Il n’y a qu’une seule bonne façon d’apprécier la dernière production de Trash Boat : le volume à fond, la tête se balançant au rythme des (nombreux) breakdowns. Avec Heaven Can Wait, le quintette britannique pousse tous les curseurs au maximum, délaissant sa pop punk habituelle pour un rendu bien plus heavy.
Plus fort, plus lourd
La capacité de renouvellement dont Trash Boat fait preuve sur Heaven Can Wait est à la fois louable et réussie. D’une proximité évidente avec la scène pop punk étatsunienne, les Britanniques ont exploré des sonorités alternatives plus modernes sur Don’t You Feel Amazing? (2021) avant d’embrasser pleinement leur facette hardcore sur cette dernière parution.
Les riffs rapides et solaires cèdent leur place à des progressions lourdes et épiques, des variations de tempo jouissives (“Be Someone”, “Break You”) et des breakdowns foisonnants. Dès les premières minutes du disque, la diversification des influences mobilisées est une évidence : “Watching Heaven…” et “…Burn” semblent tout droit sorties de l’imagination d’un Chino Moreno, la première évoquant l’univers sonore de ††† (Crosses), tandis que la seconde se rapproche de la marque Deftones avec son refrain traînant et mélancolique. Le début de “Are You Ready Now?” peut également prétendre à l’héritage deftonien. La lourdeur métallique se fait plus frontale à plusieurs reprises, l’orageuse “Be Someone” en tête. Elle profite indéniablement de la présence au chant d’Eric Vanlerberghe (I Prevail), qui s’était déjà illustré plus tôt dans l’année sur une autre sortie alt metal incontournable, l’album CARNAL de Nothing More. Le premier rôle est donné aux breakdowns, le moment le plus propice au headbang étant amené par la répétition effrénée d’une même note grasse et saturée, toujours sur “Be Someone”. “filthy/RIGHTEOUS” (en featuring avec Kenta Koie de Crossfaith), “Are You Ready Now?”, “The Drip”, “Liar Liar” et “Delusions Of Grandeur” ne sont pas en reste, apportant toutes leur dose de heavy contagieuse et exaltante.
Au chant aussi, Tobi Duncan s’illustre par une versatilité souvent caractéristique des voix associées au genre. Si les productions passées du groupe avaient déjà démontré sa faculté à se livrer à des parties vocales intenses mobilisant des aigus tantôt screamés, tantôt d’une impressionnante clarté, Heaven Can Wait rend un tout nouvel honneur à son talent. On pense notamment au cri de vingt secondes en plein milieu de “Are You Ready Now?” qui nous laisse bouche bée d’admiration.
I just wanna change the world
Si la musique de Trash Boat a toujours eu pour ambition de bouleverser l’ordre établi, jamais ces velléités de changement n’ont été aussi clairement exprimées, tant musicalement que thématiquement. La mise en avant et la radicalisation des tendances les plus énervées du groupe semblent refléter une certaine impatience face au fonctionnement des choses. “Delusions Of Grandeur” illustre bien cette agitation aux connotations politiques et aux conséquences très personnelles : “I just wanna change the world / But I don’t know where to begin“.
De ses origines pop punk, le groupe conserve une capacité à élaborer des refrains entraînants sertis de paroles introspectives (“Better Than Yesterday”, “Lazy”), et un goût pour une frénésie punk difficilement contrôlée, le sprint chaotique qu’est “Liar Liar” en tête. Mais en allant plus loin dans la lourdeur saturée, quitte à flirter avec les limites de l’écœurement, Trash Boat met surtout en musique un certain état d’impuissance et de colère face à l’inertie de certaines situations jugées inacceptables. “The Drip”, qui allie le meilleur des univers punk et hardcore, bouillonne de frustration et de colère, et voit Tobi Duncan disserter sur un ton alarmant, débarrassé de tout effort mélodique : “The vast majority of law exists to protect capital / Free markets are constructed, they are not natural“; “Most models for social studies do very little to open the public’s imagination to radical change / Perpetuating the idea that there is nothing to be done / Fuck it“. Avant de s’époumonner sur les refrains de façon plus introspective : “My complacency for tragedy is making me so sick“. Des textes particulièrement parlants et pertinents, efficacement soulignés par l’instrumentation tourmentée et déstructurée qui les accompagne.
Heaven Can Wait marque un tournant dans la discographie de Trash Boat, exprimant à la fois l’évolution du regard de ses compositeurs sur le monde et une grande adaptabilité à des sonorités plus modernes.
Informations
Label : Hopeless Records
Date de sortie : 04/10/2024
Site web : www.trashboat.co.uk
Notre sélection
- Be Someone
- The Drip
- Liar Liar
Note RUL
4/5