Throwing Muses – Moonlight Concessions

Cinq ans après la pépite Sun Racket (2020), Throwing Muses reprend du service. Malgré plus d’une décennie à opérer en trio, le groupe du Rhode Island n’a pas encore dit son dernier mot en termes de rock indépendant. Onzième album d’une riche discographie, Moonlight Concessions débarque pour nous chambouler.

That’s almost all folk

Un jeune Shiba Inu et des planches de surf à l’arrière d’une voiture, le décor est posé. Des Polaroïds en guise de pochettes d’albums, les Throwing Muses sont coutumiers du fait depuis 1991. Cette photographie peut même bien représenter le premier titre de ce nouveau disque, “Summer Of Love”. D’emblée, les cordes de la guitare acoustique ainsi que la voix ensorceleuse de Kristin Hersh nous enveloppent. Les tonalités graves ne sont pas celles auxquelles on penserait instinctivement pour profiter des premiers beaux jours de l’année. Pourtant, du rythme aux paroles, le tout fonctionne. “Finally life as it should have been, finally life as it should be. I owe you a buck“. L’histoire d’un pari raté dans la chanson d’ouverture, mais d’un pari réussi durant la prochaine demie-heure ensemble.

Les vétérans, David Narcizo à la batterie et Bernard Georges à la basse, s’exécutent en retrait. Néanmoins, les deux musiciens ne sont pas communément la session rythmique la plus imposante. Rarement branchée, la six cordes sert avant tout l’atmosphère. En dehors de l’aura de la chanteuse guitariste, Pete Harvey vole la vedette avec son violon. Grâce à elle, les neufs titres de l’ensemble sont plongés dans une ambiance brumeuse, flirtant avec l’onirisme. Durant une lourde période pour les États-Unis, chaque histoire se dessine comme des coups de pinceau sur une toile de Hopper. Après tout, la musique reste le moyen le moins cher de voyager.

Going south

Écrit entre le sud du Golfe Du Mexique et la Californie Du Sud, chaque riff rugueux est une pièce d’Americana. Des images mentales se mêlent aux thèmes de la douleur quotidienne, des fantômes passés, présents, et futurs. Une fois ces souvenirs et ces réflexions déballés, on couche le tout sur bandes à la maison, au Stable Sound Studio de Portsmouth, en demeurant fidèles à tout ces endroits visités, ainsi qu’à tous ces moments vécus ou entendus.

Premier groupe américain à signer avec 4AD en 1985, Throwing Muses est une figure plus discrète du rock alternatif. Cependant, il n’en est pas moins marqué par les années, les séparations, et les nombreux coups durs. Derrière cet aspect dépouillé, c’est une maîtrise qui ressort. Car un album acoustique peut rapidement s’emmitoufler dans une consonance mielleuse, il n’en est rien ici. Le trio se nourrit d’un historique mouvementé et d’une période chaotique pour nous livrer un album exceptionnel, accrocheur, et avec les nerfs à vifs.

Selected stories

La presse musicale a tendance à titrer un retour aux sources en ce qui concerne ce nouveau disque studio, n’hésitant pas à comparer Moonlight Concessions avec le MTV Unplugged In New York (1993) de Nirvana. Bien que la comparaison soit flatteuse, cet ensemble s’inscrit dans la continuité de ce que propose la compositrice. D’ailleurs, on a tendance à oublier deux choses. De une, les années ne font pas des sages, mais elles ne font que des vieillards. Sans manquer de respect, cette proverbe vaut pour les critiques aux formules toutes faites comme pour les musiciens qui ont fait le tour de leur répertoire. Car si on a fait le tour de sa douleur, il est rare de pouvoir en témoigner. Cela dit, le mal-être d’il y a trente ans ne s’éloigne pas vraiment de l’actuel. L’être humain semble décider à répéter ses bourdes. 

Et de deux, Kristin Hersh aime brouiller les pistes, au sens propre comme au figuré. Ici, en mélangeant les rudiments de sa carrière solo à celui de son groupe, elle est pourtant ancrée dans l’instant présent. Alors pourquoi sortir cet album avec Throwing Muses au lieu de l’ajouter à une œuvre solo qualitative et haute en couleur ? Et pourquoi pas ? Parce que ces bouts de vies correspondent à quelque chose de plus vaste que Kristen Hersh ?  Parce que c’était le moment opportun pour rejouer avec cette configuration ? Allez savoir.

No time like the present

Avec Moonlight Concessions, la magie de Throwing Muses ne cesse d’opérer. Avec un charme qui lui est propre et des mélodies intemporelles, le groupe s’éloigne de plus en plus de l’image du duo bicéphale formée par la leadeuse et sa demie-soeur, Tanya Donnelly. Est-ce que nous allons continuer à regarder par dessus notre épaule alors que l’avenir se dessine devant nous ? “No, I don’t think so!“