Non contents d’être connus et reconnus par le grand public pour leurs hits planétaires (“Stressed Out”, “Ride” ou “Heathens”), Tyler Joseph et Josh Dun ont réussi à tenir leurs fans en haleine avec une méta-histoire développée au fil des albums. Cette dystopie, commencée avec Blurryface (2015), personnalise le combat du chanteur contre la dépression. Cette saga prend fin avec Clancy, qui clôt cet arc musical de neuf ans.
Welcome back to Trench
Naturellement, il est assez passionnant d’aborder ce disque sous l’angle de sa méta-histoire. Ce récit oppose Tyler aux neuf évêques (parmi lesquels Blurryface, incarnation de ses angoisses), ces despotes mystiques qui contrôlent la ville imaginaire de Dema. L’ouverture “Overcompensate” rétablit le décor d’un Tyler revenant défier Blurryface, qui l’accueille avec sa traditionnelle voix saturée : “Welcome back to Trench!“. La longue intro, mêlant détonations et paroles façon chaîne d’info, retranscrit parfaitement cette ambiance révolutionnaire projetée par la pochette. Cette décharge d’adrénaline tourne la page Scaled And Icy (2021), qui avait largement clivé par son orientation très pop.
Alors que les parties rappées témoignent des phases de doute, le versant plus rock nous transporte dans cette lutte aux faux airs de Hunger Games. On retrouve notamment ce sentiment de combativité sur le dynamique “Navigating”. Morceau le plus rock de cette livraison, on assiste à un déferlement de riffs enragés et de percussions nerveuses, saupoudré de synthé façon The Killers.
Dans cette quête, notre héros Tyler peut compter sur sa connexion avec son acolyte Josh. Leur complémentarité est évidente sur “Vignette”, les lourdes frappes de l’un répondant aux envolées vocales de l’autre. Ce morceau porte tout particulièrement l’onirisme du récit, éclatant entre cordes cinématographiques et solo jazz/électronique. Sans être explicite, la formation a recours à divers clins d’œil pour rappeler le fil de l’histoire. Les fans remarqueront notamment la présence de cris d’aigle, sympathique référence à la pochette de Trench (2018).
L’odeur de l’essence
Bien qu’il flotte indéniablement un parfum de rébellion sur certains titres, ne vous attendez pas à une explosion permanente. Métaphore d’une bataille menée au plus profond de son esprit, les morceaux les plus sombres sont bien souvent construits autour d’arrangements minimalistes. “Backslide” est ainsi porté par un beat maussade et basique, donnant tout l’espace nécessaire au flow de Tyler pour revisiter ses doutes (“Je ressens l’attraction, l’eau est au-dessus de ma tête“).
Le paroxysme est atteint sur la plus aérienne “Snap Back”, brutalement honnête sur l’insaisissabilité de la dépression (“Il semble que je sois à court d’excuses pour expliquer pourquoi je suis comme ça. C’était une bonne passe mais la pression est trop forte. Je pensais l’avoir éliminée, c’est une nouvelle adaptation“). Musicalement, on lui préféra néanmoins “Routines In The Night”, bijou d’hip hop alternatif, dont le côté collant et underground se révèle instantanément hypnotisant.
Une grande diversité d’ambiances
Formation hybride par nature, les Américains ne cessent de surprendre par leur capacité à varier les atmosphères. Situé entre deux morceaux maussades, le duo introduit avec bonheur l’un de ses titres les plus enthousiasmants, “Midwest Indigo”. Ce banger indie pop réussit là où Scaled and Icy a échoué, en insufflant un formidable vent de légèreté à une structure addictive digne du meilleur Phoenix. Cet aspect pop connaît des répliques aériennes et classieuses (“Oldies Station”) ou rugissantes et punky (“Next Semester”).
À l’image de quelques étonnants (et réussis) passages de ukulélé, cet album est truffé de surprises émergeant au fil des écoutes. Si l’appréciation de certains morceaux fluctuera selon notre mood (“Snap Back”, “Oldies Station”), le groupe a cette faculté de nous cueillir au détour d’un crochet inattendu. On finit ainsi par succomber totalement au formidable cri du cœur de “At The Risk Of Feeling Dumb” (“Au risque de te sentir stupide, vérifie. Ce n’est pas la peine de perdre un ami“).
Dès lors, doit-on donner raison au chanteur qui avait annoncé que ce disque ne contenait, selon lui, pas de chanson susceptible d’être passée ? Hélas, la présence de “Lavish” empêche ce grand chelem par son refrain agaçant, en dépit de quelques punchlines satiriques amusantes (“Je dis ce que je veux et ce que je veux / Sirote un Capri-Sun comme si c’était Dom Pérignon“).
Le calme après la tempête ?
Surfant une nouvelle fois entre les genres, le duo achève ses contrepieds en triomphant dans la douceur. Délicieux contrepoint au dynamisme de “Vignette”, “The Craving (Jenna’s Version)” nous fait basculer dans la sensibilité dépouillée d’un ukulélé-voix. La présence de gimmicks (sifflements, murmures) renforce un sentiment d’intimité, que subliment quelques fêlures dans la voix, délicieusement placées. Une belle déclaration à sa compagne, d’ores et déjà promise à une marée de flashs en live. À noter qu’il existe une version single au rythme accéléré, assez inécoutable pour quiconque a précédemment entendu l’originale.
L’ensemble s’était ouvert en fanfare, il se termine dans la sérénité. “Paladin Strait” diffuse un irrépressible parfum de crépuscule, symbole d’une accalmie incertaine mais appelée de ses vœux (“Voici ma chance, il est temps de la saisir. Je ne peux pas être sûr d’y arriver“). Une conclusion qui réservera une ultime surprise façon Marvel à ceux qui l’écouteront jusqu’au bout, par-delà le silence.
Alors que les dernières notes sont particulièrement propices à la nostalgie, il est intéressant de mesurer le chemin parcouru par Twenty One Pilots. Cet album ne contient pas de méga hit grand public destiné à atteindre des milliards de streams. Pourtant, il se dégage incontestablement une âme, une ambiance multiple mais cohérente, renforcée par l’identité visuelle des treize clips réalisés pour l’occasion. Rendez-vous début juin pour la publication du dernier d’entre eux, qui donnera une indication sur la réelle fin d’une saga qui s’enrichit de l’un de ses épisodes les plus intéressants.
Informations
Label : Warner Music
Date de sortie : 24/05/2024
Site web : www.twentyonepilots.com
Notre sélection
- Navigating
- Midwest Indigo
- Routines In The Night
Note RUL
4/5
Merci pour cette chronique sur l’album CLANCY.
De tous leurs albums, c’est celui où je ne zappe aucune chanson, tout s’enchaîne parfaitement. Sur Trench, que j’adore, les morceaux avaient parfois de grosses variations de rythme, ce qui gênait parfois l’écoute. Ici tout est ultra cohérent, une synthèse parfaite de tous les albums de 21 Pilots. Encore surpris par les morceaux alors que j’ai déjà écouté 1000 fois l’album…
Pour la chanson Lavish, le clip vient illustrer un côté comique bienvenue !
MA SELECTION :
OverCompensate
Routines in the night
Navigating