Riffs cinglants ? OK. Prose bien sentie ? OK. Accent du Yorkshire à couper au couteau ? OK. Teigneux sur les bords ? OK. Inimitable patte anglaise ? OK. À l’écoute des premiers titres trainant sur YouTube, on pouvait se réjouir d’avoir trouvé un prometteur successeur à Arctic Monkeys période “Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not”, sous la forme de Yungblud, Dominic Harrison de son vrai nom, un jeune homme de dix-neuf ans débarqué tout droit de Doncaster. Mais avec son premier EP, le chanteur déjà adoubé par le NME met au défi quiconque essayerait de le réduire à un énième Anglais ayant grandi uniquement sous la houlette de ses grands frères de Sheffield.
Venant d’une génération n’en ayant pas grand-chose à faire de la logique clanique des genres, il clame haut et fort son amour équivalent pour le rock et le hip hop et s’attèle à mélanger les deux. Sur les trois premiers titres de l’EP, c’est surtout son amour pour les guitares tranchantes et les rythmiques frénétiques qui ressort. Aussi dansants qu’énervés, “I Love You, Will You Marry Me” et “Tin Pan Boy” transpirent l’Angleterre, de ses guitares effrénées à son chant impétueux. Déjà, on trouve des touches de ska sur “I Love You, Will You Marry Me”, dont les origines pourraient venir des Clash, groupe ayant bercé Yungblud. Sur le tout aussi viscéralement anglais “King Charles”, on commence à apercevoir la richesse des influences du jeune homme. Phrasé plus saccadé et mordant, ruptures dans le morceau, on se rapproche plus de Jamie T, la décontraction en moins. Mais c’est avec “Polygraph Eyes” que l’EP prend un tournant plus radical. Les guitares sont chassées par un synthé, le chant et le rythme sont moins rentre dedans, le morceau moins expéditif, pour un résultat beaucoup plus pop. Quant à “Anarchist”, Yungblud mêle guitares et beats hip hop pour un mélange des genres particulièrement entêtant.
En partant dans cinquante directions à la fois, l’EP de Yungblud pourrait se perdre et manquer cruellement de cohésion. Mais en plus de dégager une impertinence et une intention communes, les morceaux suivent une même ligne directrice : l’engagement dans les paroles. Dans la veine d’Alex Turner et son talent pour rendre poétique sa jeunesse monotone faite de soirées qui se ressemblent toutes dans des bars miteux du nord de l’Angleterre, Dominic Harrison s’inspire de ce qui l’entoure pour chroniquer son quotidien, avec un engagement beaucoup plus important. Yungblud fait partie de cette jeunesse qui a voté pour la première fois à l’occasion du Brexit et, du haut de ses dix-neuf ans, a des opinions tranchées et engagées qu’il compte bien revendiquer. Avec un ton beaucoup plus espiègle que moralisateur, celui qui a appris à cracher sa prose en écoutant aussi bien Alex Turner qu’Eminem transforme colère et frustration en tubes accrocheurs trempés de conscience sociale. “King Charles” est un concentré de révolte et d’inquiétude, “Tin Pan Alley” dénonce la gentrification de la Denmark Street à Soho à Londres, rue significative dans l’histoire de la musique britannique, “Polygraph Eyes” s’attaque aux très actuelles questions de consentement sexuel et de “lad culture”. Quant à “I Love You, Will You Marry Me”, Yungblud y raconte de sa voix trainante la triste histoire d’un graffiti emblématique de Sheffield.
Alliant poésie, fougue et conscience sociale, l’indomptable Yungblud mêle à son inépuisable énergie et ses mélodies contagieuses un discours intelligent porté par une ironie grinçante, fruit d’une frustration propre à sa génération. Rock dans la forme, teinté pop dans les mélodies, un poil punk dans l’attitude, ponctué d’accents hip hop ou même ska, le premier EP de Yungblud s’amuse avec les styles et les codes pour un résultat riche et éclectique, terriblement en accord avec son époque. Fédérateur, explosif, impertinent et engagé sans tomber dans les clichés, c’est peut-être exactement ce dont on a besoin en 2018.
Informations
Label : Universal Music / Polydor
Date de sortie : 19/01/2018
Site web : www.yungbludofficial.com
Notre sélection
- Tin Pan Boy
- I Love You, Will You Marry Me
- Anarchist
Note RUL
4/5