque pourtant quelque chose pour que l’expérience soit un franc succès.

Le cul entre deux albums

Au-delà de la liberté artistique, on peut se poser la question de la cohérence et de la qualité. Il est évident que Cutouts souffre de la comparaison avec son récent aîné. Là où l’on peut s’extasier sur le groove de Jonny Greenwood avec “Zero Sum”, il l’a démontré avec plus de brio en début d’année avec “Under Our Pillows” et son jeu de dissonances. Même si le talent des musiciens n’est plus à prouver, leur réputation ne suffit pas à ce que l’opinion soit pliée pour catégoriser le petit dernier dans les albums d’excellente facture. S’il y a bien une chose qui déplaît à Thom Yorke, c’est qu’on lui dise où il devrait se positionner. À juste titre sur certains points, beaucoup moins sur d’autres. Si une prolifération musicale a un effet salvateur sur le leader, tant mieux.

Mais l’ensemble est moyen, au mieux. Peu de morceaux se démarquent du lot, inconsistants dans les thèmes qu’ils semblent traiter, ce qui peut rendre l’immersion et l’appréciation difficiles. L’album tente de marcher sur les traces des deux précédents disques, sans pour autant en avoir l’ambition. Ce n’est pas une mauvaise chose. Mais le groupe semble vouloir réitérer un exploit avec une sonorité identique tout en voulant s’en différencier. Cela affecte une continuité, qui était jusqu’à présent limpide. On peut se questionner sur la genèse de Cutouts, dont les sessions semblent être les mêmes que pour Wall Of Eyes. S’agit-il d’un album pensé comme tel ou bien de la sélection des titres non retenus ? Après tout, on peut toujours dire d’un dérapage qu’il était contrôlé.

A la découpe

Quelle que soit la réponse, ce n’est pas sans rappeler Radiohead. Dans un premier temps, deux albums qui possèdent un lien, comme le diptyque Kid A (2000) / Amnesiac (2001). Puis, la critique ainsi que le public ont eu leur lot de divisions à partir de In Rainbows (2007). Le clou a été enfoncé avec The King Of Limbs (2011). Aujourd’hui encore, ces disques peuvent polariser. La seule chose que l’on puisse souhaiter, c’est que The Smile s’affranchisse un peu plus de Radiohead à chaque album.

Loin de vouloir tirer sur l’ambulance, surtout avec l’état de santé préoccupant de Jonny Greenwood, ce dernier album a tout autant de défauts que de qualités. Est-ce que Cutouts a besoin du temps qui passe pour être apprécié ? Non. Il l’est déjà. Et si ce n’est pas votre cas, cet album a-t-il besoin de vieillir pour être appréciable ? On croise les doigts. Tenter plusieurs écoutes, c’est vivement conseillé. En attendant, on essaie de garder le sourire. Ou pas.