Après avoir ébloui leurs fans du monde entier avec “Kodama”, album dédié au pays du Soleil-Levant, Alcest revient avec “Spiritual Instinct”, à paraître le 25 octobre chez les géants de Nuclear Blast. L’occasion idéale de faire le point avec Neige sur sa spiritualité, de parler de symbolisme et bien entendu de décortiquer en profondeur ce sixième album des Français.
Trois années séparent “Kodama” (2016) de “Spiritual Instinct”. Comment s’est passé le processus d’écriture pour ce nouvel album ? S’est-il étendu sur ces trois années ?
Neige : Les deux périodes, celle de la promotion de “Kodama” et celle de la composition de “Spiritual Instinct” étaient liées puisque je ne prends pas vraiment de temps particulier pour composer. Quand “Kodama” est sorti, on ne s’attendait pas à un tel succès et on a vraiment été surpris par la manière dont les gens se sont approprié cet album. Du coup, on a beaucoup tourné car il y avait de la demande sur plusieurs années. Dès que j’avais un petit peu de temps, je composais pour cet album. Autant le cycle de “Kodama” s’était bien déroulé, autant pour celui-ci, ça a été épuisant. Quand tu tournes autant, tu perds un peu contact avec toi-même. J’avais notamment l’impression de perdre ma spiritualité, je ne me sentais pas très bien et je pense que ça se ressent dans ce nouvel album.
Et on imagine que ça a eu une influence sur l’album ?
Neige : Tout à fait. Ça a nourri le côté un peu plus sombre qui n’était pas forcément présent avant dans Alcest car j’avais tendance à filtrer et à effacer mon côté anxieux. Mais là, je voulais que ça apparaisse et que ça se ressente.
Autant sur “Kodama” le concept et tes inspirations étaient plutôt évidentes, autant sur “Spiritual Instinct”, on dirait qu’elles sont plus diffuses. Qu’en penses-tu ?
Neige : Effectivement, tout le concept et les inspirations sont à la fois vagues et vastes. Cet album est une sorte de bilan de ce qu’a été ma vie spirituelle. De mon enfance à aujourd’hui, c’est quelque chose qui m’a accompagné quasiment toute ma vie. La spiritualité tient un rôle très important dans ma vie même si je ne me considère pas comme quelqu’un de religieux car je ne fais partie d’aucun mouvement. En revanche je suis très porté sur les questions liées à la spiritualité : ce qui nous attend après la mort, qu’est-ce que l’âme. A mon sens, la recherche compte plus que les réponses à ces questions.
Et comment vis-tu cette spiritualité ?
Neige : Je l’envisage comme un chemin individuel, personnel et les réponses ne se trouvent pas dans les livres ou la bible mais à travers une introspection. Je me suis mis au yoga et à la méditation il y a maintenant deux ans et ça m’a vraiment permis de renouer contact avec cette essence.
Ce sixième album est à la fois une synthèse du parcours d’Alcest tout en prenant le large vers de nouveaux horizons sonores : gros accords de post metal, arpèges carrément folk, du synthé. Même si Alcest a toujours évolué, peut-on parler d’une nouvelle identité sonore pour Alcest ?
Neige : C’est vrai même si c’est un constat qui peut se faire à chaque album. A chaque fois, on part sur quelque chose de différent. On aime bien garder l’essence et le son d’Alcest mais on essaie toujours de se renouveler. Et c’est aussi pour se faire plaisir-nous-mêmes !
Le concept, lui, en changeant beaucoup de “Kodama”, reste orienté autour de la spiritualité. La pochette propose déjà une clé d’entrée avec la figure du sphinx, figure mythologique. Peux-tu nous en dire davantage ? Qu’est-ce que l’instinct spirituel ?
Neige : Le sphinx est une référence et un clin d’œil au mouvement symboliste. Parce que les symbolistes, que ce soit Gustave Moreau ou encore Fernand Khnopff, utilisaient souvent ce sphinx en filigrane. Cette créature revient souvent dans ce courant car il représente le symbole ultime de l’énigme et c’est ce qui va de pair avec ma spiritualité. Notamment pour moi dont la spiritualité est une démarche constante de questionnements. Mais encore plus que ça, le sphinx représente parfaitement cette dualité qui me caractérise : un côté très terrestre, angoissé, plein de doutes et un côté très élevé, ailleurs. Ces deux côtés ont toujours été présents chez moi, en opposition et j’essaie de les harmoniser dans ma vie et dans ma musique. Et même physiquement, le sphinx symbolise tout à fait ça avec son visage très noble, mélancolique, les ailes d’ange et le côté plus bestial avec les griffes. Je me reconnais vraiment dans cette créature hybride.
“Opale”, “Onyx” et maintenant “Sapphire”. Dans chaque album d’Alcest, on retrouve un titre qui évoque le nom d’une pierre. Est-ce un hasard ou est-ce parfaitement calculé ?
Neige : Il y a aussi “Printemps Emeraude” d’ailleurs. Les pierres précieuses ou semi-précieuses, surtout par leurs couleurs et le fait que ce soit des purs produits de la nature, sont vraiment impressionnantes. Un peu comme les ailes de certains papillons, ce sont des vraies œuvres d’art.
Dont la beauté nous échappe, en quelque sorte ?
Neige : C’est exactement ça. Leur beauté pourrait laisser penser qu’elles viennent d’un autre monde. Tu te demandes comment ça a été fait ou rendu possible. C’est pour cette raison que ces pierres font partie de l’univers et de l’esthétique d’Alcest.
Le texte du titre “Le Miroir” est un poème du poète Charles Van Lerberghe, duquel tu avais déjà mis en musique “Nous Sommes L’Emeraude” sur l’album “Les Voyages De L’Âme”. Te sens-tu proche de ce poète et des thèmes qu’il aborde ?
Neige : Oui c’est un poète belge symboliste dont j’apprécie les poèmes et les thématiques. C’est de la spiritualité un peu détachée autour de la nature, la contemplation et l’introspection. Ses poèmes sont très métaphoriques, très mystérieux et c’est un poète que j’adore malgré le fait qu’il soit quasiment inconnu. Je ne dis pas que ce sont des poèmes que j’aurai pu écrire car je n’ai pas son talent mais c’est incroyable à quel point ses textes ont été taillés pour Alcest !
Ce nouvel album est accompagné d’un superbe clip pour le premier single, “Protection”. Peux-tu nous en dire plus ? Est-ce toi qui en as eu l’idée ?
Neige : L’idée vient de moi, je ne donne jamais carte blanche car j’ai toujours une idée très précise de ce que je veux pour l’esthétique du groupe. J’ai laissé une marge de manœuvre au réalisateur mais je lui ai donné des clefs. Je voulais une danse violente, basée sur une chorégraphie avec un personnage féminin. J’avais en tête une transformation avec le passage d’un état humain à un état indéfinissable qui serait justement plus proche du sphinx ou d’une créature éthérée. Pour moi, ce clip, c’est vraiment le fait de transcender sa nature humaine. Je voulais aussi que l’on ressente un sentiment de lutte intérieur et ce besoin de se protéger soi-même avec en toile de fond la nature et les vagues comme élément de purification.
A ce titre, il y a un plan du clip qui nous a personnellement beaucoup touché où l’on voit au loin la civilisation.
Neige : C’est marrant parce que tu n’es pas le premier à m’en parler et ça a visiblement touché certaines personnes. Ce plan invite à contempler le monde de l’extérieur, à sentir que l’on ne fait pas vraiment parti de ce monde et que l’on est étranger à tout ça. Encore une fois, c’est un peu l’histoire de ma vie. Je sens profondément que je ne suis pas d’ici et que ma maison est ailleurs.
En 2016, on t’avait demandé ce que cela t’avais fait d’ouvrir pour Opeth au Bataclan un an avant les événements tragiques. Un an plus tard, Alcest a finalement rejoué au Bataclan, en première partie d’Anathema cette fois. Quel était l’état d’esprit général à ce moment-là ?
Neige : C’était forcément particulier. La première chose qui m’a surprise, c’est que certaines fresques du Bataclan, qui sont certainement d’origine, n’ont pas été enlevées alors qu’on peut y voir les impacts de balles. Ça m’a fait très bizarre de retourner dans la salle et de me dire que là, devant sur ce plancher, il y a eu des corps. Ça fait froid dans le dos. Une fois qu’on a fait les balances et qu’on s’est mis dans notre zone de travail habituelle, c’est passé un petit peu au second plan. Sur scène, j’y ai beaucoup pensé aussi et j’ai d’ailleurs dédié le dernier morceau, “Délivrance”, à une proche d’un ami à moi que je ne connaissais pas directement mais qui est décédée ce soir-là.
Quel est le groupe pour lequel vous avez préférez ouvrir ?
Neige : Honnêtement, il y en a eu plein. Mais s’il devait n’en rester qu’un et avec qui on est devenu proche, je dirai le groupe japonais Vampillia. Ce sont vraiment des amis, on a déjà tourné quatre fois ensemble, trois fois au Japon et une fois en Europe. On se donne des nouvelles tout le temps, je suis en train d’apprendre le Japonais. Je pense que je vais même aller au Japon plus souvent ! (rires)
Et du coup, quel serait celui pour lequel tu rêves d’ouvrir ?
Neige : Il y en a beaucoup. Gojira par exemple, on ne comprend pas pourquoi on a toujours pas tourné avec eux. Je pense qu’ils n’aiment pas Alcest en fait ! Ils tournent avec plein de groupes français. On leur tend des perches régulièrement, on a même essayé de les approcher via leur équipe et on a jamais eu de retour. Mais en tout cas si un jour ils veulent tourner avec nous, on est partant et on pense que ce serait une belle affiche !
Le 25 septembre prochain au Trianon de Paris aura lieu une performance très spéciale baptisée “Major Arcana” et regroupant six groupes français pour un show expérimental sur lequel on ne sait finalement pas grand-chose. En quoi cela va consister ? Un certain mystère plane autour de l’événement.
Neige : Même pour nous, le projet est étrange et mystérieux ! Car on sait ce qu’on va faire nous, Perturbator/Alcest mais on ignore complètement ce que vont faire les autres groupes. La seule chose que l’on sait c’est que chaque groupe joue deux par deux avec un set de quarante-cinq minutes. Alcest/Pertubator, Nostromo/Dehn Sora et Regarde Les Hommes Tomber/Hangman’s Chair formeront trois entités pour trois collaborations. Pour ce qui est de la nôtre, moi je fais de la guitare et je chante sur des morceaux de Perturbator. Et James de Perturbator fera pareil et se greffera sur les morceaux d’Alcest. Beaucoup de gens nous disent que cette collaboration semble absurde mais on vient de passer deux jours à répéter et en fait ça colle parfaitement.
Tu as récemment prêté ta voix pour un groupe complètement cosmique, “Ison”. Une sorte d’ovni sonore à la croisée entre ambient et doom. Comment est née cette collaboration ?
Neige : En fait je connais Daniel qui joue dans Crippled Black Phoenix et Heike dans Draconian sont des fans d’Alcest depuis un moment. On s’est rencontré à un festival lors duquel on a vachement sympathisé. Et de mon côté, je suis aussi hyper fan de ce qu’ils font avec Ison. Ça me rappelle Slowdive en plus doom, plus nocturne, plus cosmique. Du coup ils m’ont proposé de chanter sur un titre et j’ai répondu oui direct ! Je trouve le morceau super chouette et le groupe mériterait vraiment d’être plus connu !
Terminons avec notre question traditionnelle qui n’a toujours pas changé : notre média s’appelle “RockUrLife”. Alors, qu’est-ce qui rock ta life ?
Neige : Clairement, la sortie de l’album avec aussi l’arrivée imminente d’un second single. Et puis la sortie chez Nuclear Blast, on sent que les choses passent à un autre niveau !
Site web : alcest-music.com